Des relations entre personnes exclusives et non-exclusives

Ce billet traitera des relations entre les personnes non-exclusives (polyamoureuses ou anarchistes relationnelles) et celles plus traditionnellement monogames. Je n’ai pas la prétention d’avoir l’autorité finale en la matière, alors je vous invite à voir ce billet comme une réflexion et surtout, une invitation à ajouter vos commentaires ci-bas afin d’amorcer une discussion plus soutenue.

(Précision: par « exclusivité » j’entends dans ce billet exclusivité romantique et/ou sexuelle. L’exclusivité amicale ou relationnelle ne fais je crois aucun sens pour la grande majorité de la population.)

On pourrait à prime abord se demander pourquoi deux personnes n’ayant pas la même vision de l’exclusivité voudraient être en relation. Mais il y a tout un éventail de réponses qui explique cet état de fait. Par exemple, dans une relation existante, un partenaire dans un couple plus « traditionnel » découvre qu’il n’est plus confortable avec l’exclusivité. Mais plus fréquemment, le bassin de personnes exclusives est tellement plus vaste qu’il est presque inévitable pour une personne non-exclusive de développer un lien d’attachement avec l’une d’entre elles un jour.

On pourrait aussi se demander pourquoi une personne exclusive voudrait être en relation avec quelqu’un qui ne le sera pas. Encore une fois, les réponses et les cas de figure sont très variées. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que le succès de ces relations vont souvent dépendre de ce que les partenaires impliqués fassent la distinction entre deux éléments:

  1. Le désir d’une personne d’être exclusive
  2. Le désir d’une personne que son/sa partenaire soit exclusif(ve) également.

L’exclusivité romantique et sexuelle est une orientation et un choix tout à fait respectable. En soi, demander à quelqu’un de devenir polyamoureux ne fait pas vraiment de sens, surtout si la personne sent qu’elle n’a ni le désir, ni les capacités de s’investir émotionnellement dans plus qu’une relation.

Mais ceci dit, rien n’empêche une personne exclusive d’accepter et de comprendre que ses partenaires ne le soient pas. (On peut aussi imaginer le scénario contraire, soit une personne non-exclusive qui veut que ses partenaires lui soient tous et toutes exclusifs et exclusives, mais ceci soulève des préoccupations éthiques évidentes). Les circonstances de vie de cette personne feront qu’elle voudra être un partenaire privilégié ou pas, c’est selon.

Le premier exemple qui vient en tête est celle de la relation « primaire » ou « principale » (les termes ne font pas l’unanimité) où un des deux partenaires accepte que l’autre aille chercher ailleurs à combler certains besoins affectifs ou sexuels, avec la confiance qu’il restera le partenaire principal et que les deux continuent à s’investir ensemble dans leur principaux projets de vie. Ce type de relation peut être explicite dès le départ, ou peut être le résultat de l’évolution personnelle d’un des deux partenaires, ce qui nécessite évidemment une réévaluation de la relation en cours de route.  Voici deux exemples (qui sont loin de former une liste exhaustive on s’entend):

  • une personne qui désire explorer une sexualité ou des activités plus alternatives (kink ou BDSM) qui n’attirent pas son partenaire, ou encore vivre pleinement son orientation sexuelle/romantique (par exemple pour une personne bisexuelle et/ou biromantique) et qui le fait, de façon transparente, hors du couple.
  • Une personne asexuelle qui comprend le besoin de son ou sa partenaire et accepte qu’il ou elle puisse explorer ces derniers hors de leur relation.

On peut tout aussi bien imaginer une personne exclusive en tant que partenaire « secondaire » – ou faire partie d’une relation sans aucune distinction hiérarchique entre les partenaires, avec une personne solo-polyamoureuse, ou anarchiste relationnelle par exemple.

Deux cas de figure reviennent ainsi régulièrement :

  • Le « En attendant… » La personne exclusive souhaite éventuellement former un couple monogame, mais fréquente un partenaire poyamoureux ou anarchiste relationnel avec qui elle peut explorer et combler des besoins affectifs ou sexuels, en général avec la compréhension que cette relation évoluera vers un mode plus platonique si la première personne en vient à former un couple exclusif avec un autre partenaire dans le futur.
  • Le « Trop occupé… » La personne exclusive préfère investir une majorité de son temps et de son énergie dans d’autres projets professionnels ou personnels (carrière, famille, études, etc.) et n’a donc qu’une disponibilité limité pour un engagement de type romantique ou sexuel.

Il faut noter que ces éléments peuvent être fluides, chez chaque personne. C’est explicite dans le premier cas de figure, mais aussi très probable dans le second cas. Il est de la responsabilité des deux partenaires impliqués de communiquer leurs attentes face à la relation, leurs limites et leurs désirs, et de s’engager en acceptant et reconnaissant que ces situation puissent changer avec le temps. Les liens émotionnels seront bien réels de part et d’autres et les deux partenaires doivent faire preuve de compassion pour l’autre lorsque la relation se transforme. Ainsi un partenaire « en attendant » peut renoncer à l’exclusivité et désirer des liens romantiques forts avec plusieurs personnes – bien que plus probablement il ou elle trouvera plutôt un partenaire exclusif, tel qu’entendu dès le départ. La personne « trop occupée » pourrait éventuellement dégager plus de temps dans son horaire, mais ce temps ne sera pas nécessairement consacré à son partenaire actuel. Elle pourrait tout autant chercher un partenaire exclusif que chercher d’autres partenaires non-exclusifs.

Les attitudes et comportements qui facilitent ses relations pour tous les partenaires impliqués pourront faire l’objet d’un billet futur – je sollicite particulièrement votre feedback à cet effet, surtout pour les gens qui ont des relations de type hiérarchique. La confiance, le respect de soi et d’autrui, la compassion et la communication sont, comme pour toute relation, les piliers qui soutiendront les partenaires.

Il faut retenir que tous les choix de mode relationnels présentés ci-haut sont des choix valides et sains s’ils sont vécus de façon transparente entre les partenaires, avec leur consentement et avec la plus grande considération pour les besoins et l’intégrité de ces derniers. Une relation abusive, teintée de mépris, ou encore une relation où un(e) des partenaires est un peu contraint(e) d’adhérer à des comportements ou d’accepter ceux de l’autre, est malsaine qu’elle soit exclusive ou non.

 

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Le mythe de la relation parfaite

Admettez-le, on a tous entendu ces petites phrases en tentant de supprimer un haut-le-coeur: « je ne cherche pas la personne parfaite, je cherche la personne parfaite pour moi », « je suis parfaitement imparfaite », et autres variations sur le même thème. Au son de ces clichés éculés, nous devrions nous pâmer d’émotion devant tant de romantisme. En réalité, ces expressions véhiculent et renforcent deux conceptions erronées des individus et des relations. Aussi bien défaire cela dès maintenant:

  1. Il y a un idéal individuel vers lequel il faut tendre.
  2. Il y a un idéal relationnel vers lequel il faut tendre

La première conception est ancrée dans la philosophie et la psyché occidentale depuis des siècles, ce qui ne la rend pas moins pernicieuse. Estimer qu’il y a un idéal individuel à émuler revient à penser que tous les gens, peu importent leurs circonstances de vie, leurs caractéristiques physiologiques et psychologiques, leur environnement, ont les capacités, le désir, le besoin  et les chances  d’atteindre cet idéal.

Ce faisant, on met l’emphase sur tout ce que la personne n’est pas, tout ce qu’elle n’atteint pas, plutôt que de se concentrer sur ses qualités, ses réalisations. On refuse aussi de prendre en compte le privilège sur lequel est généralement construit cet idéal (homme blanc, cisgenre et neurotypique, de classe moyenne ou aisée, etc.).  La vie peut avoir tendu son lot d’embûches empêchant quelqu’un d’étudier, de se développer normalement, d’être à l’aise socialement, ou de s’accomplir professionnellement. De loin, de l’extérieur, il est aisé de simplement juger en jetant pêle-mêle tout le monde dans la catégorie « loser ». Ce jugement nous empêche de discerner leurs réelles qualités, de percevoir la souffrance contre laquelle ils ou elles peuvent se défendre, souvent maladroitement, et de faire appel à notre compassion afin de guider nos interactions.

Il en est de même de la seconde conception. Les relations, particulièrement les relations amoureuses, sont idéalisées à l’extrême. L’industrie du divertissement en fait ses choux gras. Mais à trop chercher la relation « parfaite », celle qui répondra en tout point à nos désirs, y compris les désirs qui nous ont été appris par acculturation, par conformisme, on se met à négliger le potentiel de toutes ces relations « imparfaites ». On se retrouve dans un état de profond déséquilibre, oscillant entre un état de manque permanent (« je n’ai pas trouvé le bon ou la bonne ») et un état de contentement risqué – car comme vous le dira n’importe quel investisseur, ce n’est pas la stratégie la plus avantageuse que de mettre tous ses oeufs dans le même panier!

En réalité, chaque relation, si « imparfaite » soit-elle selon les modèles standards, a le potentiel d’enrichir ceux qui la vivent de diverses façon, tout comme elle peut également leur nuire, ne le cachons pas. L’anarchie relationnelle devient alors (entre autre) une façon de célébrer les éléments positifs qui unissent les partenaires en relation, de se concentrer sur ces derniers, tout en permettant aux personnes concernées de vivre simultanément d’autres relations leur permettant de combler diversement le reste de leurs désirs et besoins.

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Amitié, sexe, et polycule

Une question que je me fais souvent poser en différents milieux, en tant que polyamoureux ouvert et assumé, est celle du nombre de partenaires: « Oui mais, tu en as combien dans ta vie, là? » Et étrangement, c’est une des questions les plus difficiles à répondre pour les anarchistes relationnels. Une partie de la difficulté repose dans la crainte du préjugé: il est facile de tomber dans le « slut-shaming » (il nous faut vraiment un équivalent français pour cette expression!) que ce soit envers nous ou nos partenaires.

Mais la difficulté principale repose dans la conception bien différentes des relations. Lorsque la question est posée, l’interlocuteur a souvent en tête un type de relation bien précise: la relation romantique à composante sexuelle. En réalité, comme les relations sont fluides et ne sont pas hiérarchisée de toute façon selon les axes du romantisme et de la sexualité, il est impossible de fournir une réponse exacte à cette question.

Par exemple, j’ai une amie très proche avec laquelle j’ai une relation qui oscille entre le platonisme et le romantisme. D’une part la frontière entre l’amitié et l’amour peut être très floue, d’autre part cette frontière n’a tout simplement aucune importance pour nous. Selon notre état émotionnel, nos désirs, nos besoins, la relation prendra une forme où une autre lors de nos rencontre. C’est plus ou moins imprévisible et c’est très bien ainsi. Dois-je l’inclure dans le total? Dois-je l’inclure seulement si nous avons couché ensemble la dernière fois? Ou si j’espère que nous coucherons ensemble la prochaine fois? Cette relation tombe en-dehors des cadres normatifs traditionnels. N’empêche qu’elle est profondément significative pour nous deux.

Un autre exemple: j’ai une amante qui habite à des centaines de kilomètres. Nos rencontres sont forcément très, très épisodiques, axées principalement sur la sexualité (même si on peut autant savourer notre compagnie en ne prenant qu’un verre tranquille), et se comptent annuellement sur les doigts d’une main selon nos déplacements respectifs. Est-ce une relation au sens conventionnel du terme? Si nous sommes dans la même ville nous essaierons de nous voir, mais sans obligation ni pression. Bien que nous ayions tous les deux un profond respect l’un pour l’autre et une excellente communication, il n’est pas par contre question de romantisme. Dois-je l’inclure dans le décompte?

Enfin, je termine sur un exemple très concret pour illustrer la variété des relations qui peuvent être incluses dans un polycule. La mère de mes enfants et moi avons une relation purement platonique depuis plus de sept ans. Par contre, nous avons un niveau de complicité et d’intimité remarquable (ce qui est un peu normal pour deux co-parents), nous nous entraidons régulièrement, que ce soit au niveau personnel ou professionnel, et communiquons probablement à chaque jour ou presque. Dans sa forme actuelle, cette relation nous convient parfaitement tous les deux et est très importante pour nous. Dois-je l’inclure dans le décompte?

La réponse passe par le concept de « polycule », soit la représentation des relations polyamoureuses avec un modèle inspiré des molécules. Différents types de liens m’unissent à chaque individus dans ce modèle, et ces liens peuvent se transformer, disparaître momentanément ou sporadiquement, de même que les liens entre ces individus et toutes les autres personnes qui sont également dans leur polycule. Notez qu’on peut décrire ses relations sous forme de polycule sans être polyamoureux! Dans ce type de modèle, il est possible d’inclure les partenaires selon l’intensité, l’intimité de la relation plutôt que des caractéristiques arbitraires. Ainsi, la relation entre ami(e) et amant(e) s’estompe car elle ne fait plus aucun sens.

La force principale de l’anarchie relationnelle réside donc dans la qualité des relations plutôt que dans leur définition. C’est un élément primordial, car nous ne pouvons ainsi jamais prendre pour acquis l’autre personne simplement en se basant sur le statut relationnel. Au contraire, le vécu doit être partagé et renouvelé régulièrement, ce qui met en place en cercle vertueux qui contribue à la qualité et l’intensité de la relation.

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