L’amour au temps de la courtoisie (et autres mythes)

De temps en temps je réagis à la lecture de textes qui, pour bien écrits qu’ils soient, donnent néanmoins une vision biaisée de leur sujet. C’est le cas de ce rigolo billet sur Urbania comparant défavorablement Tinder à l’amour courtois.  Histoire de rectifier le tir, je vais corriger dans le style Urbania également.  C’est-à-dire avec des phrases courtes, des élisions et un peu de vulgarité et d’humour.  Ah, pis j’vais aussi utiliser le mot « fourrer. » Tsé…

Il est où le problème? C’est qu’on regarde le sujet avec des oeillères. On en vient à penser que c’était ben mieux dans le bon vieux temps. Malheureusement le bon vieux temps avait pas l’air de ça pantoute et l’amour courtois était un peu plus trash qu’on le croit. Mais si on commençait par remettre les choses en perspective un peu?

Commençons par les Grecs. D’une façon ou d’une autre, c’est toujours de leur faute anyway. On vous a peut-être déjà rabâché que les Grecs avaient 4 mots différents pour l’amour. Ce qui est important, c’est que le mot pour l’amour entre deux amants est « Eros » et est déjà lourd de connotations charnelles et sexuelles. Les autres types d’amours, ce sont plutôt des descriptions de ce que vous ressentez envers vos enfants, vos amis, vos parents, voire l’humanité en générale. Autrement, l’amour grec est un amour passionné et très physique.

Ça ne change pas tant que ça chez les Romains. Ovide, dans l’Art d’aimer, s’attarde sur le comportement des amoureux. Et l’amour, pour Ovide, c’est de trouver le chemin le plus rapide vers le lit de sa maîtresse, préférablement en présence de celle-ci, et en l’absence de son époux légitime (ce qui tend à entraîner des complications). Ovide reste le modèle littéraire en vogue au Moyen-Âge, son influence se fait sentir dans les poèmes de Baudri de Bourgueuil et dans les lettres de Léonin à son amant et mécène, le cardinal Henry (shoutout à la communauté LGBT du 11ème au 13ème siècle).

Ça continue même au tournant de la renaissance, comme l’illustrent fort bien ces extraits de chansons (Un jour Robin, et Un jour Colin):

« Un jour Robin vint Margot empoingner En luy monstrant l’oustil de son ouvraige Et sans parler la voulut besoingner. »

« Un jour Colin la Colette accula en lui disant, « Or mettez le cul là », puis de si près se mit à l’accoler, qu’en l’accolant, qu’en bricolant, la goutte fit couler »

On voit bien que l’amour charnel reste au coeur de la création artistique, et que cet amour-là n’est pas toujours super consensuel. Margo et Colette ont pas l’air ben ben down pour du sexe dans les extraits ci-haut. En fait, Margo et Colette sont des objets, et c’est ça qui nous emmène à l’amour courtois.

Si l’amour courtois émerge au XII siècle en Europe, c’est pas par accident. Les Européens viennent de découvrir le circuit touristique des croisades, et entre deux séances de tapoches au Proche-Orient, quelques-uns décident de s’imprégner de culture locale. Comme les selfies en dos de chameau n’existent pas encore, c’est la poésie qui l’emporte. Ça tombe bien, une couple de siècle auparavant, les poètes perses et arabes ont découvert quelque chose de magique: bien parler à une femme te permet de scorer plus facilement. Les thèmes de la discrétion et du raffinement s’imposent dans la poésie, et deux courants émergent, un courant dandy et érotique, résolument citadin: (le ghazel courtois) et un courant plus chaste, platonique.

Les Croisés, pas plus fous qu’un autre, réalisent rapidement que pour fourrer, faut bien parler, et importent par la suite le genre en Europe. Toutes les règles de discrétion gardent le même sens en Europe parce que la femme, voyez-vous, reste un objet dans cette poésie-là. Elle est déjà un objet financier et politique qui sert à consolider les fortunes et les possessions terrestres par le mariage. Là elle devient un objet de désir, mais avant de se laisser faire elle va être hyper-prudente parce que son psychopathe de mari, s’il n’est pas en train de tuer de l’infidèle, pourrait prendre ombrage à son désir de prendre un amant.

Remarquez que le poète doit aussi être assez prudent. En termes contemporains, imaginez-vous, en tant que nobody avec un certain sens de la rime et de la répartie, essayer d’aller cruiser Melania ou Ivanka Trump. Disons que vous allez prendre vos précautions, parce que le Donald, il peut être méchant. Et si le Donald du XIIème siècle ne peut pas vous blaster en majuscules sur Twitter, il peut vous faire subir sans trop de difficultés plusieurs autres châtiments qui risquent de vous faire réfléchir à vos choix de vie dans vos trente dernières secondes d’existence alors que vous vous tordez de douleur.

Tout ça pour dire que l’amour courtois, ça a d’l’air ben beau d’même, mais remis dans son contexte, c’est juste une façon de reconnaître que les femmes, même si elles sont des objets dans une game politico-financière, peuvent aussi être des objets sexuels. On peut probablement imaginer de meilleurs modèles littéraires.

Entre Tinder et ça, je préfère Tinder. Les deux partenaires ont au moins le droit de choisir.

 

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Aimer est un geste politique

Hormis une brève période entre la deuxième guerre mondiale et les années 1970, le meilleur indicateur de la richesse future d’une personne est la richesse détenue par ses parents à la naissance. L’essentiel de pouvoir économique occidental est basé sur la transmission du patrimoine aux enfants d’une union reconnue légalement et civilement. Cette tradition a entraîné au fil du temps la codification des relations amoureuses et familiales. Toute une série de constructions sociales pernicieuses en découlent: unions exclusives, contrôle du corps et de la capacité à enfanter des femmes et à cette fin la création du concept de virginité, primogéniture, et toutes leurs dérives légales et religieuses.

Historiquement le développement de la notion de propriété individuelle a mené à la possibilité d’accumuler un patrimoine (pas de propriété = pas de patrimoine) et bientôt, à l’obligation de le faire afin d’assurer des conditions de vie, voire de survie, convenables aux siens. La famille nucléaire, protégée par l’institution du mariage, est devenue une façon pour les mieux nantis de protéger leurs richesses et leurs avoirs et d’en assurer la transmission à l’intérieur d’une classe sociale donnée grâce à la création d’alliance. Pour les moins bien nantis, elle est devenue une obligation, imposée par un cadre social et spirituel qui a eu comme effet pervers d’empêcher toute autre forme d’organisation familiale communautaire permettant aux plus pauvres de s’organiser collectivement contre les riches.

Aujourd’hui les institutions demeurent et leurs effets se font sentir sensiblement de la même façon. La richesse continue de se concentrer entre les mains des rejetons de familles riches, qui s’unissent principalement entre eux. Les mêmes familles unissent les mêmes enfants dans les mêmes quartiers de la métropole, au grand plaisir des médias qui en font de grasses feuilles de chou. Les unions (et avec un certain plaisir pervers, les ruptures) des riches et célèbres fascinent les téléspectateurs. La naissance n’est pas synonyme de compétence, et un hurluberlu à la Donald Trump peut sans difficulté utiliser le levier économique de la richesse paternelle pour tenter de mettre la main sur un pouvoir démesuré. Les moins chanceux forment des unions amoureuses qui sont aussi des unions économiques afin d’améliorer un tant soit peu leurs conditions de vie. Acheter une maison seul aujourd’hui n’est pas envisageable pour une bonne majorité de la population, par exemple.

Le mariage et la famille sont des outils d’oppression.

Se marier est un geste politique. Enfanter est un geste politique. Regardez l’opprobre qui s’abat encore aujourd’hui chez les femmes qui avoue sans vergogne ne pas vouloir d’enfants. On voit dans les yeux d’autrui le rejet de celles qui refusent de se transformer en vulgaires bêtes de reproduction. Aimer est pareillement devenu un geste économique et politique. Une façon de lutter pour faire sa place dans le cadre oligarchique du XXIème siècle.

Aimer différemment est alors un geste politique nécessaire. C’est un geste de refus des impératifs socio-économiques dictés par autrui. L’anarchie relationnelle est un geste de solidarité, de communauté, de lutte et de dénonciation. Une façon de se soustraire aux diktats du capital et un pas vers la mutualisation, qui sait.

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De la non-importance de l’Amour (avec un grand A)

Si jamais vous recherchez un exercice susceptible de créer le plus de malaise possible lors d’une soirée entre amis, demandez tout simplement à la compagnie assemblée de définir l’amour puis, devant les inévitables vagues descriptions qui en sortiront, relancez-les, posez des questions précises, tentez de clarifier le concept. Vous n’en sortirez au final qu’avec une seule certitude: l’amour, tout le monde sait ce que c’est, mais personne ne peut s’entendre sur ce que c’est non plus. Selon l’expression consacrée de Potter Stewart: « I know it when I see it! » Il y a des objets qu’on ne peut décrire de façon intelligible mais que l’on reconnait par l’expérience.

L’amour pourtant semble pourtant porteur de nuances bien différentes selon qu’il soit décrit par Ovide, par Chrétien de Troyes, par Murasaki Shikibu ou par Omar Khayyam. L’amour semble changer selon les époques et les cultures. C’est que le sentiment touche surtout aux relations interpersonnelles (si on fait exception de la dimension de l’amour-propre) et est par conséquent nécessairement politique. La description de l’amour est aussi un geste politique, un geste de pouvoir visant à renforcer des normes ou des pratiques qui bénéficient aux élites en place. Pensez simplement à l’amour de la « Patrie », à l’amour divin ou à l’amour de dieu par exemple.

L’amour, et particulièrement l’Amour avec un grand A, est une construction sociale. Au-delà de la première sensation physiologique, tout l’aspect émotionnel et comportemental nous est inculqué culturellement. Reproduire ce comportement sans se questionner sur ses origines revient donc à reproduire des comportements favorisant l’élite en place. On voit à quel point l’ouverture de l’amour aux relations entre personnes de même sexe a déplu aux défenseurs de la « famille traditionnelle » – demandez-vous qui bénéficie du statu quo et vous verrez comment ces relations de pouvoir ont dû s’adapter à cette nouvelle réalité.

Mais pourtant, l’amour existe. Du moins, beaucoup d’entre nous le ressentent. Seulement, l’amour demeure un sentiment très personnel, presque indéfinissable. S’approprier l’amour, c’est déterminer dans quelle circonstance nous sommes prêts à l’affirmer face aux autres. Par exemple, l’amour pour moi est un état ressenti de plénitude dans ma relation avec une ou plusieurs personnes. Mon « je t’aime » exprime verbalement cet état. Mais mon « je t’aime » n’attends pas nécessairement la réciproque. Il sous-entend aussi que l’autre est libre de définir l’amour à sa façon et de l’exprimer si et comme il ou elle l’entend. Vouloir autrement serait tenter de reproduire, dans une relation intime, les mêmes relations de pouvoir que la société utilise via l’aspect codifié du langage et des normes culturelles.

De là découle l’importance de défier ces normes, de présenter publiquement d’autres visions et manifestations amoureuses. Il n’y a pas d’Amour avec un grand A. Il n’y a pas de liberté sans choix. Il y a l’amour, avec plusieurs a, pleins de petits a qui sont néanmoins authentiques et vrais.

 

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Anarchie relationnelle, anarchie économique, anarchie politique

Comme je l’ai soulevé lors de ma dernière montée de lait, il y a une confusion sémantique qui entoure le terme « anarchie ». À proprement dit l’absence de hiérarchie, il est interprété plus vulgairement comme l’absence d’ordre social, de loi, voir le chaos généralisé. Dans quelques dictionnaires et dans l’usage commun, c’est même cette définition qui est privilégiée, au détriment de la racine grecque originale (« absence de chef »).

Mais pourquoi rejeter la hiérarchie? La réponse est relativement simple: pour remettre l’humain au coeur des préoccupations. Je vous présente par exemple deux exemples (économique et relationnel) et les impacts sur la sphère politique.

J’ai fait allusion au livre de David Graeber: Debt, the first 5000 years, dans ma dernière montée de lait. Outre que c’est un magistral exposé réconciliant les approches historiques, anthropologiques et économiques afin d’étudier l’évolution de la monnaie, de la dette, de l’esclavage et des relations de pouvoir entretenues ainsi dans les derniers millénaires, le livre révèle également comment, par une aberration historique, la motivation du profit est devenue un idéal, une fin en soi, un domaine objectif, lors des derniers siècles uniquement. La poursuite de cet idéal (l’idéal du profit) au détriment de tout autre – sa hiérarchisation  – a permis de déshumaniser les rapports humains, menant à des horreurs à une échelle auparavant inimaginable, illustrées notamment par la traite des esclaves.

Le mot clé ici est « déshumaniser » en faisant d’un domaine abstrait (le profit) un idéal tangible.

Or c’est un constat qui s’observe dans les relations amoureuses également. Un idéal a été mis de l’avant dans notre société au dépens des autres: celui du couple hétéronormatif. La poursuite de cet idéal abstrait mène  à l’ostracisation des personnes qui ne s’y conforment pas, et surtout à la hiérarchisation des rapports interpersonnels. Un(e) conjoint(e) devient ainsi une personne plus importante qu’un(e) ami(e), qu’un membre de votre famille, que vos collègues, vos voisins, votre communauté, etc. Cet idéal est tellement fort qu’il vous prive de toute marge de manoeuvre décisionnelle: vous êtes unis « pour le meilleur et pour le pire » et « jusqu’à ce que la mort vous sépare. » Vous êtes maintenant déshumanisé. Tout comme seule la mort arrête de faire de vous un esclave, seul la mort arrête de faire de vous un conjoint.

Heureusement, dans plusieurs parties du monde (mais pas partout) les positions face à l’esclavage et à la tyrannie du mariage se sont un peu adoucies, et les lecteurs ne se reconnaîtront pas tous dans les descriptions ci-haut. Mais tous savent qu’il ne faut pas regarder bien loin pour trouver des cultures qui n’ont pas cette ouverture.

Ceci dit, l’impact de cette déshumanisation des rapports se fait toujours sentir dans nos propres systèmes politiques et légaux. La poursuite du profit est encouragée au détriment de celle du travail et les gains en capital, de même que les dividendes, reçoivent un traitement fiscal préférentiel. Les protections octroyées aux couples mariés, autant du point de vue fiscal que juridique, dépassent celles octroyées aux simples conjoints de faits, qui elles-mêmes dépassent celles octroyées à toutes les autres formes d’organisations relationnelles. Ces dernières n’ont tout simplement aucune reconnaissance légale que ce soit.

Le but de l’anarchie n’est donc pas d’empêcher les gens de faire de l’argent ou d’être en couple. Le but de l’anarchie est de « ré-humaniser » les relations, les rapports qu’ont les gens entre eux en faisant disparaître les normes, les idéaux arbitraires, les fausses hiérarchies, et en mettant l’accent sur la qualité des relations interpersonnelles et communautaires. Une politique anarchiste se concentre donc par conséquent sur le bien-être des personnes, plutôt que sur leurs biens ou leur façon d’être.

 

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L’anarchie de Madame Ravary

Parfois, le titre d’un billet nous interpelle. Ce fut le cas du billet intitulé « L’anarchie sexuelle » et publié par Lise Ravary. Malheureusement, ce billet est d’une pauvreté intellectuelle navrante. Je n’ai pas hélas le privilège de distribution à des centaines de milliers de lecteurs, mais rectifions au moins certains éléments.

Madame Ravary se questionne sur  » la crise des valeurs créée par le plus important chambardement social du 20e siècle. » Parlons-en.

Dans le billet en question, les fugues hautement médiatisées de trois jeunes filles dernièrement sont dues à – roulement de tambour – la pilule anticonceptionnelle.

L’auteure ne comprend pas comment (et je cite) « une jeune fille, intelligente, belle, qui a grandi dans une famille traditionnelle, à l’aise, qui fréquentait un collège privé exclusif, fugue à répétition. » Manifestement, il doit y avoir quelque chose dans notre tissu social qui cause ça. Un lien causal entre tout ces évènements. Manifestement, ce doit être la libération des moeurs. Le fait que le point commun entre ces fugues soit plutôt le Centre Jeunesse de Laval est complètement escamoté. Parce qu’évidemment, c’est inconcevable qu’une jeune fille qui fréquente un collège privé et vient d’une famille traditionnelle puisse vivre le genre d’enjeu qui la mène au centre jeunesse. Voyons-donc.

Au contraire, on fait une charge à fond de train contre la libéralisation des moeurs et l’abandon des valeurs traditionnelles et conservatrices. Parce que, voyez-vous (et je cite encore), « avant la révolution sexuelle, l’homme demandait, la femme disposait. Les gars s’attendaient à se faire revirer comme une crêpe au terme d’une tentative de conquête sexuelle. »

Madame Ravary: dans quelle espèce de réalité alternative vivez-vous??? Les situations de privilège mènent inévitablement aux abus: abus de pouvoir, violence physique et sexuelle.  En témoignent les viols de guerre commis en Algérie dans les années 50, les centaines, voire milliers de viols commis sur des femmes en pays alliés (France et Angleterre) par les GI américains lors de la deuxième guerre mondiale, l’abus constant d’enfants dans les pensionnats religieux du Québec à la même époque. En témoigne une culture du viol encore fortement ancrée dans nos moeurs, et toujours aujourd’hui des juges banalisent l’agression sexuelle en raison de l’habillement ou du supposé « plaisir » qu’aurait eu la victime, toujours des imbéciles de première classe tel Roosh V défendent la pratique du « viol légal » [sic].

Madame Ravary adhère à la thèse selon laquelle  » la libération des mœurs sexuelles mènerait tout droit à l’anarchie sexuelle, à une augmentation des divorces, à de la négligence parentale, à une augmentation des problèmes de santé mentale. »

Ceci révèle: 1) une méconnaissance de la signification du terme anarchie, utilisé ici péjorativement comme « chaos, désordre » plutôt que proprement comme absence de hiérarchie. 2) une méconnaissance de plus de deux siècles de luttes féministes, avec notamment l’enjeu du contrôle des naissances, du contrôle du corps, qui remonte facilement jusqu’au XIXème siècle (et encore plus loin, en réalité, mais restons-en à l’histoire moderne) 3) un ramassis de préjugés sur la négligence parentale et la santé mentale, et j’en passe.

Et Madame Ravary conclut enfin sur ces deux perles: « lorsque la culture populaire glorifie une sexualité-divertissement déconnectée des sentiments, doit-on s’étonner quand cela arrive » et surtout « La nouveauté de notre époque «pas mêlée à peu près», c’est qu’ils [les pimps] arrivent à faire croire à leurs proies qu’elles sont consentantes. » Misère!

Mais c’est ainsi que toutes les cultures de domination fonctionne! Le motus operandi habituel – acheter quelques babioles, des vêtements, de la drogue, peu importe, puis réclamer un remboursement – est le propre de la domination économique et de l’esclavage depuis l’antiquité. Et dans tous les cas, ces relations sont librement consenties: la personne contractant la dette n’arrive pas à payer et se résout à se vendre en esclavage, bien que les dés soient pipés dès le départ. David Graeber en fait la démonstration éloquente dans « Debt: the first 5000 years. » Chaque fois que l’argent est vu comme tangible, réel, séparé des relations humaines, il est utilisé comme outil menant inévitablement à l’esclavage économique.

Depuis un peu plus de cinq siècles, la culture populaire – en fait, la culture occidentale, capitaliste – promeut surtout une vision de l’argent comme valeur intrinsèque, réelle, tangible et déconnectée de l’humain. Comme une fin en soi. Par conséquent, le processus de déshumanisation est encore plus fortement ancré dans les moeurs. Le petit pimp de basse cour ne reproduit pas un comportement novateur suite à l’introduction de la pilule.

Il suit exactement le même comportement que tous les capitalistes suivent depuis des lustres.

Mais ça, toutes les Madames Ravary du monde ne peuvent l’accepter. Parce que pour ça, la droite libertaire doit accepter une vision selon laquelle la liberté recherché, en réalité, est celle d’imposer leur domination aux autres sans qu’une intervention gouvernementale protège ces derniers. Elle doit accepter que la base du système capitaliste réside dans l’endettement perpétuel et inextricable des masses, maintenu en place par cette même domination.

Admettre cela tue le capitalisme. Alors on se rabat plutôt sur un passé imaginaire, sur des valeurs qui n’ont jamais existé, sur des mythes d’un âge d’or révolu. Et on prend les symboles que l’on peut pour le défendre, quitte à faire fi (et c’est là l’odieux) de la souffrance bien réelle que vivent ces victimes.

Par pitié, si vous n’êtes pas capable d’utiliser votre tribune pour faire part d’une réflexion ancrée dans la recherche historique, sociale et anthropologique, dans les faits, plutôt que dans les préjugés, cessez d’écrire.

 

 

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L’histoire du désir féminin (lien externe)

De temps en temps je vous redirigerai ainsi vers des articles ou des liens que je trouve inspirant ou porteur de réflexion.

Ici un article de L’Hebdo sur le désir féminin, et surtout, son évolution à travers les âges. Où on voit que certaines conceptions modernes sont en porte-à-faux avec la tendance historique.

Bonne lecture!

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Le magasinage

« Ah, on l’sait ben, aujourd’hui les jeunes, avec les sites de rencontre en ligne, c’est comme du magasinage de partenaires… »

Euh… Parce que tu crois qu’on a inventé le magasinage au XXIème siècle?

(NDLR pour les Européens: « magasinage » est la traduction québécoise de « shopping »)

Bref, on retourne un peu en arrière, disons, dans le Québec rural d’antan. Et oups, le choix de partenaires soudainement vient de rétrécir pas mal. Du genre, une fois que tu rayes de la liste tout ceux qui ont un lien de parenté un petit peu trop évident, il ne reste plus grand monde. À part M. le curé et le grand Jack du fond du rang avec les dents toutes croches qui est confus depuis qu’il a mangé une ruade de sabots par la tête un soir de guignolée. Et M. le curé est comme pris ailleurs, disons.

Bref, c’est pas vargeux. Alors vous vous mettez à cinq-six paroisses pour organiser des veillées. Histoire de maximiser les chances de match, un peu. De faciliter le magasinage. Et encore, le choix est pas terrible. Tu vas t’estimer chanceuse si tu trouves un gars travaillant et pas trop ivrogne qui te sacrera pas une volée en rentrant à la maison. Et ça, pour ceux et celles qui fittent dans le moule binaire/hétéro. Je vous laisse imaginer le calvaire des autres.

Remonte dans le temps et le pattern reste le même. Jusqu’aux communautés primitives qui vont voler leurs partenaires dans les tribus voisines. Un rituel. Un rapt. C’est culturel. Pas sûr que c’est si agréable que ça moi…

Et le problème, derrière ça, c’est quoi? À part l’absence évidente de consentement? En partie l’absence de choix. Non seulement au niveau du partenaire, mais aussi au niveau de sa propre sexualité, de sa reproduction (ou pas!), de sa sécurité physique et émotionnelle. Une pauvreté si manifeste qu’on l’encode culturellement.

XXIème siècle. On a le choix. Et là y’a les nostalgiques férus de valeurs familiales qui vont se cacher sous une critique de la société de consommation en disant que, justement, c’est du gaspillage, de la consommation outrancière. Mais c’est un argument sans substance. Parce que rien n’est gaspillé. Une relation se termine, 10 autres pourront commencer. Rien ne se perd, tout se crée ou se transforme. Rien ne se perd, sauf vos codes culturels archaïques qu’on met aux poubelles avec un enthousiasme délirant.

Alors oui, on magasine. On écrit de nouveaux codes. Et c’est une maudite bonne affaire.

 

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