La honte, la culpabilité, et comment s’en débarrasser

C’est un titre ambitieux et, histoire de gérer les attentes de mon lectorat, je ne promets pas ici une recette à toute épreuve contre ces deux émotions négatives. J’espère par contre sincèrement pouvoir proposer des pistes d’exploration et de solution qui aideront à surmonter ces sentiments.

Plusieurs personnes ont été élevées et socialisées de façon plus ou moins marquée par la honte et la culpabilité. C’est une façon facile pour les adultes de prévenir des comportements « indésirables » chez les enfants. Pour clarifier, la honte réfère au sentiment négatif face à la perception de soi (« tu es dégoûtant de faire ça! ») alors que la culpabilité fait appel aux remords suite aux effets d’une action sur quelqu’un d’autre (« Ça me cause du chagrin quand tu agis ainsi »).  La distinction est importante car ces deux émotions ne seront pas surmontées de la même façon par la suite.

Le comportement sexuel des femmes notamment est visé très tôt par le slut-shaming, qui fait appel autant à la honte qu’à la culpabilité. Les codes vestimentaires, qui visent de façon plus disproportionnée les élèves s’identifiant comme femmes, emmènent à la fois la honte (« cache ton corps et surtout, camoufle tout élément sensuel ou intime ») et la culpabilité (« ton corps nuit à la performance des élèves de sexe masculin »). Avant, on recommendait aux jeunes femmes de « se réserver pour le mariage », maintenant, on dit plutôt « d’attendre le bon », mais dans les deux cas, on vise à culpabiliser le fait de donner « gratuitement » quelque chose qui devrait être réservé à une personne spéciale.

Ceci dit, la honte et la culpabilité sont également des outils d’oppression contre tout ce qui sort du cadre cis-mono-hétéronormatif standard. Un jeune gai reste dans le placard pour ne pas faire rire de soi, ou parfois pour ne pas attirer l’opprobe sur sa famille. Une personne bisexuelle se fait dire qu’elle doit se brancher, que ce n’est pas normal de n’avoir qu’une orientation. Un enfant manifeste des comportements qui ne sont pas adaptés au genre assigné à la naissance? C’est « juste une phase » – on ne mentionne surtout pas la possibilité de trans-identité. Vous êtes en couple et polyamoureux? Ne le dites pas – « pensez aux enfants! ».

Si vous lisez ceci, il y a de bonnes chances que vous ayez déjà vécu une de ces formes d’oppression, ou que vous en ayez été témoin. La question est: comment surmonte-t-on le sentiment de honte ou de culpabilité qui a été internalisé par une répétition soutenue sur plusieurs années de cette oppression? La bonne nouvelle est que ça se peut. La mauvaise, que sa prend du temps.

La première chose à faire est d’identifier la réaction et ses déclencheurs. Dans le cas de la honte, ceci implique de questionner la vision que l’on a de soi-même. Souvent, nos attentes et nos comportements sont reproduits de ce qui a été vu dans l’entourage. Ils ne proviennent pas nécessairement de nous. L’idée d’être étranglé durant une relation sexuelle vous excite, mais vous n’osez pas la mettre en oeuvre car vous vous sentez coupable? Il faut identifier le conditionnement qui a installé cette culpabilité, nommer et reconnaître le désir (j’aime ça, j’ai envie de ça, et ça provient de moi, ça ne m’est pas imposé).

Dans le cas de la culpabilité, il faut plutôt remettre en question l’impact sur autrui. Ce qui est ontologique (propre à l’être, à votre être dans ce cas) ne concerne pas les autres. Votre orientation sexuelle ou vos préférences relationelles (du moment qu’elles impliquent des adultes consentant) n’ont pas à être questionnées par qui que ce soit et personne n’a à y consentir à moins d’être impliqué dans cette relation précise avec vous (par exemple, la relation exclusive que vous avez avec un conjoint ne concerne que vous et ce conjoint). Les modèles sociaux (surtout en ce qui concerne les relations amoureuses) sont des constructions et non pas des universels, chaque culture pouvant avoir des modèles uniques et tout aussi valide. Si on vous culpabilise, il faut souligner l’absurdité de la chose.

Ce sont deux approches purement cognitives qui forment une première étape dans l’affranchissement.

Ça ne sera pas suffisant, ceci dit. L’émotion que vous combattez est enfouie profondément, au-delà de la raison. Le temps et l’énergie que l’on met à les combattre rationnellement a paradoxalement un effet pervers, soit d’augmenter l’attention que vous apportez à cette émotion négative, de la nourrir en quelque sorte. De surcroît, vous risquer de vous culpabiliser de ne pas réussir à vous extraire de cette émotion.

À cette étape, au lieu de tenter d’éradiquer les émotions négatives, il faut plutôt leur substituer des modèles positifs. J’utiliserai le même schéma dans les exemples ci-dessous. On identifie un comportement et la source de la honte ou de la culpabilité (tout en apportant une objection rationelle) puis on contrecarre avec un appel à la réalisation, à l’accomplissement de soi.

  • Vous n’agissez pas en salope (un terme inventé pour contrôler l’appareil reproducteur féminin, et au demeurant ça ne concerne que vous), vous réclamez et affirmez plutôt votre autonomie.
  • Vous ne briserez pas le nid familial de vos enfants (de multiples modèles familiaux ont fait leur preuve et le couple monogame n’est qu’un parmi tant d’autres), vous leur permettrez plutôt de grandir dans un milieu  exempt de honte et entouré de l’amour de vos partenaires.
  • Vos fétiches BDSM ne sont pas dénigrant (la société n’a pas son mot à dire sur ce qui se passe dans votre chambre à coucher), ils vous permettent d’explorer en toute sécurité des sensations inédites.
  • Une aventure d’un soir n’est pas un gaspillage d’énergie (cette énergie aurait tout aussi bien été gaspillée à ne rien faire et vous seul-e pouvez en juger), mais une opportunité unique de découvrir une nouvelle personne par la sensualité et d’ajouter ce souvenir aux moments que vous chérirez.

Je suis passé à travers cet exact cheminement lorsque j’ai délaissé l’exclusivité en faveur de la non-monogamie éthique. « Ce n’est seulement qu’une phase le temps de comprendre ce qui ne marche pas avec moi » (je suis transparent et sincère avec toutes mes partenaires et nos sentiments sont réels) a été remplacé par « j’atteins l’équilibre entre mes différents besoins et désirs dans le respect de toutes ». La notion d’équilibre individuel est le modèle positif qui a supplanté la norme sociale, imposée de l’extérieur, de la monogamie.

Le sentiment de faire quelque chose de bien, de vertueux, en accord avec nos valeurs, est ce qui vient lentement contrecarrer la honte. Le tout prend un certain temps, mais permet ultimement à vos désirs et votre conscience de s’arrimer.

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Micro-tromperie, ou le délire monogame

On fait grand cas dernièrement de la « micro-tromperie » (micro-cheating dans l’expression originale anglophone). Il s’agit apparemment d’une série de petites actions qui indiquent qu’un des partenaires dans une relation monogame focalise une partie de son attention sur quelqu’un d’autre que son partenaire exclusif. Depuis que l’expression a été lancée par la psychologue australienne Melanie Schilling, elle a été reprise à toute les sauces par différents média.

Le simple fait que l’on puisse débattre de ce qui constitue une « micro-tromperie » ou pas relève en soi d’une culture de monogamie toxique. C’est un des paradoxe de l’exclusivité: on réclame l’attention entière de son partenaire, mais dans les faits, c’est pratiquement impossible. À moins de vivre en parfaite autarcie, en retrait de la civilisation avec votre partenaire, vous aurez nécessairement besoin de diviser votre attention, ne serait-ce que pour gagner votre vie, aller à l’école, à l’hôpital parfois, faire les courses, ainsi de suite. Exclusivité ou pas, notre attention n’est jamais tournée à 100% vers quelqu’un d’autre, et avoir une telle exigence relève du délire narcissique pur et simple. C’est cette valorisation du contrôle des pensées et geste d’autrui qui rend une relation (monogame ou pas) toxique.

À partir de ce point, le mandat de l’exclusivité revient à trouver la ligne entre les comportements qui doivent être exclusifs au couple, et ceux qui relève de l’autonomie individuelle de chaque partenaire. Un des enjeux est que la société promeut une vision idéalisée de l’amour romantique qui empêche cette autonomie. On ne permet aucune brèche, pourtant qu’un partenaire entretienne une relation de flirt virtuel avec une tierce partie dans ses temps libres n’enlève rien nécessairement à l’autre partenaire. On dira que maintenir cette activité secrète n’est pas éthique, mais le secret est une des composantes essentielles du modèle monogame standard, tel que discuté dans cet ancien billet. J’affirmais dans ce même billet que l’imposition du standard d’exclusivité menait à éradiquer la communication et la transparence, et ce sont justement ces deux éléments qui sont nécessaire au maintien d’une relation éthique, qu’elle soit monogame ou pas.

Dans n’importe quelle relation, il est important de définir les attentes comportementales envers les personnes impliquées (peu importe leur nombre). Que ce soit le temps passé ensemble, les activités réservées à la relation, celles permises au-delà de celle-ci, celles exclues de la relation, ces éléments doivent faire l’objet de discussions explicites et être revisités périodiquement. Tout comme on fait des rénovations de façon préventive dans la maison et que l’on emmène la voiture chez le concessionnaire pour un entretien de façon régulière, il faut prendre soin de ses relations couramment. Le problème de la micro-tromperie n’est pas qu’un partenaire fasse des actions en secret, mais bien que la relation n’ait pas un cadre de communication assez souple et transparent pour laisser un peu d’autonomie aux individus. Autrement dit, la micro-tromperie n’est pas le mal, ni un remède, mais un symptôme d’une carence dans la relation.

Passer d’une mentalité de contrôle (je veux que tu me consacres toute ton attention et ton temps) à une mentalité de partage (j’aime le temps que nous consacrons à prendre soin de nous) redonne à chacun son autonomie et permet à la relation de s’ouvrir sur le monde (qu’elle soit ou non exclusive). Elle permet aussi à chaque partenaire d’enrichir sa vie à l’extérieur de la relation sans compromettre celle-ci.

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