Le mythe du deuil perpétuel

Certaines personnes, remarquant que les polyamoureux vivent leur lot de ruptures à des fréquences apparemment plus élevées que les monogames plus traditionnels, en arrivent facilement à la conclusion que les relations polyamoureuses ne sont pas stables ni sérieuses. C’est, malheureusement, un biais fréquent, mais le revers de la médaille est plus rassurant: c’est surtout une question d’incompréhension et de méconnaissance du contexte.

Si on prend la durée comme un critère de réussite (et on peut en débattre, j’y reviens plus bas), alors ça peut sembler inquiétant. La sagesse populaire regorge de barèmes qui identifient les étapes déterminantes d’une relation. On parle par exemple du seuil des 3 (3 semaines, 3 mois, 3 ans), de l’écueil des 7 ans, etc. Un sondage britannique paru en 2014 établissait la durée moyenne d’une relation à 2 ans et 9 mois. Ça semble court, mais comme il fallait à ces personnes entre 7 et 8 relations avant de tomber sur « la bonne personne », ces données font pas mal de sens.

Qu’est-ce que ça signifie concrètement pour les polyamoureux? Et bien, si on prend l’hypothèse que les durées de relations sont sensiblement les mêmes (on pourrait débattre de cette hypothèse, j’y reviens plus loin), un polyamoureux, selon le nombre de relations vécues au point de saturation vivra des deuils de façon assez régulière. Petite démonstration:

  • 1 partenaire: un deuil aux deux ans et 9 mois
  • 2 partenaires: un deuil à chaque 16 ou 17 mois
  • 3 partenaires: un deuil aux 11 mois
  • 4 partenaires: un deuil au 8 mois
  • 5 partenaires: un deuil aux 6 ou 7 mois
  • 6 partenaires: un deuil aux 5 mois et demi

Et ainsi de suite. Mais si effectivement seulement une relation sur 7 ou 8 débouche sur une relation à long terme, ceci signifie qu’à l’exception d’une ou deux relations primaires, nos polyamoureux moyens peuvent vivre des deuils à une vitesse beaucoup plus élevée. Conséquemment, selon le point de saturation, il est tout à fait normal qu’ils apparaissent vivre une succession de rupture, même si les relations vécues ont exactement les mêmes caractéristiques de longévité que les relations monogames.

De surcroît, comme on reconnait plus souvent les événements marquant que l’absence d’événement (une rupture frappe plus l’imagination qu’une absence de rupture, il faut l’admettre), cette suite de ruptures laisse une impression différente dans l’esprit des gens monogames, qui pensent rarement à vous demander, en moyenne, la durée de vie de vos autres relations.

Ceci dit, la durée de vie est loin d’être le seul facteur de réussite par lequel nous pouvons évaluer une relation amoureuse. En fait, parler de « réussite » et de relation est en soi un piège. Il n’y a pas de mesure de succès, pas de notes de passage, pas de récompense au prochain niveau. Les relations n’ont pas besoin d’être pérennes pour être significatives, et tel que mentionné dans un billet précédent, une rencontre de quelques heures pourrait fort bien avoir un impact marquant et favorable sur l’ensemble de votre vie.

Ceci pourrait d’ailleurs expliquer une autre perception, qui fera l’objet d’un billet ultérieur: l’apparente facilité des gens non-monogames à nouer de nouvelles relations. Les polyamoureux seraient possiblement plus à l’aise avec l’idée d’explorer rapidement de nouveaux liens de nature romantique et/ou sexuelle. Intuitivement, cette idée pourrait faire du sens – je tente présentement de modéliser ce concept en utilisant la théorie des jeux. Si un lecteur avide de mathématiques a envie de me donner un coup de main, je ne dirais pas non!!!

En attendant, si jamais on vous fait des reproches sur la durée de vos relations, vous saurez que vous avez au moins deux approches qui vous permettront de rappeler gentiment à votre interlocuteur de se mêler de ses affaires. D’une part, le biais de perception ci-dessus illustré, et d’autre part, le préjugé auquel s’accroche l’autre personne qui fait de la durée le facteur principal de réussite d’une relation.

 

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Le paradoxe du deuil

Votre relation parfaite se terminera un jour.

Sans blague ni mauvaise intention, toute relation est appelée à se terminer. Même si vous vivez l’idéal du couple-exclusif-qui-s’aime-pour-le-restant-de-ses-jours, ultimement, ces jours arriveront à leur fin. L’un de vous mourra (plus rarement, les deux en même temps).

Sans verser dans de si dramatiques scénarios, il faut néanmoins envisager qu’une relation romantique puisse se terminer. Pourtant, socialement, c’est un passage qu’on fait tout pour occulter, oublier, voire dramatiser. La rupture est vue comme un échec. Un drame. Une réelle mort. Et au contraire, l’amour idéalisé est présenté comme plus fort que la mort (ce qui vous donne des scènes larmoyantes de film avec des fantômes qui font de la poterie, ou encore des vampires étincelants. Mais bon, ça c’est un autre sujet). C’est plutôt absurde, même franchement malsain, que de représenter l’amour « vrai » comme un pouvoir paranormal au lieu du simple état naturel dans lequel nous pouvons vivre, exister et être heureux.

Mais revenons plutôt aux relations. Dans un contexte ou une institution, le couple monogame exclusif hétéronormatif (maintenant élargi au couple monogame exclusif, peu  importe l’orientation) jouit d’un privilège envahissant, tout ce qui vous fait sortir d’un couple est mal vu. Et c’est un peu normal, parce que la fin d’une relation vous prive également de tous les privilèges (notamment l’acceptation sociale) liés au statut d’être en couple. La fin d’une relation devient donc une menace bien réelle, au-delà du simple domaine affectif, au statut social, économique, politique, etc. Est-ce si surprenant qu’on dramatise la rupture à ce point?

Et si on prenait une approche un peu plus raisonnée?

Et si les relations ne se terminaient pas, mais qu’elles se transformaient? Après tout, les gens changent constamment. La vie nous fait évoluer, grandir, souffrir parfois et tout cela a un impact sur notre personnalité, nos désirs, nos besoins, nos ambitions, nos idéaux. Deux ou plusieurs partenaires peuvent réagir différemment à ces événements. Dans la mesure où une relation est aussi le reflet de la personnalité des gens impliqués dans cette relation, il est donc inévitable qu’elle se transforme au fil du temps.

Parfois, il faut le reconnaître, cette transformation entraîne l’abandon d’un lien romantique. Qui peut devenir purement amical. Parfois, c’est l’inverse. On connait tous des amis qui sont devenus amoureux après plusieurs années. Et on connait tous d’anciens amants séparés mais unis par une profonde complicité.

Outre le cas de la mort d’un des partenaires, il faut bien admettre que suite à la fin d’une relation les personnes concernées risquent de se recroiser. La meilleure façon de gérer cette transition est d’accepter dès le départ l’inévitable transformation.

Autrement dit, le deuil d’une relation doit commencer au premier jour de celle-ci. Dès le début, il faut reconnaître le caractère fragile, éphémère et par conséquent profondément précieux du lien qui nous unit à l’autre. Il faut aussi y porter attention de part et d’autre, reconnaître ses fluctuations, ses changements. Accepter qu’il peut, indépendamment de notre volonté, prendre une direction différente au lieu de s’acharner à l’enfermer, l’encadrer dans un moule qui ne lui sied pas.

Le paradoxe du deuil, c’est que lorsque l’on tente de préserver, protéger sa relation au détriment du reste, on risque de l’enchaîner, de la prendre pour acquise, et ultimement de la saboter, de la perdre. Mais qu’en sachant lâcher prise, cette relation peut trouver un sens renouvelé, peut-être pas le sens que le moule sociétal essaie de nous enfoncer dans la gorge, mais un sens beaucoup plus riche et signifiant parce qu’issu des expériences partagées entre les individus concernés.

En acceptant le caractère éphémère de la relation, on accède à un univers d’émerveillement où chaque instant se savoure pleinement.

Arrêtez d’avoir peur de perdre. Acceptez l’inévitable transformation. Et vivez intensément aujourd’hui.

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