Le mouvement « Me Too » a permis de mettre en lumière un élément évident mais souvent passé sous silence des relations en société: le rapport de domination constant exercé par les hommes dans leurs relations interpersonnelles. Le nombre accablant de témoignages a permis de mettre en lumière, encore une fois, à quel point pour certains hommes cette domination est vue comme normale et se manifeste dans tous les aspects de leur quotidien. Les histoires et accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles montrent également que plusieurs n’hésitent pas à profiter de leur position de pouvoir professionnel pour imposer leur domination jusqu’aux sphères normalement plus intimes.
Cette domination et ces agressions s’exercent envers des hommes contre des femmes, mais également contre d’autres hommes, tel que révélé par les accusations contre Kevin Spacey aux États-Unis ou Éric Salvail au Québec. Ceci permet de mettre un peu de lumière sur un des doubles standards les plus répandus dans notre sexualité contemporaine: l’acceptation quasi-universelle de la bisexualité féminine (comme activité, et non comme identité, car on rencontre encore beaucoup de résistance de ce côté) comparativement à la presque totale occultation de la bisexualité masculine.
L’hypothèse va comme suit: au quotidien, les garçons cis grandissent et deviennent hommes dans cette même culture de domination, et intègrent bien malgré eux plusieurs des codes propres à la masculinité toxique. L’un de ces codes est que d’être en relation avec un homme implique potentiellement de se soumettre à son pouvoir. Par extension, un autre est la nécessité pour l’homme de se montrer dominant, fort, leader dans les diverses sphères de sa vie. Difficile alors pour un homme-cis s’identifiant généralement comme hétéro de s’ouvrir à la possibilité d’une relation avec un autre homme, puisque cela reviendrait à reconnaître la possibilité de ne plus être dominant, ou pire, d’être dominé par l’autre, deux possibilités qui viennent directement menacer l’identité construite sur les bases de la masculinité toxique.
À l’opposé, la bisexualité féminine souffre différemment de cet état, et peut devenir soit un lieu de refuge, ou au contraire, une façon de se soumettre à la domination d’un autre homme (on voit trop couramment dans la pornographie mainstream la bisexualité féminine objectifiée et présentée du point de vue de l’homme dominant la scène). Alors que ces deux alternatives encouragent la bisexualité féminine et sa diffusion médiatique, la bisexualité masculine demeure cachée et évitée.
Défaire les rapports de domination et de pouvoir basés sur le genre, en plus de rendre la société moins menaçante quant au harcèlement et aux agressions, pourrait donc avoir le bénéfice inattendu de permettre aux hommes de se réapproprier à leur tour leur bisexualité. Rejeter les vieilles institutions de la masculinité toxique permettrait donc à l’ensemble de la population de pouvoir s’épanouir sainement dans sa sexualité.