Conceptions du temps en (poly)amour

Notre société a plusieurs métaphores face au temps – ces métaphores en révèlent long sur nos priorités collectives. La plus commune est de voir le temps comme une ressource, une ressource limitée et rapidement épuisable, en forte demande, et ayant par conséquent une valeur. D’ailleurs, c’est ainsi qu’on rémunère votre temps, mais c’est aussi la base de plusieurs clichés « pop-philosophiques » du genre « Imaginez que vous débutiez chaque journée avec 86 400$ en banque mais qu’ils disparaissent à la fin de la journée ».

Comme le temps est une ressource que nous mesurons, que nous quantifions, ça nous permet de mettre des jalons à des quantités prédéterminées (que nous appelons des dates) et conséquemment de fixer des objectifs pour ces jalons. On veut être millionnaire à 40 ans, on veut prendre sa retraite à 55-60-65 ans, on veut finir d’acheter nos cadeaux de Noël pour le 23 décembre. Les relations n’y échappent pas: on veut être en couple à 25 ans, acheter une maison à 30 ans et avoir des enfants dans l’année qui suit, par exemple.

Ce n’est pas faux. Le temps peut effectivement être vu comme une ressource que l’on peut mettre à profit. On utilise le temps donné pour travailler sur une relation, atteindre des buts, progresser dans sa carrière. Cette métaphore sous-tend l’ascenseur relationnel. Mais ce n’est pas la seule métaphore qui tienne, au contraire. Il y en a au moins deux autres qui sont particulièrement appropriées pour les polyamoureux.

Tout d’abord, je suggère de voir le temps comme un espace que l’on occupe (ou pas). Les polyamoureux qui ont de la misère à jongler les rencontres dans leur agenda hyper-chargé comprendront instantanément ce que je veux dire. Au lieu de voir les jalons temporels comme des cibles ou des marqueurs, on peut les voir comme des frontières qui définissent un espace, espace qui sera consacré à une activité précise: passer une soirée avec son amoureux-se. Rencontrer des amis. Étudier. Ne rien faire (parfois, il faut délimiter un espace juste pour ça).

Si, dans la première métaphore, l’humain est en mouvement dans le temps (qui lui aussi est en mouvement) et cherche à atteindre un objectif donné, dans la seconde, il peut être immobile. Il occupe un espace de temps qui est d’ailleurs aussi immobile. L’important n’est plus nécessairement d’atteindre un objectif, l’objectif étant d’avoir immobilisé le temps pour vivre une activité précise.

Mais il rester une autre possibilité à explorer, soit que l’être humain demeure immobile, mais que le temps se déplace autour de lui. Autrement dit, au lieu de nous voir nous-mêmes motivés par un but, par un objectif, et agir en conséquence (une vision téléologique de l’existence et des relations) on peut aussi s’imaginer comme existant tout simplement dans le moment présent, nous adaptant aux circonstances, rencontres et partenaires qui nous sont présentés par les flots incessant du temps. Dans cette métaphore, le temps est un peu comme une rivière (« la vie est un long fleuve tranquille ») et le polyamoureux, un pêcheur au bord de la rivière qui savoure la journée et, occasionnellement, la prise que la vie laisse dans ses filets mais qu’inévitablement elle reprendra avec elle dans son cours. Autrement dit, un certain détachement face au futur permet l’appréciation plus complète du moment.

Toutes ces conceptions du temps sont valides et enrichissantes dans la mesure où nous sommes conscients de leur existence, bien sûr, mais aussi de leurs limites et de leur portée. Certains des stress vécus en relation (pas tous, loin de là) peuvent être ré-examinés à la lumière de la conception du temps. Sommes-nous trop en train de nous projeter dans le futur et pas assez en train d’essayer d’occuper le moment présent? Essayons-nous de contrôler le temps qui passe plutôt que d’en profiter? Nous voyons nous seuls dans le temps, ou en communauté? Et surtout, d’un point de vue éthique, l’ensemble de vos partenaires et vous êtes vous en phase sur vos conceptions du temps, et la façon dont vos relations évoluent à travers celui-ci?

La prochaine fois que vous sentirez que vous ne profitez pas pleinement d’un moment, posez-vous la question, et faites l’exercice de changer de métaphore. La nouvelle perspective pourrait s’avérer plus intéressante!

 

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La saturation

Un concept dont on ne parle pas à prime abord lorsqu’on traite du sujet de la non-monogamie éthique est celui de la saturation. Comment fait-on pour reconnaître quand assez, c’est assez? Dans un contexte culturel monogame la réponse est assez claire: une personne, c’est assez – notez que certaines cultures font des exceptions pour les amants et maîtresses « illicites ».

Lorsqu’on brise les codes culturels en vigueur, il faut réapprendre à poser les limites, ce qui n’est pas nécessairement évident. Il faut d’une part accepter que oui, nous avons des limites et ensuite essayer de les définir, ce qui est aussi une tâche complexe.

Par exemple, qu’entendons-nous exactement par saturation? Il serait réducteur de réduire le concept au simple nombre de relations (amoureuses ou pas) qu’une personne peut avoir. J’ai déjà mentionné dans un article précédent ma formule « 6 plus ou moins 2 » pour évaluer le nombre de relations simultanées que je me sens en mesure d’entretenir tout en ayant un apport assez enrichissant pour mes partenaires également. Mais comment savoir quand on est dans le « moins 2 » ou dans le « plus 2 »?

Il faut voir la saturation comme un ensemble des circonstances de vie et planifier une contingence pour les aléas de chaque sphère du quotidien. Travail, études, famille et enfants, loisirs, tous ces domaines occupent une partie significative de notre temps et de notre énergie. Chaque nouveau projet, chaque nouvelle passion entraîne une nouvelle ponction de ces précieuses ressources.

Comme les circonstances de chaque personne sont différentes, il n’y a pas de façon universelle de déterminer la « capacité relationnelle » pour ainsi dire. On peut par contre chercher à identifier des signes clairs qui sonnent l’alarme lorsqu’on se rapproche du point de saturation. Lors de la conférence Amours 2.0 qui a eu lieu il y a trois semaines, j’ai apporté l’élément de réflexion suivant: on peut se considérer saturé lorsqu’il devient impossible de prendre du temps pour soi. Simplement avoir un moment seul à ne rien faire, à ne rien faire de productif, de relationnel, d’imposé. Lorsque nous perdons la liberté de nous réserver à nous-même une case dans notre horaire, il est clair que nous avons atteint un seuil qui met en péril certaines obligations, car il suffit d’un simple imprévu pour tout chambouler votre emploi du temps sans qu’il n’y ait de cas-horaire tampon pour absorber le choc.

Sachant cela, faites passer un test de stress à votre emploi du temps. Imaginez une urgence imprévue dans un domaine quelconque (travail, famille, ou autres tels que mentionnés ci-haut). Comment pourriez-vous réagir? Comment réagiraient vos partenaires? Avez-vous déjà abordé le sujet ensemble? La réponse à ces questions vous aidera à mieux vous connaître ainsi que vos limites, mais permettra aussi de clarifier à l’avance avec vos partenaires vos attentes en terme de gestion du temps et pourra vous aider à communiquer un peu plus efficacement lorsqu’une crise imprévue surviendra.

 

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La gestion du temps

Une des questions qui m’est posée le plus souvent, autant de la part des polyamoureux que des monogames, est: « mais où trouves-tu le temps de voir tout le monde? » C’est effectivement une question assez importante, surtout lorsque les enfants, la famille, le travail, les voyages, les études et le bénévolat s’empilent dans l’horaire. Ceci dit, contrairement à ce qu’on pourrait croire, gérer l’agenda pour y inclure tout notre polycule n’est pas si compliqué que ça une fois que certains concepts de base sont maîtrisés. Je me permets donc d’y aller de mes constats, tirés uniquement de mon expérience personnelle, en espérant que ça puisse vous être utile également.

  1. Un premier constat, surtout destiné aux monogames (les polyamoureux l’auront sans doute réalisé depuis) est qu’en relations multiples, il y a de bonnes chances que vos partenaires aient également d’autres partenaires, et ainsi de suite. Autrement dit, personne ne s’attend à recevoir 100% de votre temps libre. Au contraire, le temps passé ensemble est l’objet d’un choix librement consenti et mutuellement désiré, ce qui rend au passage chaque rencontre beaucoup plus riche et intense. Au lieu d’une relation fusionnelle ou chaque moment est passé ensemble, peu importe les intérêts individuels, vous êtes ainsi libres de choisir les moments et expériences à partager (à deux ou plusieurs) et ceux à vivre seuls. N’hésitez pas à être très ouvert et honnête quant aux expériences que vous voulez partager (et avec qui), et à celles que vous préférez vivre seul. Ce qui mène au constat suivant:
  2. Les attentes doivent être explicites. Vous vous attendez à voir un partenaire à chaque weekend? 2 ou 3 fois par semaine? Une fois par deux semaines? À quelle fréquence vos partenaires désirent-ils vous voir également? Quelles activités, quels contextes de rencontres sont espérés de part et d’autre? Si vous n’exprimez pas clairement vos attentes, elles risquent de ne pas être rencontrées. Si vous ne recueillez pas celles de vos partenaires, vous allez probablement les décevoir sans même comprendre ce qui se passe.
  3. Connaissez votre point de saturation. C’est sans doute l’élément le plus important. Il y a une limite au nombre de relations dans lesquelles vous pouvez vous investir de façon satisfaisante, limite qui variera selon vos autres circonstances de vie. Malheureusement, on découvre ce point un peu par expérience. Avec les années, par exemple, je sais que mon point de saturation se définit approximativement par la formule « 6 +/- 2 ». Autrement dit, en bas de 4 relations, je sens que certains de mes besoins ne sont pas comblés. En haut de 8, je n’ai plus assez de temps ni d’énergie pour offrir le meilleur de moi-même dans chaque relation. Encore une fois, c’est un élément qui est propre à chaque personne. La saturation pourrait faire l’objet d’un article entier, mais si vous vous retrouvez dans cette situation, vous devez malheureusement revoir entièrement vos priorités, ce qui entraînera des choix difficiles.
  4. Tenez votre agenda à jour. C’est de plus en plus facile de nos jours de réunir à un seul endroit tous nos engagements. Vous pouvez exporter vos événements Facebook dans votre calendrier Outlook et relier ce dernier à votre agenda professionnel, accessible de votre portable en une fraction de seconde en tout temps. Développez le réflexe d’inscrire chaque nouvelle rencontre dans cet agenda unique afin d’éviter de planifier deux ou trois activités différentes au même moment.
  5. Soyez très ouvert et transparent à propos de votre agenda ainsi bien sûr que de votre mode relationnel. Comme mentionné au point 1, vos partenaires poly comprennent le besoin de partager son temps. Si vous n’avez que des partenaires mono qui s’attendent à vous voir sur une base exclusive, vous avez erré en chemin. Être ouvert sur ce que vous êtes prêt à vivre et partager, et sur le temps que vous avez pour ce faire, permet de gérer les attentes de toutes les parties concernées, et permet parfois une rétroaction des plus intéressantes. Certaines personnes vont même jusqu’à donner accès à leur calendrier électronique à leurs partenaires. Je ne peux faire cela pour des raisons professionnelles, mais je discute souvent de mon agenda (pas seulement de mon agenda polyamoureux, d’ailleurs!) avec mes partenaires, et vice-versa. C’est l’occasion de belles discussions, de découvrir de nouveaux champs d’intérêts et parfois même de réunir une partie de mon polycule à un même évènement ou de rencontrer le polycule de mes partenaires.
  6. Respectez vos engagements. La base fondamentale de toute relation est la confiance. Il est inévitable que vous aurez à faire des choix déchirants par moment. On peut vous proposer une merveilleuse expérience de groupe alors que vous vous étiez commis à aller accueillir quelqu’un à l’aéroport. Vous inviter au concert alors que vous devez aller aider à rénover. Les possibilités augmentent exponentiellement avec le nombre de partenaires. Mais un gain à court terme ici est une perte à long terme, car un partenaire qui craint que vous renonciez en tout temps et sans préavis à vos engagements sera de plus en plus récalcitrant à planifier des activités avec vous.
  7. Acceptez que vous ne puissiez pas tout faire. Ce constat est directement relié aux constats précédents. Il arrive parfois à nos premiers pas dans le polyamour qu’on perde contact avec notre capacité à gérer efficacement nos désirs. C’est ce qu’on pourrait comparer au loup dans la bergerie, ou à l’enfant dans un magasin de bonbon. L’offre semble à première vue tellement attrayante, tellement abondante qu’on ne voit pas la nécessité de se restreindre. C’est aussi vrai avec vos relations: il y a tellement de gens qui peuvent vous proposer tellement de choses à faire et d’activités à vivre que vous risquez de vous y perdre si vous n’établissez pas de solides points de repère.
  8. Reconnaissez vos erreurs. Car, c’est inévitable, vous allez en faire.  Ceci n’arrive pas qu’aux polyamoureux. Vous pouvez planifier deux rendez-vous galants la même soirée, tout comme vous pouvez planifier un important rendez-vous clients en même temps que le spectacle de fin d’année d’un de vos enfants. Admettez votre responsabilité, excusez-vous et offrez une façon de faire amende honorable. Soyez aussi conscient que si ces erreurs se produisent trop souvent ou de plus en plus fréquemment, vous êtes probablement passé au-delà de votre point de saturation. Vous devez alors revoir un peu plus en profondeur votre niveau d’engagement dans les différentes sphères de votre vie.
  9. Acceptez que les autres aussi feront des erreurs. Vous vous retrouverez aussi dans la position inconfortable de celui ou celle qui voit ses plans changer à la dernière minute suite à une erreur de planification de son ou sa partenaire. Faites preuve d’empathie et de compassion, envers votre partenaire mais également avec vous. Les erreurs occasionnelles sont inévitables. Trop fréquentes, c’est peut-être un signe qu’un de vous est saturé, ou encore que vous ne donniez pas le même niveau d’importance à la relation, que vous ayez une vision différente de celle-ci.
  10. Restez fluide. Les constats ci-haut ne sont pas des règles coulées dans le béton. Les gens changent avec le temps. Les attentes aussi. Les imprévus peuvent survenir même en tenant l’agenda le plus structuré possible. Adaptez-vous aux imprévus, et traitez chaque situation en priorisant le respect des personnes, l’honnêteté, l’intégrité et la communication. N’oubliez jamais qu’au-delà des règles, l’anarchie relationnelle préfère mettre de l’avant les valeurs. Ce sont ici quatre valeurs qui sous-tendent l’ensemble des constats présentés dans ce texte. Dans le doute, appuyez-vous sur celles-ci.

Je ne graverai pas ces constats sur des tablettes d’argiles pour en faire un décalogue nouveau genre, mais j’espère qu’ils sauront vous être utiles dans votre quotidien.

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