Polyamour et gestion du changement

Chaque nouvelle rencontre nous transforme. La découverte d’une nouvelle personne met en lumière de nouvelles façons de penser, d’aimer, d’exister tout en jetant un éclairage particulier sur les nôtres. Nous découvrons parfois des pans de notre personnalité dont nous ignorions jusqu’alors l’existence. Cette découverte est parfois euphorique, voir frénétique tandis que nous explorons l’autre (ou nous nous explorons mutuellement) avec une ardeur amoureuse irrépressible.

Chez les polyamoureux, le nombre de nouvelles rencontres amoureuses est potentiellement beaucoup plus élevé que chez les pratiquants du modèle monogame standard. il faut ajouter à cela que chaque nouvelle rencontre de nos partenaires nous transforme également. Ceci fait beaucoup de transformation dans un laps de temps potentiellement très court. Il est nécessaire alors de se doter d’outil pour gérer le changement.

Si les textes portant sur la gestion du changement sont nombreux dans les écoles de management, il y a un gros problème à les réutiliser dans le cadre d’une relation amoureuse (poly ou pas). Le changement organisationnel est planifié et vise un but tactique ou stratégique. Le changement amoureux ne l’est généralement pas. Dans un cas on agit de façon proactive. Dans l’autre, de façon réactive. Néanmoins, quelques principes se transposent très bien d’un domaine à l’autre.

  1. Bien se connaître. Dans la pratique « Lean Six Sigma », par exemple, le premier étape de l’amélioration continue est la définition de la situation actuelle. Ça semble banal, mais pour bien comprendre en quoi nous sommes en train de changer, il faut savoir comment nous étions avant le changement. Introspection, rétroaction, et autoévaluation: ce sont des pratiques ou des activités à adopter régulièrement. Demandez du feedback à vos partenaires et aux gens qui vous connaissent bien sur votre perception de soi afin d’éviter le piège de la complaisance. Cette connaissance est cruciale car il est rare qu’un changement survienne change. Tout bouge autour de vous, et différentes parties de votre vie peuvent être affectée à un moment donné, ce qu’il faut savoir reconnaître.
  2. Impliquer toutes les parties prenantes. Un changement qu’on impose de l’extérieur est toujours moins bien accueilli qu’un changement auquel on participe, ou au moins auquel on a pu contribuer par nos commentaires ou nos réflexions. Vos partenaires et métamours devraient vous accompagner (et de même, vous devriez aussi les accompagner) lors de ces changements. Vous êtes après tous tous intimement reliés et interdépendants. La survie de vos relations dépend donc de votre habileté à communiquer et vous ajuster ensemble.
  3. Devenez porteur du changement. Il ne s’agit pas que d’être là et de regarder le changement se produire sous vos yeux. Il faut trouver une façon d’être un participant à ce dernier. Attention: cette participation doit se faire dans le respect des limites et de l’intégrité de vos partenaires. Parfois, vous serez un agent de changement ou un participant simplement en initiant une discussion avec un(e) partenaire qui vit de nouvelles expériences, en lui demandant d’expliquer ce qui est vécu, ressenti. Il se peut qu’on vous invite à être plus présent, ou pas. Acceptez ces limites si elles se présentent.
  4. Prenez le temps de faire le point. Donnez-vous des jalons, des repères ou des moments convenus d’avance afin de renouer vos liens, d’explorer ce qui se passe en vous ou en l’autre. Le jalon peut être purement chronologique (par exemple: « j’aimerais qu’à chaque dimanche on prenne le temps de revenir sur notre weekend ») ou événementiel (« j’aimerais que l’on prenne un thé à l’extérieur lorsque l’on sent qu’une de nos relations évolue différemment afin d’en parler »).
  5. Revenez sur tout le processus de changement une fois qu’il est terminé. Dans le feu de l’action, il est inévitable que nos émotions (positives ou négatives) influencent notre perception de ce qui est en train de se passer. Une fois que la poussière est tombée, prenez le temps de discuter à nouveau avec partenaires et métamours afin de voir si ces perceptions étaient adéquates, si certains comportements ont eu des répercussions imprévues, etc. Ceci est une opportunité de croissance, d’une part, et bouclera la boucle en vous ramenant au point 1 (connaissance ré-actualisée de vous-même). Surtout, si jamais une personne a été froissée pendant ce temps, ce sera l’occasion d’en discuter calmement, à tête reposée, plutôt que de laisser la situation s’envenimer inconsciemment.

Lorsque je mentionne qu’il s’agit d’une boucle, ce n’est pas innocemment. Tous ces comportements peuvent être internalisés graduellement et devenir un processus de gestion du changement continu. Après tout, vous n’évoluez pas de façon ponctuelle. Vous êtes constamment fluides, en mouvement, en transformation. Vos partenaires aussi, et les leurs aussi. Un polycule heureux s’adapte à cette réalité!

Diffusez-moi!

Mais c’est quoi cette histoire d’anarchie? (ou: démystifier l’anarchie relationnelle)

Pour plusieurs personnes, le concept de polyamour est encore inconnu, le concept d’anarchie surtout connu sous sa forme caricaturale, et l’anarchie relationnelle évidemment ne veut rien dire du tout. Même pour les gens un peu plus familiers avec les nouvelles formes de relations amoureuses, il plane toujours une certaine incertitude sur cette réalité – pour de bonnes raisons comme je l’expliquerai plus bas. J’utiliserai alors mon billet de cette semaine pour décrire ma compréhension du concept, de son usage et de son implication pour les relations en général.

Il y a plusieurs façons de définir le polyamour. Dans le doute, partons avec cette définition de Wikipedia: l’orientation relationnelle présumant qu’il est possible et acceptable d’aimer plusieurs personnes et de maintenir plusieurs relations amoureuses et sexuelles à la fois, avec le consentement des partenaires impliqués, et qu’il est souhaitable d’être ouvert et honnête à leur propos. On pourrait questionner la notion que la relation doive être sexuelle (certaines personnes peuvent vivre des relations amoureuses mais non sexuelles, après tout) mais autrement cette définition tient la route.

L’anarchie, de façon courante, est interprétée comme un état de désordre, de confusion dans un domaine d’activité, du fait de l’absence de règles, ou de leur inobservation (c’est ici la définition du Larousse). À noter que l’absence de règles est vue nécessairement comme causant la confusion. La définition d’anarchisme, par contre, va comme suit: conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l’initiative individuelles. Soyons honnête, peu de gens et peu d’anarchistes (et encore moins d’anarchistes relationnels) font la nuance entre les deux termes.

Alors, que fait l’anarchiste relationnel? Il rejette en gros toute notion de hiérarchie (ou de tutelle) imposée aux relations. Ces hiérarchies sont implicites et omniprésentes dans notre culture (sans que tout le monde adhère à chacune d’entre elles). En voici quelques exemples:

  • Les relations de couple sont mieux acceptées que les autres (du genre amants, amis avec extra, etc.)
  • Les relations avec enfants sont mieux acceptées que celles sans enfants
  • Les relations hétérosexuelles sont mieux acceptées que les relations homosexuelles, et les relations entre personnes cis-genre mieux acceptées que celles impliquant un ou des partenaires transgenres.
  • Les relations amoureuses doivent être aussi sexuelles, et les relations qui incluent le romantisme et la sexualité sont supérieures à celles qui ne comprennent que le volet sexuel ou que le volet romantique, qui sont elles-mêmes distinctes et supérieures des relations platoniques.
  • Si une relation est principale, les autres doivent nécessairement être secondaires.
  • Les familles nucléaires sont mieux acceptées que les familles monoparentales ou reconstituées, etc.

Et même dans les communautés plus ouvertes, on en retrouve encore. Par exemple, j’ai déjà entendu certaines personnes exprimer l’opinion que les relations polyamoureuses étaient en quelque sortes supérieures aux relations échangistes.

Là où ça se complique, c’est que l’anarchie relationnelle, selon la personne et le discours, peut être présentée de deux façons: soit comme un mode d’organisation des relations, ou soit comme une philosophie relationnelle. Résumons:

  • Dans un mode d’organisation des relations, l’anarchie relationnelle est présenté comme une des extrémités du spectre des orientations relationnelles (prenez 2-3 minutes pour aller voir la BD sur mon article à-propos de la fluidité sexuelle, ça en vaut la peine). Donc, l’anarchiste relationnel est présenté comme étant nécessairement solo, avec un ensemble de relations qu’il refuse de définir comme platonique/romantique/sexuelle mais qui se caractérisent plutôt par divers niveaux d’intensité évoluant dans le temps selon les besoins et désirs des partenaires impliqués. La fluidité prime. Il ne faut donc surtout pas confondre avec l’égalitarisme, bien trop rigide.
  • Comme philosophie relationnelle, l’anarchie peut soutenir n’importe quelle forme d’organisation des relations, dans la mesure où cette relation est librement consentie, sans contrainte hiérarchique explicite ni implicite. Peu importe alors où ils se retrouvent dans le spectre des relations mentionné plus haut. Par exemple, à la limite, deux anarchistes relationnels pourraient se retrouver au sein d’une relation intime, sexuelle (ou pas) et romantique (ou pas) si prenante qu’ils n’auraient de facto plus de temps ni d’énergie, voire de désir à consacrer à d’autres types de relations. À toutes fins pratiques, ils seraient monogames, mais cette monogamie ne serait pas vue comme acquise ni même éternelle, juste comme un état de fait à ce moment de leur relation.

À partir de là, donc, difficile de catégoriser quel type de relation peut être ou ne pas être inclus dans l’anarchie relationnelle puisque c’est précisément une des choses qui est rejetée (voir par exemple mon billet précédent sur l’amitié, le sexe et mon polycule). D’ailleurs un des grands obstacles de l’anarchiste relationnel est le langage, qui a évolué pour limiter précisément le type d’interaction représenté: ami, amant, amoureux, partenaire, relation, conjoint, etc. Comme apposer une étiquette à quelqu’un lorsque notre conception des relations est justement fluide? Non seulement c’est inapproprié, mais de surcroît cette étiquette risque d’influencer le comportement d’autrui avec l’autre dans la relation, ce qui n’est pas du tout désirable.

Simplement définir le sujet soulève plusieurs enjeux et questions et c’est un peu le but de faire ce blogue. D’ailleurs, s’il y a des points spécifiques que vous désirez éclaircir, je vous invite à m’en faire part dans les commentaires. Enfin, je présente ici un point de vue et une opinion sur l’anarchie relationnelle. Vous n’aurez pas de difficulté à en trouver d’autres si le sujet vous intéresse. Voici d’ailleurs quelques pistes pour débuter:

1) Un des textes « fondateurs » (traduit du suédois en anglais, mais si vous trouvez une traduction française ça serait bien aussi)

2) Un texte très intéressant sur le blog Troll de Jardin

Bonne lecture!

Diffusez-moi!

La Fluidité Sexuelle

(Je reprends aujourd’hui un texte publié il y a plus d’un an sur un autre de mes blogues… je trouve toujours d’actualité les concepts présentés, mais de surcroît j’ajoute les notions d’asexualité/d’aromantisme, que je n’avais pas inclus dans le premier jet)

Il n’y a pas si longtemps, je suis tombé sur et ai dévoré avidement le dernier livre de Daniel Bergner, What Do Women Want? Il s’agit de l’exploration systématique des préjugés/préconceptions entourant la sexualité féminine. Parmi tous les concepts intéressants présentés dans ce livre, l’un a particulièrement retenu mon attention, soit celui de « fluidité sexuelle. »

(Petite parenthèse avant de continuer: j’ai été mis sur la piste du bouquin de Bergner via le blogue fascinant d’Audren Le Rioual, Les fesses de la crémière, blogue qui aborde sur une base régulière plusieurs sujets reliés aux conceptions des relations amoureuses, dont le polyamour, la fidélité, et ainsi de suite. Je vous invite tous à aller y faire un tour d’ailleurs.)

Pour en revenir à la fluidité sexuelle, il s’agit du concept selon laquelle l’orientation sexuelle n’est pas statique dans le temps. Autrement dit, les préférences peuvent aller et venir entre l’homosexualité, l’hétérosexualité, tous les genres de bisexualités possibles et imaginables, pansexualité, etc. La rectitude politique fait qu’on se perd un peu dans les termes, mais c’est l’idée qui compte: nos préférences peuvent, et vont, changer avec les années.

Mais au-delà de l’attirance (qu’elle soit sexuelle ou émotionnelle) la façon elle-même dont on conçoit ce qu’une relation « doit » être (comme si une relation « devait » absolument être d’une façon fixe) est elle même fluide. Tenez, par exemple, ce graphique sur lequel je suis tombé via un réseau social ce matin:

Fluidité relationelle

Ce qui est intéressant, en soit, n’est pas la catégorisation. On pourrait sans doute imaginer d’autres formes de relations. Au passage, notez que les modes « traditionnels » d’organisation du couple prennent très peu de place dans le graphique, ce qui est une bonne chose: il faut présenter et diffuser les options alternatives et se débarrasser des contraintes relationnelles héritées de l’époque victorienne.

Ce qui est intéressant, c’est ce qui manque dans le graphique: le fait que tous les modèles mis en images ne devraient pas être statiques, mais dynamiques. Qu’il est possible de passer de « l’anarchie relationnelle » à un polyamour égalitaire, en passant par d’autres stades, selon les besoins et les émotions des personnes impliquées à ce moment.

Les besoins incluent notamment la relation à la sexualité et au romantisme, qui sont souvent prise pour acquis dans les relations (i.e. on s’aime, donc on couche ensemble) alors qu’en réalité il est tout à fait concevable d’imaginer que des relations soient primordiales ou primaires (ou importantes, sans être hierarchisées) tout en excluant le romantisme, la sexualité, voire les deux. De surcroît ces besoins aussi évoluent dans le temps.

On pourrait, et devrait, pousser le concept une coche plus loin. La conception du genre (soit l’identité sexuelle, par opposition au sexe biologique) elle-même est fluide, propice à varier dans le temps. Même si chez la plupart des personnes cette identité ne sera jamais remise en question, il faut comprendre que pour d’autres, la masculinité et la féminité ne sont pas des acquis immuables mais des pôles, des catégories autour desquelles on gravite, s’en éloignant ou s’en rapprochant au gré de divers facteurs.

La fluidité sexuelle inclut tout ça: fluidité dans l’identité sexuelle, fluidité dans l’orientation sexuelle, mais aussi fluidité dans l’orientation « relationnelle » pour faute d’une meilleure expression. C’est l’incarnation du vivre et laisser-vivre.

Diffusez-moi!