De l’importance des liens

Dans le Modèle Standard ™ des relations, le lien exclusif entre deux personnes entraîne certaines obligations morales, voire légales lorsqu’elles sont intégrées à un contrat de mariage. Obligation de prendre soin de l’autre, partage de patrimoine, respect du caractère exclusif de l’union, etc, etc. Évidemment, les circonstances de vie peuvent faire que l’un ou l’autre partenaire soit temporairement incapable de remplir certaines obligations. C’est là qu’entre en jeu un des mécanismes les plus pernicieux du Modèle Standard: dans une union entre deux personnes, les familles de ces deux personnes sont également unies. Une union est donc une alliance forcée entre deux communautés. La famille de votre partenaire devient votre « belle-famille » et les relations, comme les titres, se codifient: gendre, bru, beau-père, et ainsi de suite.

L’avantage de ce modèle est que le réseau de soutien et de contact se trouve élargi et qu’en cas de difficulté, il est pris pour acquis que ce réseau élargi viendra à votre secours. L’inconvénient est que le consentement des personnes faisant partie de ce réseau n’est jamais pris en compte. Vous faites partie de la belle-famille que vous le désiriez ou non, avec des obligations sociales et morales à respecter.

La famille en tant qu’institution en Amérique du Nord perd un peu d’importance, alors ces obligations ne pèsent plus aussi lourd qu’autrefois. Cependant, il est important de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La raison d’être de ses institutions est aussi d’assurer le bien-être et la survie des gens qui y participent.

Le modèle polyamoureux, et encore plus le modèle anarchiste relationnel, remettent complètement en question ces organisations sociales. Par contre, il est important de continuer à construire des liens afin d’assurer que chaque personne continue à faire partie d’un réseau social solide et mobilisé. Ceci est d’autant plus important que les personnes ayant des orientations sexuelles ou relationnelles hors-normes sont parfois stigmatisées et rejetées par leur famille, leurs amis, bref, les réseaux sociaux conventionnels.

Cet état de fait plaide donc en faveur de deux alternatives qui peuvent se substituer aux réseaux conventionnels. D’une part, la création de liens à l’intérieur d’un polycule, entre métamours et entre leurs polycules respectifs, permet aussi l’établissement d’amitiés solides entre personnes qui partagent une même réalité. Lors de moments plus difficiles, tout ce réseau peut se mobiliser pour soutenir un membre en difficulté. Prenons le cas d’une personne qui subit un accident et qui doit passer plusieurs jours, voir semaines, alitées et hors du travail. Bien que le filet de protection sociale et légale l’assure d’un minimum de confort financier, la vie de tous les jours devient alors un défi. Dans ce cas (inspiré d’un cas réel), la personne pourra compter sur l’aide de ses amoureux, qui vont lui tenir compagnie en alternance, aident avec les tâches ménagères, l’épicerie, ainsi de suite. Ses métamours pourront également se mettre de la partie et aller lui tenir compagnie également. Le tout en plus des membres de sa famille qui iront donner un coup de main. La présence de plusieurs amoureux et métamours permet un soutien constant tout en permettant aux aidants de ne pas avoir à mettre leur vie sur pause pendant ce temps en se répartissant l’effort entre eux.

L’autre solution réside dans la création de liens très forts entre les membres d’une même communauté d’intérêt. À titre d’exemple, la communauté polyamoureuse montréalaise est tissée très serrée, et de multiples événements ont lieu chaque semaine qui permettent à plusieurs membres de se regrouper, de se croiser, de connecter selon leur désirs et leurs intérêts respectifs. Plus ces liens sont forts et fréquents, plus les chances que la communauté se mobilise lorsque l’un de ses membres (ou plusieurs) est ou sont en difficulté est élevée. La communauté devient donc un cercle virtueux, en quelque sorte, où la quantité d’événements permettant de créer des liens améliore le bien-être social de ses membres, tout en mettant en place l’une des conditions nécessaire au soutien communautaire.

Ces deux éléments font la force du milieu polyamoureux et anarchiste relationnel. Ce sont aussi à mon avis des éléments qui doivent être encouragés, maintenus et protégés afin d’assurer le bien-être des gens à l’intérieur de toutes les communautés. Sachant que la présence de réseaux d’entraide est l’un des grands déterminants de la santé publique, il peut également s’agir d’un élément positif dans les revendications pour la reconnaissance légale et sociale du polyamour.

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Offre et demande polyamoureuse

On me pose souvent la question de savoir comment on fait pour rencontrer d’autres personnes lorsqu’on vit en solution de non-monogamie (couple ouvert, polyamour, anarchie relationnelle, etc.). En réalité ce n’est pas si complexe que ça dans la mesure où certains des prérequis de base de la rencontre amoureuse changent lorsqu’on a plusieurs relations.

Commençons par modéliser l’offre et la demande de relation monogame, et explorons ensuite les variantes.

En supposant que l’amour est un marché (et ici, le marché dans son expression idéale, soit un lieu d’échanges) où un seul critère est recherché (ce critère pourrait être la grandeur, l’éducation, la richesse, la qualité de la langue française, l’engagement social, mais pour faire ça superficiel, je vais prendre la beauté), ET en supposant que la beauté est un caractère objectif et universellement reconnu (ce qui n’est pas le cas, mais c’est pour la démonstration, là)…

Toutes choses étant égales par ailleurs, les personnes « objectivement belles » recevront beaucoup plus d’offres que le les personnes « objectivement non-belles ». Ceci dit, comme chaque personne ne cherche qu’une seule et unique relation, elles doivent répondre aux offres reçues de façon à sélectionner le meilleur candidat possible. Donc, pour équilibrer l’offre et la demande, les personnes « obectivement belles » répondront à beaucoup moins d’offres et les personnes « objectivement non-belles » devront répondre à beaucoup, beaucoup plus d’offres, voire faire plus de demandes de leur côté.

En d’autre mots, comme la personne « objectivement belle » est pas mal plus populaire, les chances qu’elle sollicite une autre personne sont beaucoup moindres.. Et comme la personne « objectivement non-belle » doit solliciter plus de gens, les chances qu’elle sollicite une autre personne qui ne la trouve pas de son goût sont très élevées. L’essentiel du comportement sur les sites de rencontre n’est donc au final qu’une question d’équilibre des courbes d’offres et de demande.

Dans la réalité, il y a plein de critères qui font qu’une personne se perçoit comme populaire ou désirable, ou non, et les réactions vont changer selon cette perception – pas nécessairement dans le sens que j’ai décrit. Il y a d’ailleurs une étude fascinante des comportements des usagers face à la beauté perçue sur le blog du site Ok Cupid (et l’épiphanie de Nash menant à sa théorie de l’équilibre, dans le film A Beautiful Mind, vaut absolument le détour).

Ajoutons une autre dimension à cette analyse. Le libre-marché, pour fonctionner efficacement, dépend d’une circulation libre et entière de l’information entre les participants. C’est ce qui permet à tout le monde de faire des choix éclairés. Dans un contexte monogame, vous voudrez par contre vous assurer que l’information diffusée vous assurer une rencontre optimale. Si vous avez assez confiance en vous pour être totalement transparent, vous maximisez les chances d’avoir un match qui corresponde à vos affinités. Si par contre vous croyez être sous la moyenne quant à vos diverses qualités, une stratégie plus appropriée serait d’adopter des allures mystérieuses, des demi-vérités, voire ne pas diffuser d’information du tout.

Dans l’optique du polyamour le changement devient encore plus intéressant, car le choix n’a pas besoin d’être unique. Comme le choix ne se fait plus selon un dosage parfait de tous les critères souhaités par une personne, mais selon une attirance qui peut reposer sur un seul, ou une partie, de ces critères, les possibilités de connexions intéressantes sont multipliées par un facteur beaucoup plus élevé que le nombre de partenaires optimal recherché par chaque personne.

La transparence devient ainsi un outil de multiplication des rencontres car, plutôt que d’espérer le match parfait, vous préférerez multiplier les différentes qualités exprimées de façon à rejoindre le plus vaste éventail de partenaires possible.

Cette justification explique pourquoi on passe d’un modèle de rareté des relations à un modèle d’abondance, pourquoi la transparence absolue est une option payante, et pourquoi il est paradoxalement facile de rencontrer, même à l’intérieur de ce qui semble en apparence une communauté réduite.

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Éloge de l’écriture militante

Le billet de cette semaine tombera dans la catégorie « billet d’opinion » et même si plusieurs personnes trouveront le propos peu inventif, il n’en demeure pas moins nécessaire par moments de souligner l’évidence à gros traits.

On m’a déjà fait le commentaire que le ton parfois revendicateur de certains billets ne rejoignait pas une portion du lectorat. C’est une critique qui reflète bien la réalité. La plupart de mes billets se veulent analytique, ou encore pratique, mais par moment il m’arrive aussi de verser dans la revendication.

Ce mélange de tonalité dans mes billets n’est pas près de changer, ceci dit.

La situation des communautés non-privilégiées s’améliore bien trop lentement pour que l’on songe à baisser le ton. Rien n’illustre mieux cette situation que l’actuelle course présidentielle américaine. Un homme incarnant à merveille l’ensemble des privilèges les plus décriés (blanc, hétérosexuel, masculin, né de parents riches, en santé physique, etc.) a poursuit son ascension en dénigrant et méprisant un assortiment de groupes non-priviégiés (noirs, latinos, femmes, soldats blessés, etc.).

Heureusement, les luttes contre la discrimination peuvent et devraient, dans la mesure du possible, converger. Tout en reconnaissant que certains enjeux sont parfois urgent et doivent être reconnus spécifiquement et individuellement, d’autres cas nécessitent l’entraide et la solidarité entre tous. Autant que possible, j’essaie que le discours sur ce blogue en soit un d’allié aux diverses causes et victimes de discrimination.

Alors, loin de cesser la revendication, je vais au contraire vous encourager toutes et tous à vous y mettre aussi. L’écriture, ça ne suffit pas, mais c’est déjà un début. Plus les discours et les actions visant à mettre fin à la discrimination se multiplieront, plus nous en bénéficieront!

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