Briser les vieilles mentalités

Le propre de l’anarchie relationnelle est de se détacher des hiérarchies socialement contraintes qui sont imposées aux relations de tout genre, plus spécifiquement aux relations dites amoureuses. Par contre, plusieurs comportements qui encadrent et structurent la communication et les échanges relationnels sont socialement construits, transmis et appris et viennent perpétuer et renforcer les modèles traditionnels. En faire une liste exhaustive serait sans doute trop long, mais on peut commencer à en pointer quelques uns du doigt afin d’amorcer une réflexion critique sur certaines normes relationnelles.

Par exemple, les comportements attribuant des rôles selon le genre de la personne sont faciles à cibler. Ainsi, lorsqu’on dit que l’homme doit faire les premiers pas, ou qu’il est responsable de communiquer ou d’initier en premier les conversations et les suivis après une rencontre, on reproduit des patterns de domination sexiste qui visent à cantonner la femme dans un rôle bien précis: soumise, docile, prête à se livrer selon des règles de propriété strictes, etc.

Ceci dit, toute comportement qui suit une codification sociale pré-établie est à proscrire. Les normes qui vont du « jamais le premier soir » à « toujours attendre 3 jours avant de rappeler » sont tout autant de formes de domination insidieuses qui imposent une moralité victorienne sur les relations actuelles. Cette moralité sous-tend un pattern patriarcal qui vise ultimement à maintenir des intérêts de propriété bourgeois et capitalistes  (on contrôle la femme et son comportement pour contrôler les enfants qu’elle produira. L’utérus est un actif). On attend pour faire monter les enchères. Augmenter sa valeur. Ne pas perdre sa réputation (qui est aussi un actif). Et etc.

Même certaines expressions et comportements plus modernes ne font aucun sens dans une perspective anarchiste. Par exemple, la notion de « friendzone » revient à dire qu’une relation est limitée, incomplète ou un échec si elle ne s’est pas rendu jusqu’en territoire amoureux. Ceci revient à mettre la relation amoureuse sur un piédestal hiérarchique parmi toutes les multiples autres façons dont deux personnes peuvent apprendre à se connaître.

Au-delà des hiérarchies, de la moralité et des conventions, on peut catégoriser ces comportements de ce qu’ils découlent d’une vision de rareté des relations, par opposition à une vision d’abondance des relations. Bien décrites dans le livre More than Two, les deux modèles présentent en opposition un monde où les vraies connections sont rares, précieuses, doivent être défendues et jalousées à tout prix, et un autre monde où les connections sont infinies, variées, restreintes que par le temps et les désirs des gens d’entrer en relation et de se connaître.

Un monde où les ressources précieuses, voire vitales sont rares mène à toutes sortes d’inégalité, d’abus, de concentration de pouvoir et de dominations malsaines. Il est difficile d’imaginer vivre de façon polyamoureuse, et encore moins en tant qu’anarchiste relationnel, dans un tel univers. La jalousie spécifiquement naît d’une telle conception des relations et est l’obstacle principal que rencontrent les polyamoureux sur leur chemin.

Le polyamour et l’anarchie relationnelle ne font de sens que dans un monde où les liens pouvant être tissés entre les gens sont quasiment infinis. Cette conception requiert de défaire l’ensemble des vieilles mentalités et moralités qui ont façonné nos comportements relationnels. Notre affection, notre amour et notre coeur ne sont pas des quantités restreintes à vendre à un(e) unique élu(e). Ils sont uniques mais peuvent être partagés encore et encore (selon les limites physiologiques et psychologiques et l’horaire des gens impliqués, en fait), pour une seule fois ou à répétition, pour quelques minutes, quelques semaines ou toute une vie. Ainsi, la loi du « jamais le premier soir » qui vise à préserver la rareté de la ressource, donc sa valeur, de même que la bonne réputation (afin de garder toujours une bonne valeur sur le marché amoureux), pourrait être remplacée dans un modèle d’abondance par la règle du « Fuck Yes or No » de Mark Manson. En fait, cette dernière peut se substituer à pas mal des règles désuètes présentées précédemment!

Le premier pas vers des comportements relationnels plus adéquat est donc de changer de paradigme relationnel, de s’ouvrir à l’idée d’abondance afin de pouvoir ensuite vivre pleinement et intègrement celle-ci.

 

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S’étouffer dans le vomi des conventions

Il n’y a pas longtemps je suis tombé sur cette image dans mon fil Facebook. J’ai instantanément eu une petite sensation de vomi-dans-ma-bouche tellement le sujet en était rétrograde, mais sans avoir le temps d’en faire une montée de lait en bonne et due forme. Alors voici, je me reprends. La vengeance, dit-on, est un plat qui se mange froid.

Mais d’abord, l’image en question. C’est un dérivé des fameux memes « Here’s Bill », qui sont d’ailleurs en train de devenir l’une des 7 plaies de l’internet. Jugez plutôt:

Vomi

Alors si on faisait une petite liste de tout ce qui ne fait aucun sens dans ce torchon concentré:

  1. On traite Julie comme une espèce de créature surnaturelle dotée du pouvoir magique de faire ou détruire les relations des autres. Non seulement ça, mais le langage vise précisément à stigmatiser toutes les Julie de ce monde qui oseraient (scandale!) révéler leur sentiment. Well, tough luck. Les sentiments, ce n’est pas fait pour être réprimés. D’ailleurs, se référer au point deux. Peut-être que l’autre gars n’a pas trop envie de se réprimer non plus. Enfin, même si l’infidélité était répréhensible (et ça, c’est un jugement de valeur que je ne suis pas prêt à cautionner), ça prend au minimum trois personnes avec chacun leur bonne dose de responsabilité pour qu’une telle situation se produise.
  2. On ne sait jamais, au final, ce que peut bien ressentir l’autre gars. On met d’abord l’emphase sur sa relation, comme si cet élément, en soi, justifiait tout le reste, au mépris de toutes les autres émotions et vécus possibles. Et si:
    1. il s’emmerdait dans sa relation, parce que sa blonde le prend pour acquis, parce qu’au fil des années ils se sont éloignés et que finalement il reste juste par habitude? Et s’il était malheureux, maltraité?
    2. il trouvait Julie bien de son goût lui aussi?
    3. Il était complètement indifférent?
  3. On ne sait jamais, non plus, ce qu’en pense la blonde anonyme de l’autre gars (lui-même déjà pas mal anonyme aussi). Elle n’existe qu’en tant que victime potentielle d’une agression (la destruction de sa relation).
  4. Les points 1, 2 et 3 devraient vous avoir mis la puce à l’oreille, mais si ce n’est pas encore clair, voici ce qui est vraiment dégoûtant dans ce texte moralisateur digne des petits catéchismes de fond de rang des années 30: on déshumanise complètement chacun des acteurs, au détriment du rôle sacro-saint de « la relation ». Et par relation, on entend « Privilège de couple ».  Autrement dit, on se fout du bien être de Julie, du gars, de sa blonde, qui au demeurant pourraient tous deux très bien s’ouvrir et mettre un peu de piquant dans leur vie de couple en invitant Julie.
    1. Et puis là, petite parenthèse, remarquez que c’est Julie qui vient foutre le bordel, et non pas Julien. Le choix éditorial en révèle long en partant (vive le slut-shaming, quoi). « Elle n’a jamais eu de lien avec ce gars là alors elle ne veut pas en créer. » WTF? C’est une femme qui doit se priver, se réprimer. Pas un homme. Et ce n’est pas un choix innocent. Le contrôle du corps et des désirs féminin est après tout la visée ultime du patriarcat, mais précisons pour la petite histoire que le gars et sa blonde pourraient tout aussi bien être intéressés par Julie que Julien (ou les deux, ou plus, ou pas du tout).
  5. On conçoit les relations comme statiques, ne pouvant se transformer que sous l’impulsion d’une immense tragédie externe. Or les relations sont dynamiques. Elles changent graduellement, avec le temps, comme les partenaires. Et il est inévitable (voir mes billets précédents) que parfois elles se transforment ou se terminent dans le deuil. Mais on préfère faire l’autruche, ignorer le tout, et calomnier la première cible facile venue plutôt que d’affronter en face la réalité.
    1. Notez qu’on conçoit aussi les relations comme fermées. Mais ça, c’est un choix, pas une obligation, et ça devrait encore moins être une convention.

De façon plus respectueuse, voici ce qu’aurait pu dire le texte (et encore, c’est plutôt binaire quand au genre, ça pourrait être retravaillé davantage):

« Voici Julie(n). Il ou elle rencontre un homme/une femme qui lui plait alors il ou elle n’a pas peur de lui faire part de ses sentiments. Il ou elle présume naturellement et respectueusement que si l’autre est dans une relation, peu importe sa nature, l’autre prend le temps de communiquer souvent ou régulièrement avec tous les partenaires concerné(e)s, et que si la relation est fermée, l’autre l’en avisera dans le respect, flatté(e) de ses sentiments, de façon à éviter toute confusion de part et d’autre. Julie(n) ne présume pas non plus qu’en faisant part de ses sentiments une obligation de réciprocité sera créée chez l’autre. »

Moins de privilèges. Moins de conventions. Plus d’humanité.

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