Masculinité toxique et le « problème » de la bisexualité

Le mouvement « Me Too » a permis de mettre en lumière un élément évident mais souvent passé sous silence des relations en société: le rapport de domination constant exercé par les hommes dans leurs relations interpersonnelles. Le nombre accablant de témoignages a permis de mettre en lumière, encore une fois, à quel point pour certains hommes cette domination est vue comme normale et se manifeste dans tous les aspects de leur quotidien. Les histoires et accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles montrent également que plusieurs n’hésitent pas à profiter de leur position de pouvoir professionnel pour imposer leur domination jusqu’aux sphères normalement plus intimes.

Cette domination et ces agressions s’exercent envers des hommes contre des femmes, mais également contre d’autres hommes, tel que révélé par les accusations contre Kevin Spacey aux États-Unis ou Éric Salvail au Québec. Ceci permet de mettre un peu de lumière sur un des doubles standards les plus répandus dans notre sexualité contemporaine: l’acceptation quasi-universelle de la bisexualité féminine (comme activité, et non comme identité, car on rencontre encore beaucoup de résistance de ce côté) comparativement à la presque totale occultation de la bisexualité masculine.

L’hypothèse va comme suit: au quotidien, les garçons cis grandissent et deviennent hommes dans cette même culture de domination, et intègrent bien malgré eux plusieurs des codes propres à la masculinité toxique. L’un de ces codes est que d’être en relation avec un homme implique potentiellement de se soumettre à son pouvoir. Par extension, un autre est la nécessité pour l’homme de se montrer dominant, fort, leader dans les diverses sphères de sa vie. Difficile alors pour un homme-cis s’identifiant généralement comme hétéro de s’ouvrir à la possibilité d’une relation avec un autre homme, puisque cela reviendrait à reconnaître la possibilité de ne plus être dominant, ou pire, d’être dominé par l’autre, deux possibilités qui viennent directement menacer l’identité construite sur les bases de la masculinité toxique.

À l’opposé, la bisexualité féminine souffre différemment de cet état, et peut devenir soit un lieu de refuge, ou au contraire, une façon de se soumettre à la domination d’un autre homme (on voit trop couramment dans la pornographie mainstream la bisexualité féminine objectifiée et présentée du point de vue de l’homme dominant la scène). Alors que ces deux alternatives encouragent la bisexualité féminine et sa diffusion médiatique, la bisexualité masculine demeure cachée et évitée.

Défaire les rapports de domination et de pouvoir basés sur le genre, en plus de rendre la société moins menaçante quant au harcèlement et aux agressions, pourrait donc avoir le bénéfice inattendu de permettre aux hommes de se réapproprier à leur tour leur bisexualité. Rejeter les vieilles institutions de la masculinité toxique permettrait donc à l’ensemble de la population de pouvoir s’épanouir sainement dans sa sexualité.

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Briser les vieilles mentalités

Le propre de l’anarchie relationnelle est de se détacher des hiérarchies socialement contraintes qui sont imposées aux relations de tout genre, plus spécifiquement aux relations dites amoureuses. Par contre, plusieurs comportements qui encadrent et structurent la communication et les échanges relationnels sont socialement construits, transmis et appris et viennent perpétuer et renforcer les modèles traditionnels. En faire une liste exhaustive serait sans doute trop long, mais on peut commencer à en pointer quelques uns du doigt afin d’amorcer une réflexion critique sur certaines normes relationnelles.

Par exemple, les comportements attribuant des rôles selon le genre de la personne sont faciles à cibler. Ainsi, lorsqu’on dit que l’homme doit faire les premiers pas, ou qu’il est responsable de communiquer ou d’initier en premier les conversations et les suivis après une rencontre, on reproduit des patterns de domination sexiste qui visent à cantonner la femme dans un rôle bien précis: soumise, docile, prête à se livrer selon des règles de propriété strictes, etc.

Ceci dit, toute comportement qui suit une codification sociale pré-établie est à proscrire. Les normes qui vont du « jamais le premier soir » à « toujours attendre 3 jours avant de rappeler » sont tout autant de formes de domination insidieuses qui imposent une moralité victorienne sur les relations actuelles. Cette moralité sous-tend un pattern patriarcal qui vise ultimement à maintenir des intérêts de propriété bourgeois et capitalistes  (on contrôle la femme et son comportement pour contrôler les enfants qu’elle produira. L’utérus est un actif). On attend pour faire monter les enchères. Augmenter sa valeur. Ne pas perdre sa réputation (qui est aussi un actif). Et etc.

Même certaines expressions et comportements plus modernes ne font aucun sens dans une perspective anarchiste. Par exemple, la notion de « friendzone » revient à dire qu’une relation est limitée, incomplète ou un échec si elle ne s’est pas rendu jusqu’en territoire amoureux. Ceci revient à mettre la relation amoureuse sur un piédestal hiérarchique parmi toutes les multiples autres façons dont deux personnes peuvent apprendre à se connaître.

Au-delà des hiérarchies, de la moralité et des conventions, on peut catégoriser ces comportements de ce qu’ils découlent d’une vision de rareté des relations, par opposition à une vision d’abondance des relations. Bien décrites dans le livre More than Two, les deux modèles présentent en opposition un monde où les vraies connections sont rares, précieuses, doivent être défendues et jalousées à tout prix, et un autre monde où les connections sont infinies, variées, restreintes que par le temps et les désirs des gens d’entrer en relation et de se connaître.

Un monde où les ressources précieuses, voire vitales sont rares mène à toutes sortes d’inégalité, d’abus, de concentration de pouvoir et de dominations malsaines. Il est difficile d’imaginer vivre de façon polyamoureuse, et encore moins en tant qu’anarchiste relationnel, dans un tel univers. La jalousie spécifiquement naît d’une telle conception des relations et est l’obstacle principal que rencontrent les polyamoureux sur leur chemin.

Le polyamour et l’anarchie relationnelle ne font de sens que dans un monde où les liens pouvant être tissés entre les gens sont quasiment infinis. Cette conception requiert de défaire l’ensemble des vieilles mentalités et moralités qui ont façonné nos comportements relationnels. Notre affection, notre amour et notre coeur ne sont pas des quantités restreintes à vendre à un(e) unique élu(e). Ils sont uniques mais peuvent être partagés encore et encore (selon les limites physiologiques et psychologiques et l’horaire des gens impliqués, en fait), pour une seule fois ou à répétition, pour quelques minutes, quelques semaines ou toute une vie. Ainsi, la loi du « jamais le premier soir » qui vise à préserver la rareté de la ressource, donc sa valeur, de même que la bonne réputation (afin de garder toujours une bonne valeur sur le marché amoureux), pourrait être remplacée dans un modèle d’abondance par la règle du « Fuck Yes or No » de Mark Manson. En fait, cette dernière peut se substituer à pas mal des règles désuètes présentées précédemment!

Le premier pas vers des comportements relationnels plus adéquat est donc de changer de paradigme relationnel, de s’ouvrir à l’idée d’abondance afin de pouvoir ensuite vivre pleinement et intègrement celle-ci.

 

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Ce sentiment de possessivité

« Si j’ose me servir de cette comparaison, un amant est possesseur, un mari est propriétaire. » Puisqu’il s’agit d’un blogue sur l’anarchie relationnelle, ouvrons sur une boutade de Proudhon, un des fondateurs de l’anarchie moderne: Pour ce que cette comparaison a de fâcheux à nos sensibilités modernes, elle met néanmoins le doigt sur un élément que Proudhon tâchait alors d’expliquer: la propriété relève du droit, de la loi tandis que la possession relève de l’usage, de l’utilisation.

On ne parle heureusement plus de « propriété » lorsque vient le temps d’unir deux personnes (et vous vous doutez sans doute de mon opinion sur la mariage – hé, c’est un blogue anarchiste, là!) mais l’habitude demeure. Combien de conjoint considère leur partenaire comme étant « à eux » et toute intrusion dans le couple comme une tentative de vol? C’est que la propriété, comme la possession, font de l’autre partenaire un objet, soumis à la volonté des autres, et non plus un sujet indépendant et animé de volonté.

Cependant ce terme, « possession » sans impliquer une légitimité de droit dans l’utilisation de l’autre, vient encore l’objectifier. Dixit le Petit Larousse: possession –

  • Littéraire. Accomplissement de l’acte sexuel sur une femme.

Historiquement, donc, c’est la femme que l’on possède, et ce dans une perspective qui est implicitement hétéronormative. L’homme est un sujet, la femme un objet. De nos jours cette norme hétéronormative s’estompe, mais on peut affirmer sans trop se tromper que les vieilles normes ont la vie dure et que les femmes en souffrent encore de façon disproportionnée.  La possessivité, cette envie de dominer, de posséder l’autre, peut être vue comme une envie déshumanisante et conséquemment à proscrire et à combattre.

Tout comme la jalousie, à laquelle il est d’ailleurs intimement relié par ailleurs, le sentiment peut continuer à se manifester. Ce n’est pas en soit surprenant, et c’est un relent du développement humain (notamment les phases narcissiques et oedipales lors de la petite enfance). À l’âge adulte, par contre, il est nécessaire de gérer ces sentiments de façon un peu plus mature. D’abord en reconnaissant le sentiment, en le nommant, mais aussi en le partageant avec nos partenaires, de façon à ce que leur feedback puisse faire partie des outils que nous avons afin d’identifier la montée du sentiment, au besoin. (Voir aussi l’excellent coffre à outils du blogue d’Hypatia à ce sujet).

Par contre dans certains contextes bien précis la possessivité peut continuer à se déployer, voire même être encouragée! On reconnait à la possessivité un côté immature, animal. Ce côté bestial n’est pas pour déplaire dans certaines circonstances, et peut même se révéler particulièrement ludique et excitant. Alors, un peu comme les pratiques BDSM, on peut importer des pratiques basée sur la possession sous certaines conditions. Notamment avec le consentement des personnes impliquées, un haut degré de confiance entre les partenaires, et une reconnaissance explicite du caractère temporaire de l’activité. Toute personne peut aimer pour un temps la soumission ou l’objectification, mais ne pas au point de ne jamais sortir de cette relation de domination par la suite.

Il faut donc distinguer entre la possessivité comme jeu de la possessivité comme émotion destructrice, tout comme on distingue la domination comme jeu de la domination comme exploitation indésirable d’autrui. Donc, dans la mesure où cette possessivité est ludique, contrôlée, et désirée explicitement par toutes les parties prenantes impliquées, il n’y a pas lieu de trop s’en faire. Mais si cette possessivité est cause de souffrance, hors-de-contrôle, irrépressible et nuisible, il est important de le reconnaître et d’agir en conséquence, autant pour votre bien être que pour celui de vos relations.

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Compassion et polyamour

La vertu de la compassion n’est plus vraiment au goût du jour en Occident. Notre société individualiste et matérialiste fait plutôt de la domination sa vertu principale (domination de soi, des autres, de la nature). À cet effet d’ailleurs l’auteur anarchiste Murray Bookchin écrivait que « la domination de la nature par l’homme n’est rien d’autre que le reflet de la très réelle domination de l’homme par l’homme. »

Or, si la domination permet d’imposer un flux d’idées et de croyances, de soi vers les autres, dans un geste très volontaire, la compassion est ce qui permet, tout aussi volontairement, de percevoir plutôt l’émotion, le contexte vécu par autrui et agir en conséquence. La compassion se distingue donc de la pitié (aujourd’hui vue comme condescendante) et de l’empathie par la notion d’action.

Si la plupart des traditions religieuses en ont fait un pilier de leurs dogmes,  il y a par contre plus que lieu de récupérer le concept de façon tout à fait laïque et contemporaine. Pour un humaniste, la compassion est la vertu qui permet de s’opposer à la domination, par exemple dans les expériences de Milgram (que je ne résumerai pas, mais dont je vous invite à prendre connaissance en suivant ce lien, c’est fascinant!).

Pour un polyamoureux, la compassion est la vertu qui doit être au coeur de la gestion éthique des sentiments, émotions et attentes de son polycule, de ses partenaires ou de son entourage. Il faut d’abord reconnaître pour cela qu’il arrive que les autres souffrent (pas dans le sens de se tordre littéralement de douleur – appelez alors un médecin) et accepter que cette souffrance est légitime, concrète, et qu’elle cause un tort réel.

Je prends donc le mot souffrance dans un sens très large ici, mais en voici quelques exemples:

  1. Rupture d’une relation entre deux partenaires (ou plusieurs) ou tout simplement absence temporaire d’un partenaire.
  2. Ajout d’un nouveau partenaire au sein d’un polycule qui peut faire sentir aux autres qu’ils ont moins de place/temps/importance.
  3. Relation déséquilibrée entre deux partenaires, au point où l’un des deux partenaires souffre de l’absence de reconnaissance de l’autre.

Vous pourriez faire preuve d’empathie dans les trois cas, sans ne porter aucune action (i.e. « Je comprends qu’il ou elle souffre, je le ressens, mais c’est son problème, qu’il ou elle s’arrange avec ses émotions parce que je ne peux rien faire »). La compassion va un peu plus loin: elle se dirige activement vers l’autre à la recherche de solutions, de moyens de guérison.

Vous pouvez aider l’autre à cheminer à travers son deuil, en l’accompagnant, lui changeant les idées, en parlant parfois tout simplement. Le simple fait de se confier fait  énormément de bien. Vous pouvez aussi accepter son témoignage (surtout si vous êtes impliqué dans la situation, par exemple dans l’exemple #2) et chercher ensemble des pistes permettant de rassurer, réconforter, plutôt que d’attendre bêtement que l’autre s’ajuste. Prendre conscience et aider à la prise de conscience permettent de corriger bien des torts, ou à tout le moins d’indiquer clairement les actions à poser afin de retrouver une certaine quiétude.

Ce n’est pas un processus qui a besoin d’être lourd. Ainsi, une polyamoureuse avec qui je tisse depuis peu des liens d’amitié et de confiance est venue me parler dernièrement pour discuter d’une situation avec ses partenaires où elle se sentait mal-à-l’aise, tiraillée entre deux valeurs contradictoires. Il n’a pourtant fallu qu’un bref échange, ou la situation a été exposée sous différents angles, pour trouver celui qui lui apporterait la plus grande paix d’esprit. J’aurais pu n’être qu’empathique et reconnaître que sa situation était triste, sans m’impliquer. Mais en m’engageant activement dans la discussion, en tâchant de reconnaître où se situait sa souffrance et en mettant celle-ci en lumière, il a été possible de faire beaucoup plus de bien qu’en restant détaché.

Il est déjà crucial d’être attentif aux émotions de son partenaire dans une relation monogame. Dans un contexte polyamoureux ou d’anarchie relationnelle l’importance est magnifiée de façon exponentielle. J’avancerais même qu’à la limite, ne pas ou ne plus être capable de le faire indique sans doute que vous avez atteint un niveau de « saturation » qui met vos relations en péril. Si, face à l’expression d’une souffrance émotionnelle, votre première réaction est « je n’ai pas le temps de m’occuper de ça », il faut vous questionner sur votre degré d’investissement dans cette relation.

Par contre, il faut aussi reconnaître que la compassion a des limites claires, qui sont de deux types:

  1. Le consentement: il est correct d’aller vers l’autre, d’offrir son aide, et encore plus si l’autre nous le demande, mais il inacceptable d’imposer son aide à une personne qui nous demande de la laisser seule. Le faire serait de retomber dans une relation de domination.
  2. Le respect de soi: la première personne envers qui vous devez faire preuve de compassion, c’est vous-même. Si vous êtes victimes de chantage, de manipulation affective, retirez-vous. Si aider les autres vous cause en retour une souffrance trop élevée, vous devez peut-être solliciter l’aide de quelqu’un qui a la formation appropriée (thérapeute, psychologue, sexologue, etc.) pour se pencher sur la situation.

Autrement dit, la compassion doit aller de pair avec l’humilité, avec une certaine maturité effective qui vous fait reconnaître que oui, d’une part, il est dans le plus grand intérêt commun d’essayer d’alléger la souffrance d’autrui, mais que d’autre part vous ne devez pas jouer au sauveur, au messie (ramenons les métaphores religieuses) et reconnaître que certaines situations nécessitent une relation d’aide professionnelle.

En-dehors de ces situations par contre, la compassion solidifiera grandement vos liens, augmentera la confiance ainsi que le niveau d’intimité dans votre ou vos relations, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour tous les gens concernés.

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Je suis féministe parce que je suis anarchiste

On ne peut pas d’une part prétendre à l’anarchie relationnelle et de l’autre encourager la domination systémique des femmes par les hommes. Je suis anarchiste, donc je suis féministe. (Notez bien que dans certaines mouvances féministes, il est inacceptable pour un homme-cis de se prétendre féministe puisqu’il n’a pas connu les oppressions que subissent les femmes. Ces mouvances préfèrent le thème « allié ». Il n’y a pas consensus et, du moins dans le cadre plutôt inclusif du féminisme au Canada, au Québec et à Montréal, il ne semble pas y avoir d’objection à ce qu’un homme-cis réfère à lui-même comme féministe, au contraire cet usage est encouragé. Si mon usage vous choque, acceptez mes plus sincères excuses et substituez librement le terme « allié »). Je ne veux rien savoir de vos hiérarchies basées sur des inégalités, tout aussi historiques soient-elles. Je ne comprends pas comment on peut désirer hiérarchiser les genres, encore moins dans un monde où le genre est fluide. Et j’en ai ras-le-bol de la domination (à part peut-être la domination consensuelle dans le cadre d’une activité BDSM, mais ça c’est une autre histoire).

Mais peut-être bien aussi que je suis devenu anarchiste parce que j’étais féministe. Parce que toutes ces histoires de discrimination, de harcèlement et d’agressions, je les ai entendues en confession des lèvres de mes amoureuses, amantes, amies, partenaires. Au point où, lorsque les statistiques ont éclaté au grand jour, lorsque les médias ont dû sortir leur tête du sable (pour ne pas nommer un endroit moins confortable), à la fausse stupéfaction générale des bien-pensants qui auraient préféré continuer à se vautrer dans l’ignorance, j’ai surtout constaté l’écart pas si élevé entre mon échantillon et la réalité cruelle et terrifiante.

La plupart de mes partenaires qui m’ont confié leur historique d’agression sont celles qui ont survécu, qui ont surmonté, qui ont réclamé leur existence et leur sexualité, et qui ont décidé de la vivre triomphalement malgré un cheminement long, ardu, tortueux, et parsemé d’incompréhension, d’indifférence, et de culpabilisation. D’autres s’en sont moins bien sorties comme en a témoigné cette incapacité d’atteindre l’orgasme parce que la culpabilité remonte toujours en torrent au moment crucial et déferle en un déluge de larmes. Comme d’autres où les manifestations de souffrances, l’image de soi constamment remise en question, les troubles alimentaires, les dépressions, les troubles de personnalité, les troubles sexuels ont pris le dessus.

Comment pouvez-vous bordel vouloir encourager cette douleur et cette souffrance? C’est pourtant le bâtard illégitime de la domination et de la hiérarchie. Refuser le féminisme, c’est supporter cette torture. Il n’y a pas vraiment d’autres options possibles.

Je suis devenu anarchiste parce que j’étais féministe, et qu’ultimement j’ai compris que la domination et la hiérarchie créent toujours les mêmes effets pervers, peu importe le groupe discriminé et rabaissé. Surtout, parce que j’ai réalisé qu’en créant un environnement ouvert où toutes pouvaient s’exprimer et revendiquer leur identité, leurs désirs et leurs émotions sans crainte ne pouvait ultimement que maximiser le bonheur commun.

En tant qu’homme, je peux individuellement l’affirmer, mais surtout encourager les hommes comme les femmes comme les non-binaires à collectivement revendiquer leur féminisme, leur désir de faire changer un état des choses inacceptable. Nous sommes tou-te-s féministes. Point.

Ça devrait être à la portée de nos ministres, non?

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L’anarchie de Madame Ravary

Parfois, le titre d’un billet nous interpelle. Ce fut le cas du billet intitulé « L’anarchie sexuelle » et publié par Lise Ravary. Malheureusement, ce billet est d’une pauvreté intellectuelle navrante. Je n’ai pas hélas le privilège de distribution à des centaines de milliers de lecteurs, mais rectifions au moins certains éléments.

Madame Ravary se questionne sur  » la crise des valeurs créée par le plus important chambardement social du 20e siècle. » Parlons-en.

Dans le billet en question, les fugues hautement médiatisées de trois jeunes filles dernièrement sont dues à – roulement de tambour – la pilule anticonceptionnelle.

L’auteure ne comprend pas comment (et je cite) « une jeune fille, intelligente, belle, qui a grandi dans une famille traditionnelle, à l’aise, qui fréquentait un collège privé exclusif, fugue à répétition. » Manifestement, il doit y avoir quelque chose dans notre tissu social qui cause ça. Un lien causal entre tout ces évènements. Manifestement, ce doit être la libération des moeurs. Le fait que le point commun entre ces fugues soit plutôt le Centre Jeunesse de Laval est complètement escamoté. Parce qu’évidemment, c’est inconcevable qu’une jeune fille qui fréquente un collège privé et vient d’une famille traditionnelle puisse vivre le genre d’enjeu qui la mène au centre jeunesse. Voyons-donc.

Au contraire, on fait une charge à fond de train contre la libéralisation des moeurs et l’abandon des valeurs traditionnelles et conservatrices. Parce que, voyez-vous (et je cite encore), « avant la révolution sexuelle, l’homme demandait, la femme disposait. Les gars s’attendaient à se faire revirer comme une crêpe au terme d’une tentative de conquête sexuelle. »

Madame Ravary: dans quelle espèce de réalité alternative vivez-vous??? Les situations de privilège mènent inévitablement aux abus: abus de pouvoir, violence physique et sexuelle.  En témoignent les viols de guerre commis en Algérie dans les années 50, les centaines, voire milliers de viols commis sur des femmes en pays alliés (France et Angleterre) par les GI américains lors de la deuxième guerre mondiale, l’abus constant d’enfants dans les pensionnats religieux du Québec à la même époque. En témoigne une culture du viol encore fortement ancrée dans nos moeurs, et toujours aujourd’hui des juges banalisent l’agression sexuelle en raison de l’habillement ou du supposé « plaisir » qu’aurait eu la victime, toujours des imbéciles de première classe tel Roosh V défendent la pratique du « viol légal » [sic].

Madame Ravary adhère à la thèse selon laquelle  » la libération des mœurs sexuelles mènerait tout droit à l’anarchie sexuelle, à une augmentation des divorces, à de la négligence parentale, à une augmentation des problèmes de santé mentale. »

Ceci révèle: 1) une méconnaissance de la signification du terme anarchie, utilisé ici péjorativement comme « chaos, désordre » plutôt que proprement comme absence de hiérarchie. 2) une méconnaissance de plus de deux siècles de luttes féministes, avec notamment l’enjeu du contrôle des naissances, du contrôle du corps, qui remonte facilement jusqu’au XIXème siècle (et encore plus loin, en réalité, mais restons-en à l’histoire moderne) 3) un ramassis de préjugés sur la négligence parentale et la santé mentale, et j’en passe.

Et Madame Ravary conclut enfin sur ces deux perles: « lorsque la culture populaire glorifie une sexualité-divertissement déconnectée des sentiments, doit-on s’étonner quand cela arrive » et surtout « La nouveauté de notre époque «pas mêlée à peu près», c’est qu’ils [les pimps] arrivent à faire croire à leurs proies qu’elles sont consentantes. » Misère!

Mais c’est ainsi que toutes les cultures de domination fonctionne! Le motus operandi habituel – acheter quelques babioles, des vêtements, de la drogue, peu importe, puis réclamer un remboursement – est le propre de la domination économique et de l’esclavage depuis l’antiquité. Et dans tous les cas, ces relations sont librement consenties: la personne contractant la dette n’arrive pas à payer et se résout à se vendre en esclavage, bien que les dés soient pipés dès le départ. David Graeber en fait la démonstration éloquente dans « Debt: the first 5000 years. » Chaque fois que l’argent est vu comme tangible, réel, séparé des relations humaines, il est utilisé comme outil menant inévitablement à l’esclavage économique.

Depuis un peu plus de cinq siècles, la culture populaire – en fait, la culture occidentale, capitaliste – promeut surtout une vision de l’argent comme valeur intrinsèque, réelle, tangible et déconnectée de l’humain. Comme une fin en soi. Par conséquent, le processus de déshumanisation est encore plus fortement ancré dans les moeurs. Le petit pimp de basse cour ne reproduit pas un comportement novateur suite à l’introduction de la pilule.

Il suit exactement le même comportement que tous les capitalistes suivent depuis des lustres.

Mais ça, toutes les Madames Ravary du monde ne peuvent l’accepter. Parce que pour ça, la droite libertaire doit accepter une vision selon laquelle la liberté recherché, en réalité, est celle d’imposer leur domination aux autres sans qu’une intervention gouvernementale protège ces derniers. Elle doit accepter que la base du système capitaliste réside dans l’endettement perpétuel et inextricable des masses, maintenu en place par cette même domination.

Admettre cela tue le capitalisme. Alors on se rabat plutôt sur un passé imaginaire, sur des valeurs qui n’ont jamais existé, sur des mythes d’un âge d’or révolu. Et on prend les symboles que l’on peut pour le défendre, quitte à faire fi (et c’est là l’odieux) de la souffrance bien réelle que vivent ces victimes.

Par pitié, si vous n’êtes pas capable d’utiliser votre tribune pour faire part d’une réflexion ancrée dans la recherche historique, sociale et anthropologique, dans les faits, plutôt que dans les préjugés, cessez d’écrire.

 

 

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(ma vision limitée) Du privilège

Le privilège, ce sont des médecins-spécialistes qui ont empoché des hausses de 67% en 6 ans et des députés qui s’augmentent leur salaire de 31% tout en offrant 3% sur 5 ans à la fonction publique. Le privilège, c’est que les premiers ne voient pas en quoi ceci est injuste. C’est l’ordre naturel des choses. Le bénéfice de la classe (médicale ou politique) et de la richesse (notre 1%). Penser que ces sommes sont bien méritées. Juste et équitable. Le privilège, c’est refuser de reconnaître les relations de pouvoir implicites dans ces décisions. C’est une institution dominante qui s’affirme au détriment des autres.

Le privilège, c’est de mettre tout en branle pour retrouver un homme, une femme, un enfant blanc disparu, jusqu’à l’alerte Amber qui fait traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Et de ne pas comprendre pourquoi les gens s’énervent avec des centaines de femmes autochtones disparues ou assassinées. Encore pire: de ne pas le savoir. Parce qu’incompréhensible, incompatible avec votre réalité raciale dominante.

Le privilège, c’est de ne pas avoir à se justifier quand un homme et une femme se présentent aux autres. De savoir que le statut de couple sera pris pour acquis, même si vous  n’êtes pas en couple, auquel cas vous devrez vous justifier, alors que des questions gênées seront posées si vous êtes deux personnes de même sexe. Ou ne seront pas posées, les gens ne pensant pas nécessairement à une union romantique à moins que vous ne correspondiez à un stéréotype précis.

Le privilège c’est arriver au pied d’un escalier sans me demander comment faire pour parvenir au sommet.

Le privilège, c’est de ne pas comprendre le malaise que certaines personnes éprouvent face aux toilettes genrées. De ridiculiser ces personnes. De critiquer publiquement, de rabrouer, d’humilier les personnes confrontées à une séparation binaire des genres alors que leur identité leur crie intérieurement qu’elles ne correspondent à ni l’une ni l’autre des options. C’est de ridiculiser les gens qui font des choix qui contreviennent explicitement aux stéréotypes de genre, mais c’est aussi se retrouver mal à l’aise face au choix androgyne, au choix qui rejette les catégorisations et les stéréotypes et vous remet en pleine face l’artificialité des constructions binaires.

Le privilège, c’est de refuser à trois adultes élevant leur famille la pleine reconnaissance sociale, légale et affective à laquelle peuvent aspirer toutes les autres familles. Parce que l’institution dominante, par défaut, c’est la famille biologique. Toutes les autres sont présentées soit comme incomplètes, imparfaites, défaillantes (monoparentalité) ou de maigres substituts (adoption). Et au détriment des droits et des besoins des parents comme des enfants, on protège l’institution dominante avant tout. Parce que c’est ce qu’on connait, c’est le modèle qu’on se donne et il ne faudrait surtout pas se mettre à questionner sa légitimité.

Le pire, c’est qu’en tant qu’homme-cis, blanc, issu d’une famille traditionnelle, scolarisé, je baigne dans le privilège à longueur de journée. Même sensibilisé à la situation je n’en identifie sans doute pas le quart. Et même quand je sors du moule des institutions dominantes, même si je m’affirme dans l’anarchie relationnelle par exemple, je bénéficie encore des privilèges associés aux autres institutions auxquelles j’appartiens.

Ce n’est pas une raison pour ne pas commencer à s’y attaquer.

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