Relations, transactions, émotions

Qu’est-ce qu’une relation? C’est une question en apparence anodine, mais qui a une portée très importante pour les polyamoureux, libertins, anarchistes relationnels et même pour les plus traditionnels monogames.

Prenons par exemple la « relation sexuelle ». Celle-ci est définie de différentes façons (d’un point de vue légal, amoureux, voir commercial) et une certaine littérature tend à présenter un « idéal » qui culmine généralement vers l’orgasme simultané des deux partenaires.

Le problème avec ce modèle, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une relation que d’une transaction sexuelle. Les deux partenaires se voient dans l’obligation mutuelle de se livrer un service équivalent (l’orgasme). C’est un échange à valeur strictement égale. Par la suite, les comptes étant équilibrés en quelque sorte, il n’est plus nécessaire de maintenir d’interaction entre les parties.Et si un des partenaires n’obtient pas satisfaction, la relation (lire, la transaction) est insatisfaisante. La valeur du service obtenu n’équivaut pas celle du service rendu.

Ainsi, une transaction est une opération limitée dans le temps, ou deux (ou plusieurs) parties échangent des biens ou service d’une valeur équivalente. Une relation est en réalité un ensemble  d’obligations ou d’attentions mutuelles qui se déploie dans le temps et dont la valeur ne peut jamais être parfaitement retournée. Une réelle relation sexuelle sera ainsi fait d’une série de dons réciproques de gestes, de plaisirs, d’attentions qui, même s’ils pouvaient être parfaitement évaluées, ne sont jamais strictement égaux à ceux reçus. L’atteinte de l’égalité met de facto fin à la relation. Celle-ci se poursuit tant que les deux partenaires (ou plusieurs) ont au contraire envie de continuer à donner et à recevoir, ce qui permet l’émergence de pratiques qui visent justement à  éviter l’orgasme, la fin de la relation.

Il en va de même pour les relations amicales, amoureuses, bref, tout type de relation. Si je vais au cinéma avec un ami, et que nous payons chacun nos billets, nous n’avons plus aucune obligation/attente de nous voir par la suite. Si l’un des deux paie pour l’autre, il y a une obligation circonscrite à un montant bien précis, et facilement acquittable. Mais si cette obligation est remboursée avec un service de valeur, disons, légèrement supérieure (je te paie le souper ensuite), l’obligation est renversée. Avec le temps, cette série d’inégalités dans les valeurs données et reçues perd complètement son importance puisqu’elle a permis d’établir un cadre relationnel, une série d’échanges mutuels et réciproques qui s’inscrit non pas dans l’instantané, mais dans la durée.

C’est encore plus vrai si les services échangés n’ont pas de valeur quantifiable. Une amie qui vit une peine d’amour peut venir se confier à moi. Je peux avoir besoin de discuter pour clarifier mes pensées sur un enjeu donné. Un baiser, une caresse tendrement consentie peut réconforter.

Il est important de séparer ces deux concepts, non pas pour en valoriser un au détriment de l’autre. Au contraire, les deux ont leur utilité, leur pratique, et peuvent répondre à des besoins ou des désirs bien différents. Il est important de les séparer pour s’assurer,  lors de nos interactions avec autrui, qu’il y a entente sur le mode utilisé: sommes-nous en mode relationnel ou transactionnel? L’exemple classique est celui ou un des partenaires à des attentes à long-terme via une activité alors que l’autre n’en a pas: un one-night vs une relation plus élaborée.

La reconnaissance du besoin et des attentes de l’autre est donc un nécessaire signe de respect et la première étape pour s’assurer que les émotions des partenaires ne seront pas négligées.

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Anxiété de performance

« Parfois, j’ai peur que tu me compares aux autres. »

C’est une phrase à laquelle j’imagine plusieurs polyamoureux/ses ont eu à faire face. Les racines de cette peur et de cette inquiétude sont profondes, mais se résument à deux préoccupations primaires. Pour répondre à la question, et pour calmer l’inquiétude, il est important de répondre aux deux.

A) Le mythe du « super-conjoint » ou de la « super-conjointe »

Ce mythe est bien ancré dans la tête des gens dès leur plus jeune âge. Votre conjoint doit vous compléter parfaitement. Il doit être à la fois votre meilleur ami, un amant hors-pair, votre amoureux. Votre conjointe doit être la meilleure mère pour vos enfants, une bombe sexuelle, votre confidente et votre soutien en toutes occasions. Bref, vous devez être tout pour elle ou pour lui. Allez faire un bref survol des fiches sur quelques sites de rencontre et vous attesterez au retour de la prépondérance de cette mentalité.

C’est bien entendu farfelu. Derrière ce concept social, il y a un mécanisme insidieux, celui de la mise en évaluation constante de l’autre. Je te choisis parce que tu es une meilleure personne. Voire LA meilleure personne (sinon, le risque qu’une personne encore meilleure arrive trouble la quiétude de la relation. Et d’ailleurs, prolongeons cette parenthèse en avançant qu’une grosse partie du deuil des séparations est causée par cette idée, que l’autre nous laisse pour quelqu’un de meilleur, ce qui diminue notre valeur et ajoute à notre douleur.  Mais ça, ce sera un autre billet). Autrement dit, l’amour est une compétition et votre partenaire l’a emporté.

Ça, c’est dans le meilleur des mondes. Car dans le pire, la femme aura été conditionnée dès son plus jeune âge à penser qu’elle devra être tout pour son mari, faire tout pour le satisfaire, au risque de le perdre, ce qui serait non seulement de sa faute, mais un témoignage de l’échec de sa féminité.

Dans un contexte polyamoureux, ça ne fait carrément aucun sens. L’autre est apprécié(e), aimé(e) non pas en raison de son rang (le meilleur) mais en raison de l’ensemble de ses caractéristiques intrinsèques. De son unicité, justement, qui nous invite à vouloir le découvrir, à partager avec elle plusieurs moments de sa vie, etc. Chaque personne a son propre éventail de qualités qui pourront ou non nous plaire, et que nous voudrons explorer sans nécessairement le faire dans l’exclusivité. L’amour n’est plus une compétition. Il est partage, découverte, liberté.

B) La sexualité comme un sport de haute performance

La phrase d’ouverture peut se prononcer dans différents contextes, mais je l’ai le plus souvent entendu en relation avec ma vie sexuelle. C’est l’autre préoccupation exprimée par cette inquiétude. Le fait que la sexualité soit devenue ou soit vue comme une activité de haute performance. Acrobaties, performances physiques parfois physiologiquement insoutenables et au final peu compatibles avec le plaisir, oubli de soi pour se centrer uniquement sur la performance du partenaire (souvent masculin) sont des aberrations véhiculées par la pornographie mais aussi par la psycho-pop ambiante (« 10 trucs infaillibles pour satisfaire votre partenaire entre les couvertes! »).

Et si on prenait un pas de recul?

La sexualité, comme tous les types d’interactions humaines, existe simultanément dans plusieurs domaines. Oui, la sexualité comme lieu de performance existe, et elle peut être d’ailleurs très satisfaisante. Mais la sexualité`est aussi un lieu de discours, un lieu de partage, un lieu d’intimité, un lieu de confiance, de vulnérabilité, la liste pourrait s’allonger à l’infini.

Deux amants qui se connaissent depuis des années peuvent se voir régulièrement, et réserver l’acte sexuel à de plus rares occasions. Le geste devient ici l’occasion de réactualiser une intimité, une intensité d’émotion peut-être, et peut s’exprimer dans la plus grande simplicité tout en étant porteur d’une charge affective immense.

Autrement dit, la sexualité n’est pas non plus une compétition où les amants et amantes doivent se démarquer, se battre les uns contre les autres pour marquer le plus de points possibles.

La sexualité, au contraire, est une sphère de partage également, les éléments qui y sont inclus étant propres et spécifiques à chaque relation et, de fait, incomparables les uns avec les autres.

Je ne vous compare pas les unes avec les autres. Je ne cherche pas à vous mesurer dans la sexualité. Je cherche à mieux vous connaître. Je cherche à mieux communiquer. Je cherche à partager. Je cherche à aimer. De la façon qui nous rejoint le mieux, à cet instant précis. Peu importe qu’à cet instant précis vous soyez une, deux ou plusieurs dans ma vie ou dans mon lit.

 

 

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