Un des obstacles fréquents à la compréhension du mode de vie des polyamoureux et des anarchistes relationnels est que les relations « ne sont pas supposées fonctionner comme ça, bon! »
Autrement dit, une relation « vraie », « sérieuse », etc. doit suivre un pattern prédéfini culturellement. C’est ce qu’on appelle en anglais le « relationship escalator » – que je traduirais vite vite en « ascenseur relationnel » – et ça fonctionne grosso modo comme ça:
- Un garçon rencontre une fille (parce qu’évidemment c’est un ascenseur hétéronormatif).
- Les deux tombent en amour
- Se fréquentent un certain temps
- « Officialisent » leur relation par l’exclusivité et des termes d’attachement
- Emménagent ensemble
- Se marient
- Achètent une maison, un chien, etc.
- Ont des enfants
- Vieillissent ensemble
- Meurent
Ce schéma – en réalité une vision téléologique – n’est pas propre aux relations mais a envahi progressivement plusieurs des institutions de la pensée occidentale. Ainsi, il est de bon ton aujourd’hui d’avoir un plan de carrière et même un plan de vie, minutieusement établi des études jusqu’à la progression échelon par échelon de notre vie professionnelle ou personnelle. On le fait miroiter très tôt aux jeunes enfants – inscrivez-les à un sport organisé, et vous verrez aussitôt la pression qui s’exerce pour qu’ils s’améliorent, progressent, passent aux ligues supérieures, éventuellement aux ligues professionnelles.
Dans la vision téléologique, la vie, les relations, la carrière ou les enfants doivent toujours se diriger quelque part, vers une finalité souhaitée et unique. Une relation « sérieuse » est une construction sociale qui suit ce schéma. On dit d’une relation qui ne le suit pas qu’elle « ne va nulle part ». Et c’est là où le bât blesse, car en réalité en-dehors de ce schéma il y a toutes sortes d’endroits que les relations peuvent explorer.
L’anarchiste relationnel n’a rien à cirer de cette vision téléologique. On pourrait à la limite avancer qu’il préfère une vision plus ontologique, centrée sur l’être. Les gens, les vies, les relations existent, tout simplement. Elles sont. Elles n’ont pas besoin de se diriger quelque part. Elles ont besoin d’être vécues pleinement dans le moment présent.
Rejeter la vision téléologique force à vivre en quelque sorte en marge de la société, et ceux qui le font jouissent d’une inquiétante liberté qui simultanément nous émerveille et nous fait peur. Pensez à celui qui plaque tout pour aller faire le tour du monde, sans moyen ni sans savoir comment il va s’en sortir, ou celle qui décide d’aller s’engager pour diverses causes, hors de son milieu. Ou un autre qui va garder des moutons en méditant pour fuir les pressions du monde contemporain. On leur envie cette liberté et un « sens » qu’on présume qu’ils ont trouvé, sans réaliser que chercher un sens est également une vision téléologique. On doit laisser le sens être, tout simplement.
On peut aussi laisser les relations être, tout simplement. La meilleure illustration de cet état de fait que j’ai pu trouvée est dans cette BD de Kimchi Cuddles:
Le point central ici est que si vous restez confiné dans la vision téléologique des relations, vous passez à côté de toutes les expériences merveilleuses qui se situent hors du schéma. Vous laissez filer l’intensité et le potentiel de changement et de croissance introduit par une relation de passage de cinq minutes.
Une relation n’a pas besoin d’aller quelque part. Elle doit uniquement être vécue, appréciée par les partenaires, pour le temps qu’elle durera, tels qu’ils ou elles le souhaiteront.
Bonjour.
Tu utilises souvent le tag et l’expression « ascenseur relationnel », comme traduction de « relationships escalator ».
Quand j’ai traduit l’article à l’origine de l’expression (pour moi et des copains, parce que c’est sans autorisation), j’ai gardé « escalator relationnel ». Parce que le propre d’un escalator, et ce qui le différencie d’un ascenseur, c’est que ça va que dans un sens, et qu’une fois qu’on est monté dedans on n’a que le choix d’y rester jusqu’en haut…
Et je crois que « ascenseur relationnel », expression que j’entends aussi chez d’autres poly, ça fait écho à « ascenseur émotionnel », qui justement parle d’un coup en haut, un coup en bas. Alors que bon, pour ce qui est de mes choix de relation, je veux aller dans toutes les directions…
Salut je suis 100% d’accord avec toi, et j’aimerais aussi ton avis sur la façon d’envisager l’avortement ou l’accouchement en situation d’anarchie relationnelle… Je précise ma question ci dessous
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Le polyamour avec compersion est un puissant laboratoire d’intelligence amoureuse, une école d’écoute, d’empathie, de consentement, d’émotions et de sensations partagées …
Dans ce contexte si collaboratif et humanisant, je me demande comment peut se vivre/partager une grossesse non désirée, un désir d’avortement, puis éventuellement un choix d’avortement, le géniteur potentiel n’étant pas forcément identifié…
As tu déjà vécu cette expérience, choisirais tu de vivre cette interruption de grossesse dans le secret ou le partage, dans la délibération ou sans, as tu changé d’avis, passant d’une perspective d’avortement à un accouchement ou l’inverse…
Le fait d’expérimenter cela dans un entourage polyamoureux peut il aider, cela a t il approfondi certaines relations dans le sens d’une plus grande intimité, complicité, ou cela a t-il suscité des conflits ?
Je crois que l’expérience polyamoureuse doit aussi intégrer ces étapes du choix d’enfanter ou pas, pour renforcer sa viabilité, démontrer son adaptabilité, et sa contribution à un bien être partagé en vérité…