J’avais 18 ans la première fois que j’ai admis être bisexuel.
J’avais 18 ans, en fait, la première fois où on m’a raconté a posteriori mon admission, puisqu’apparemment j’étais bourré et que je me suis laissé aller à quelques confessions entre amis cette nuit-là. Des confessions que je n’avais même pas osé me faire à moi-même, en toute honnêteté. Confronté à cet aveu public, je n’ai pas eu trop le choix que de l’accepter et de tenter de l’intégrer à mon identité par la suite.
J’avais 33 ans la première fois où j’ai eu des relations intimes avec un autre homme. Faites le calcul: 15 ans entre l’acceptation d’un concept et sa mise en oeuvre. Que s’est-il passé?
On parle de plus en plus de « bi-erasure », l’occultation de la bisexualité, effacée du discours médiatique et culturel, comme d’un phénomène d’oppression. Si cet élément peut avoir joué sur mes relations à l’époque, l’obligation de monogamie exclusive a eu un impact beaucoup plus profond. Pendant cette période, je considérais mon attrait pour les hommes comme purement physique. L’idée d’avoir un intérêt romantique envers un homme ne m’attirait pas du tout. Bisexuel, donc, mais hétéroromantique. J’étais « ouvert » aux possibilités physiques, mais comme je m’attachais fréquemment à des femmes et que ces relations devenaient rapidement monogames et exclusives, j’ai dû attendre 15 ans avant d’explorer ce volet de ma sexualité.
Exactement à ce moment, je venais de rejeter la monogamie comme mode de vie (je pensais encore que ce rejet était temporaire, avant de réaliser qu’il était nécessaire à mon équilibre quelque temps plus tard). Malgré l’absence de modèles et sans trop savoir comment m’y prendre, pour la première fois, mes choix de partenaires n’excluaient pas de facto toutes les autres personnes. J’étais libre d’explorer et d’en parler. Le genre de mon ou ma partenaire ne m’importait soudainement plus.
Cette dernière phrase n’est pas tout à fait exacte, à bien y penser.
Il a fallu quelques années de plus pour que la distinction binaire entre les genres s’estompe, après un premier rendez-vous avec une personne non-binaire. Et là encore, la distinction pansexuelle mais hétéroromantique demeurait.
C’est finalement le mouvement #MeToo, en octobre dernier qui fut le déclencheur d’une ultime prise de conscience dans ce domaine. Ma distinction entre le sexe et l’attachement est en réalité un reliquat d’une culture de masculinité toxique. Considérer les hommes comme des « jouets » sexuels uniquement, ou comme des partenaires de jeu, me permet de me soustraire à la dynamique « dominant/dominé » qui s’impose socialement dans les relations entre hommes. Un attachement plus profond m’aurait forcé à revisiter cela, et inconsciemment mon inconfort face à cette possibilité était beaucoup trop grand. Un examen de conscience a débuté.
Depuis ce moment, je déconstruis graduellement les préjugés toxiques que j’ai incorporé au fil des quarante dernières années. Ce n’est qu’une question de temps et de rencontre avant que je puisse confortablement me dire pansexuel et panromantique. Il aura fallu pour ça que je m’émancipe des carcans dans lesquels notre société tend à nous enfermer: définition stricte de ce qu’est une relation, de ce qu’est un couple, de ce qu’est l’amour, de ce que sont les genres et l’identité. Il en restera sans doute des relents ici et là pendant un certain temps, mais je ne doute aucunement que je me rapproche d’une réelle liberté d’aimer.
Je vous souhaite à tou-te-s cette même liberté.