La honte, la culpabilité, et comment s’en débarrasser

C’est un titre ambitieux et, histoire de gérer les attentes de mon lectorat, je ne promets pas ici une recette à toute épreuve contre ces deux émotions négatives. J’espère par contre sincèrement pouvoir proposer des pistes d’exploration et de solution qui aideront à surmonter ces sentiments.

Plusieurs personnes ont été élevées et socialisées de façon plus ou moins marquée par la honte et la culpabilité. C’est une façon facile pour les adultes de prévenir des comportements « indésirables » chez les enfants. Pour clarifier, la honte réfère au sentiment négatif face à la perception de soi (« tu es dégoûtant de faire ça! ») alors que la culpabilité fait appel aux remords suite aux effets d’une action sur quelqu’un d’autre (« Ça me cause du chagrin quand tu agis ainsi »).  La distinction est importante car ces deux émotions ne seront pas surmontées de la même façon par la suite.

Le comportement sexuel des femmes notamment est visé très tôt par le slut-shaming, qui fait appel autant à la honte qu’à la culpabilité. Les codes vestimentaires, qui visent de façon plus disproportionnée les élèves s’identifiant comme femmes, emmènent à la fois la honte (« cache ton corps et surtout, camoufle tout élément sensuel ou intime ») et la culpabilité (« ton corps nuit à la performance des élèves de sexe masculin »). Avant, on recommendait aux jeunes femmes de « se réserver pour le mariage », maintenant, on dit plutôt « d’attendre le bon », mais dans les deux cas, on vise à culpabiliser le fait de donner « gratuitement » quelque chose qui devrait être réservé à une personne spéciale.

Ceci dit, la honte et la culpabilité sont également des outils d’oppression contre tout ce qui sort du cadre cis-mono-hétéronormatif standard. Un jeune gai reste dans le placard pour ne pas faire rire de soi, ou parfois pour ne pas attirer l’opprobe sur sa famille. Une personne bisexuelle se fait dire qu’elle doit se brancher, que ce n’est pas normal de n’avoir qu’une orientation. Un enfant manifeste des comportements qui ne sont pas adaptés au genre assigné à la naissance? C’est « juste une phase » – on ne mentionne surtout pas la possibilité de trans-identité. Vous êtes en couple et polyamoureux? Ne le dites pas – « pensez aux enfants! ».

Si vous lisez ceci, il y a de bonnes chances que vous ayez déjà vécu une de ces formes d’oppression, ou que vous en ayez été témoin. La question est: comment surmonte-t-on le sentiment de honte ou de culpabilité qui a été internalisé par une répétition soutenue sur plusieurs années de cette oppression? La bonne nouvelle est que ça se peut. La mauvaise, que sa prend du temps.

La première chose à faire est d’identifier la réaction et ses déclencheurs. Dans le cas de la honte, ceci implique de questionner la vision que l’on a de soi-même. Souvent, nos attentes et nos comportements sont reproduits de ce qui a été vu dans l’entourage. Ils ne proviennent pas nécessairement de nous. L’idée d’être étranglé durant une relation sexuelle vous excite, mais vous n’osez pas la mettre en oeuvre car vous vous sentez coupable? Il faut identifier le conditionnement qui a installé cette culpabilité, nommer et reconnaître le désir (j’aime ça, j’ai envie de ça, et ça provient de moi, ça ne m’est pas imposé).

Dans le cas de la culpabilité, il faut plutôt remettre en question l’impact sur autrui. Ce qui est ontologique (propre à l’être, à votre être dans ce cas) ne concerne pas les autres. Votre orientation sexuelle ou vos préférences relationelles (du moment qu’elles impliquent des adultes consentant) n’ont pas à être questionnées par qui que ce soit et personne n’a à y consentir à moins d’être impliqué dans cette relation précise avec vous (par exemple, la relation exclusive que vous avez avec un conjoint ne concerne que vous et ce conjoint). Les modèles sociaux (surtout en ce qui concerne les relations amoureuses) sont des constructions et non pas des universels, chaque culture pouvant avoir des modèles uniques et tout aussi valide. Si on vous culpabilise, il faut souligner l’absurdité de la chose.

Ce sont deux approches purement cognitives qui forment une première étape dans l’affranchissement.

Ça ne sera pas suffisant, ceci dit. L’émotion que vous combattez est enfouie profondément, au-delà de la raison. Le temps et l’énergie que l’on met à les combattre rationnellement a paradoxalement un effet pervers, soit d’augmenter l’attention que vous apportez à cette émotion négative, de la nourrir en quelque sorte. De surcroît, vous risquer de vous culpabiliser de ne pas réussir à vous extraire de cette émotion.

À cette étape, au lieu de tenter d’éradiquer les émotions négatives, il faut plutôt leur substituer des modèles positifs. J’utiliserai le même schéma dans les exemples ci-dessous. On identifie un comportement et la source de la honte ou de la culpabilité (tout en apportant une objection rationelle) puis on contrecarre avec un appel à la réalisation, à l’accomplissement de soi.

  • Vous n’agissez pas en salope (un terme inventé pour contrôler l’appareil reproducteur féminin, et au demeurant ça ne concerne que vous), vous réclamez et affirmez plutôt votre autonomie.
  • Vous ne briserez pas le nid familial de vos enfants (de multiples modèles familiaux ont fait leur preuve et le couple monogame n’est qu’un parmi tant d’autres), vous leur permettrez plutôt de grandir dans un milieu  exempt de honte et entouré de l’amour de vos partenaires.
  • Vos fétiches BDSM ne sont pas dénigrant (la société n’a pas son mot à dire sur ce qui se passe dans votre chambre à coucher), ils vous permettent d’explorer en toute sécurité des sensations inédites.
  • Une aventure d’un soir n’est pas un gaspillage d’énergie (cette énergie aurait tout aussi bien été gaspillée à ne rien faire et vous seul-e pouvez en juger), mais une opportunité unique de découvrir une nouvelle personne par la sensualité et d’ajouter ce souvenir aux moments que vous chérirez.

Je suis passé à travers cet exact cheminement lorsque j’ai délaissé l’exclusivité en faveur de la non-monogamie éthique. « Ce n’est seulement qu’une phase le temps de comprendre ce qui ne marche pas avec moi » (je suis transparent et sincère avec toutes mes partenaires et nos sentiments sont réels) a été remplacé par « j’atteins l’équilibre entre mes différents besoins et désirs dans le respect de toutes ». La notion d’équilibre individuel est le modèle positif qui a supplanté la norme sociale, imposée de l’extérieur, de la monogamie.

Le sentiment de faire quelque chose de bien, de vertueux, en accord avec nos valeurs, est ce qui vient lentement contrecarrer la honte. Le tout prend un certain temps, mais permet ultimement à vos désirs et votre conscience de s’arrimer.

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Des relations entre personnes exclusives et non-exclusives

Ce billet traitera des relations entre les personnes non-exclusives (polyamoureuses ou anarchistes relationnelles) et celles plus traditionnellement monogames. Je n’ai pas la prétention d’avoir l’autorité finale en la matière, alors je vous invite à voir ce billet comme une réflexion et surtout, une invitation à ajouter vos commentaires ci-bas afin d’amorcer une discussion plus soutenue.

(Précision: par « exclusivité » j’entends dans ce billet exclusivité romantique et/ou sexuelle. L’exclusivité amicale ou relationnelle ne fais je crois aucun sens pour la grande majorité de la population.)

On pourrait à prime abord se demander pourquoi deux personnes n’ayant pas la même vision de l’exclusivité voudraient être en relation. Mais il y a tout un éventail de réponses qui explique cet état de fait. Par exemple, dans une relation existante, un partenaire dans un couple plus « traditionnel » découvre qu’il n’est plus confortable avec l’exclusivité. Mais plus fréquemment, le bassin de personnes exclusives est tellement plus vaste qu’il est presque inévitable pour une personne non-exclusive de développer un lien d’attachement avec l’une d’entre elles un jour.

On pourrait aussi se demander pourquoi une personne exclusive voudrait être en relation avec quelqu’un qui ne le sera pas. Encore une fois, les réponses et les cas de figure sont très variées. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que le succès de ces relations vont souvent dépendre de ce que les partenaires impliqués fassent la distinction entre deux éléments:

  1. Le désir d’une personne d’être exclusive
  2. Le désir d’une personne que son/sa partenaire soit exclusif(ve) également.

L’exclusivité romantique et sexuelle est une orientation et un choix tout à fait respectable. En soi, demander à quelqu’un de devenir polyamoureux ne fait pas vraiment de sens, surtout si la personne sent qu’elle n’a ni le désir, ni les capacités de s’investir émotionnellement dans plus qu’une relation.

Mais ceci dit, rien n’empêche une personne exclusive d’accepter et de comprendre que ses partenaires ne le soient pas. (On peut aussi imaginer le scénario contraire, soit une personne non-exclusive qui veut que ses partenaires lui soient tous et toutes exclusifs et exclusives, mais ceci soulève des préoccupations éthiques évidentes). Les circonstances de vie de cette personne feront qu’elle voudra être un partenaire privilégié ou pas, c’est selon.

Le premier exemple qui vient en tête est celle de la relation « primaire » ou « principale » (les termes ne font pas l’unanimité) où un des deux partenaires accepte que l’autre aille chercher ailleurs à combler certains besoins affectifs ou sexuels, avec la confiance qu’il restera le partenaire principal et que les deux continuent à s’investir ensemble dans leur principaux projets de vie. Ce type de relation peut être explicite dès le départ, ou peut être le résultat de l’évolution personnelle d’un des deux partenaires, ce qui nécessite évidemment une réévaluation de la relation en cours de route.  Voici deux exemples (qui sont loin de former une liste exhaustive on s’entend):

  • une personne qui désire explorer une sexualité ou des activités plus alternatives (kink ou BDSM) qui n’attirent pas son partenaire, ou encore vivre pleinement son orientation sexuelle/romantique (par exemple pour une personne bisexuelle et/ou biromantique) et qui le fait, de façon transparente, hors du couple.
  • Une personne asexuelle qui comprend le besoin de son ou sa partenaire et accepte qu’il ou elle puisse explorer ces derniers hors de leur relation.

On peut tout aussi bien imaginer une personne exclusive en tant que partenaire « secondaire » – ou faire partie d’une relation sans aucune distinction hiérarchique entre les partenaires, avec une personne solo-polyamoureuse, ou anarchiste relationnelle par exemple.

Deux cas de figure reviennent ainsi régulièrement :

  • Le « En attendant… » La personne exclusive souhaite éventuellement former un couple monogame, mais fréquente un partenaire poyamoureux ou anarchiste relationnel avec qui elle peut explorer et combler des besoins affectifs ou sexuels, en général avec la compréhension que cette relation évoluera vers un mode plus platonique si la première personne en vient à former un couple exclusif avec un autre partenaire dans le futur.
  • Le « Trop occupé… » La personne exclusive préfère investir une majorité de son temps et de son énergie dans d’autres projets professionnels ou personnels (carrière, famille, études, etc.) et n’a donc qu’une disponibilité limité pour un engagement de type romantique ou sexuel.

Il faut noter que ces éléments peuvent être fluides, chez chaque personne. C’est explicite dans le premier cas de figure, mais aussi très probable dans le second cas. Il est de la responsabilité des deux partenaires impliqués de communiquer leurs attentes face à la relation, leurs limites et leurs désirs, et de s’engager en acceptant et reconnaissant que ces situation puissent changer avec le temps. Les liens émotionnels seront bien réels de part et d’autres et les deux partenaires doivent faire preuve de compassion pour l’autre lorsque la relation se transforme. Ainsi un partenaire « en attendant » peut renoncer à l’exclusivité et désirer des liens romantiques forts avec plusieurs personnes – bien que plus probablement il ou elle trouvera plutôt un partenaire exclusif, tel qu’entendu dès le départ. La personne « trop occupée » pourrait éventuellement dégager plus de temps dans son horaire, mais ce temps ne sera pas nécessairement consacré à son partenaire actuel. Elle pourrait tout autant chercher un partenaire exclusif que chercher d’autres partenaires non-exclusifs.

Les attitudes et comportements qui facilitent ses relations pour tous les partenaires impliqués pourront faire l’objet d’un billet futur – je sollicite particulièrement votre feedback à cet effet, surtout pour les gens qui ont des relations de type hiérarchique. La confiance, le respect de soi et d’autrui, la compassion et la communication sont, comme pour toute relation, les piliers qui soutiendront les partenaires.

Il faut retenir que tous les choix de mode relationnels présentés ci-haut sont des choix valides et sains s’ils sont vécus de façon transparente entre les partenaires, avec leur consentement et avec la plus grande considération pour les besoins et l’intégrité de ces derniers. Une relation abusive, teintée de mépris, ou encore une relation où un(e) des partenaires est un peu contraint(e) d’adhérer à des comportements ou d’accepter ceux de l’autre, est malsaine qu’elle soit exclusive ou non.

 

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Découvrir les autres par la sensualité et la sexualité

L’anarchie relationnelle est une façon de vivre ses relations avec les autres qui, pour méconnue qu’elle soit, offre néanmoins plusieurs avantages autrement inaccessibles. L’un de ces avantages est la capacité de réaliser à leur plein potentiel une multiplicité de relations, peu importe la nature de celles-ci.

La pression sociale qui limite la sexualité à un partenaire, l’exigence d’exclusivité dans les relations et une transposition malsaine des concepts de propriété aux relations amoureuses mènent autrement à un appauvrissement malheureux de la réalisation sexuelle et relationnelle de chaque personne. On en oublie que la sexualité est aussi une façon de communiquer et, sans avoir la richesse sémantique du langage, elle permet de partager une large gamme d’émotions, d’expériences, de sensations de même que d’informations entre les partenaires impliqués.

J’irai au-delà de la simple notion de sexualité pour aborder celle, plus vaste, d’intimité physique. Après tout, le même inconfort, les mêmes contraintes s’appliquent socialement pour l’intimité. Dans ce qu’on peut appeler le Modèle Standard des relations de couple, l’intimité physique platonique (que ce soit une caresse sur la joue, un baiser sur la nuque, etc.), hors du cadre familial – personne ne remet en question le droit d’un parent d’embrasser ses enfants – est restreinte au conjoint et exceptionnellement à de très proches amis. Autrement elle doit s’inscrire dans des actes culturellement circonscrits, comme faire la bise par exemple, ou offrir un câlin dans une situation de réconfort. L’intimité physique romantique (longues embrassades et autres) et sexuelle est réservée au conjoint, sans exception.

Pourtant, toutes les personnes n’aiment pas se faire toucher de la même façon, on l’imagine bien, et réagissent différemment à diverses caresses. Que vos gestes soient plus déchaînés, animaux, possessifs, allant d’une bonne empoignade des cheveux, des hanches, des épaules, voire du cou, ou qu’au contraire ils soient délicats, légers et presque désincarnés,  d’une absolue délicatesse, une friction à peine perceptible entre le bout d’un doigt et la peau, vivant dans la beauté éphémère du moment, les réactions de votre partenaire vous informent sur bien plus que son plaisir immédiat.

Les réactions de l’autre vous en disent long sur sa façon d’accueillir ces gestes, ces attitudes,  et peuvent fournir des indices sur ses expériences passées et ses désirs futurs, indices que vous utiliserez pour moduler vos prochains gestes. L’échange devient alors communication.

Rien n’empêche de regrouper différents types d’expression physique d’ailleurs. Essayez par exemple de caresser doucement votre partenaire avec votre tête, un peu comme le ferait un félin, et vous découvrirez soudainement tout un nouveau monde d’intimité et de vulnérabilité.

Au-delà de la sensualité, les comportements en faisant l’amour sont révélateurs. Votre capacité de percevoir le plaisir et les désirs de l’autre, de les accueuillir et d’y répondre, de communiquer les vôtres, vos réactions ludiques, gênées, fermées ou ouvertes, etc. face à des comportements ou des gestes nouveaux ouvrent une fenêtre nouvelle sur votre personnalité. Les gestes eux-mêmes, la façon de les poser, en dit long sur la façon dont une personne s’est appropriée sa sexualité, la revendique pour elle-même ou la vit plutôt dans le désir de faire plaisir à autrui ou de se conformer.

Votre capacité d’être attentif à ces réactions et à ces indices se développe comme le reste avec l’expérience. Cet apprentissage ne doit pas seulement se faire à l’instinct – n’hésitez pas à demander ce qui plait, ce qui rebute, à confirmer vos intuitions à l’autre, à préciser comment vous aimez être touchés et pourquoi, à explorer  et laisser explorer. Bien entendu, avec un ou une seule partenaire exclusivement, vous apprenez à comprendre le langage de cette personne avec un degré de précision considérablement élevé. En contrepartie, en multipliant les rencontres vous élargissez considérablement la palette de sensations auxquels vous êtes réceptifs et grâce auxquelles vous êtes en mesure d’échanger. La courbe d’apprentissage étant toujours plus forte en commençant, vous apprenez plus rapidement avec plusieurs partenaires qu’en vous restreignant à un(e) seul(e).

Vous augmentez en fait non seulement la richesse de votre langage tactile, mais également le nombre des contextes où déployer votre vocabulaire. Tel que mentionné plus haut, l’intimité n’est pas que sexuelle. Elle peut être platonique, romantique, et au final l’anarchie relationnelle fait de toute façon peu de distinction entre ces caractérisations arbitraires. Selon le moment et la personne, agripper doucement la nuque et mordiller un trapèze pourrait être un geste d’invitation à plus d’intimité, ou de réconfort dans un moment de doute. Faire glisser lentement votre index sur sa peau peut revêtir un caractère sensuel, côte à côte dans le lit, ou apaisant si l’autre s’ouvre avec angoisse et vulnérabilité pour vous confier une situation difficile.

Dans tous les cas, vous communiquez avec une intimité que les mots ne permettent pas et vous permettez à votre relation d’habiter un espace émotionnel plus vaste.

 

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Pour en finir avec la jalousie

La jalousie fait peur. Elle fait peur aux gens monogames, exclusifs, comme aux polyamoureux. Et c’est un peu normal. La jalousie est en soi une expression de peur également. Mais c’est aussi, comme je vais argumenter, une émotion qui est apprise et non pas innée, acquise et non universelle. On peut tout aussi facilement apprendre l’émotion inverse: la compersion. Et encore plus idéalement on peut veiller à détruire les conditions qui font que la jalousie se manifeste en premier lieu.

Les polyamoureux québécois connaissent peut-être l’excellent blogue Hypatia from Space. Dans un billet précédent elle a adapté la typologie de Reid Mihalko, qui définit la jalousie comme un mélange de 8 émotions qui se synthétisent ainsi: Possessivité, Insécurité, Perte, Rejet, Solitude, Justice, Infériorité, Convoitise.

Or, toutes ces émotions sont en réalité des manifestations ou des réactions à des caractéristiques de l’environnement socio-culturel que l’on songe rarement à remettre en question:

  1. Les relations sont perçcues comme des droits de propriété ou des acquis
  2. Elles font conséquemment partie d’un ‘marché’ soumis aux lois de l’offre et de la demande
  3. L’équilibre entre l’offre et la demande de relations amoureuses/sexuelles est fortement débalancé et par conséquent les actifs doivent être protégés à tout prix.

Nous sommes propriétaires d’une relation, ou de l’autre, mais incertains de pouvoir le contrôler, nous ressentons alors plus cruellement la perte, nous sentant rejeté et seul car l’offre ne comble pas notre nouvelle demande. C’est profondément injuste – la propriété, après tout, est un droit! – et avilissant. Au contraire nous voulons maximiser notre propriété, en avoir toujours de plus en plus, de plus en plus de contrôle également.

J’ai plutôt de plus en plus le soupçon qu’au contraire cette peur, cette jalousie est un sous-produit de l’appauvrissement de la communauté qui se réduit maintenant à la simple famille nucléaire, voir des formes plus réduites encore. Dans ce contexte de pauvreté relationnelle il est normal que l’enfant apprenne à avoir peur lorsqu’un parent est absent ou donne de l’attention à autrui. Dans un contexte communautaire où plusieurs adultes prennent soin d’un nouveau – né, ce comportement n’a aucune raison de se développer. Il y a une certaine satiété émotionnelle au contraire.

Ce contexte est celui dans laquelle la majeure partie de l’évolution humaine s’est déroulée. Dans une communauté nomade où les gens sont interdépendants, celui qui a le feu doit le partager, tout comme celui qui vient d’obtenir une grosse prise. En fait, chaque prise est sujette à un festin (ce qui a déboussolé les jésuites lors de leur arrivée en Amérique du Nord, tiens) vu l’absence de moyens de conservation.

Autrement dit, toutes les manifestations de jalousie relèvent d’un comportement qui n’est pas naturel, mais qui a été appris par des générations successives depuis une dizaine de millénaires. Depuis que l’agriculture a mis l’institution de la propriété au coeur de l’existence humaine – de toutes ses manifestations, incluant la vie amoureuse et reproductive – pulvérisant en cela des formes d’organisations et de partage plus communautaires qui avaient jusque là façonnée l’existence humaine.

Cet argument est un de ceux soulevés par les auteurs du controversé Sex at Dawn, qui étudie l’évolution de la sexualité et remet en question les préconceptions puritaines à ce sujet. Le livre divise et a ses partisans comme ses détracteurs, autant dans la communauté scientifique qu’à l’extérieur, mais un de ses messages principaux est que, libéré du carcan du droit de propriété, la communauté peut envisager la sexualité d’une façon beaucoup plus libre. De plus, on ajoute que la compétition entre les individus découle aussi de cette propriété, alors que nous avons évolué dans un environnement plus coopératif. Le ‘combat’ entre les individus pour approprier les ressources et transmettre ses gênes est en quelque sorte une vision inadéquate de l’évolution. Si on regarde la morphologie humaine, tout pointe au contraire vers un combat au niveau du sperme, pas au niveau des individus. Autrement dit, tout comme les chimpanzés et les bonobos, les humains ont évolué de façon à avoir plusieurs partenaires lors des périodes de fertilité (qui ne sont pas toujours apparentes de surcroît) et la sexualité peut lier davantage la communauté. Au lieu de compétition entre individus, il y a donc coopération. La compétition se fait à l’intérieur des organes reproducteurs.

Le vrai remède à la jalousie est là: il ne s’agit pas de se morfondre passivement dans son coin, à attendre que son ou sa partenaire revienne de son moment avec un(e) autre, au contraire. Il faut abandonner l’esprit de compétition, activement s’impliquer aussi à élaborer et agrandir sa propre communauté, son propre réseau de contacts et de partenaires, de façon à trouver un équilibre entre les différentes relations. Et histoire d’en rajouter une couche, j’ajouterais qu’il faut encourager et appuyer ses partenaires dans leurs démarches également afin d’assurer en tout temps un équilibre optimal dans la relation.

Après tout, il est inutile de vouloir être propriétaire d’autrui (des générations d’échecs le démontrent bien). Difficile de vivre l’insécurité, un sentiment de perte, d’injustice, d’infériorité ou de se sentir rejeté et seul quand on sait que quelqu’un (voire plusieurs personnes!) nous désire également de son côté. Peu important de parler de convoitise quand nous vivons la satiété. Je disais plus haut qu’on peut rapidement apprendre la compersion. Par observation personnelle, j’ajouterais même qu’on l’apprend encore plus rapidement lorsque nous avons plusieurs partenaires que lorsque nous n’en avons qu’un seul. Plutôt que de mois ou d’années, on parle alors de semaines. Renverser si rapidement un conditionnement qui est martelé dans nos esprits depuis la naissance en révèle long sur l’aptitude de l’espèce humaine de vivre en toute ouverture et liberté de multiples relations.

Mais où est la limite? Doit-on se lancer à tout prix dans la débauche orgiaque pour fuir le sentiment de jalousie? Il ne faut pas sombrer dans la caricature non plus. Le but, encore une fois, est de modifier les conditions sociales qui permettent à la jalousie de naître. L’absence de vie communautaire est une de ces conditions. En recréant une communauté, dans laquelle vous devez vous investir, partager, ne serait-ce qu’émotionnellement, vous faites un pas dans la bonne direction. Et le maintien de cette communauté demandera des efforts de votre part qui viendront vous guider vers  l’équilibre relationnel recherché.

C’est un peu le graal de l’anarchiste relationnel: rejeter une organisation hiérarchique, patriarcale, individualiste et rigide des comportements amoureux pour la remplacer par un mode plus communautaire, autogéré, fluide.

N.B. Le texte a été revu et bonifié le 3 avril pour tenir compte de nombreuses discussions tenues sur d’autres plateformes. 

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Relations, transactions, émotions

Qu’est-ce qu’une relation? C’est une question en apparence anodine, mais qui a une portée très importante pour les polyamoureux, libertins, anarchistes relationnels et même pour les plus traditionnels monogames.

Prenons par exemple la « relation sexuelle ». Celle-ci est définie de différentes façons (d’un point de vue légal, amoureux, voir commercial) et une certaine littérature tend à présenter un « idéal » qui culmine généralement vers l’orgasme simultané des deux partenaires.

Le problème avec ce modèle, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une relation que d’une transaction sexuelle. Les deux partenaires se voient dans l’obligation mutuelle de se livrer un service équivalent (l’orgasme). C’est un échange à valeur strictement égale. Par la suite, les comptes étant équilibrés en quelque sorte, il n’est plus nécessaire de maintenir d’interaction entre les parties.Et si un des partenaires n’obtient pas satisfaction, la relation (lire, la transaction) est insatisfaisante. La valeur du service obtenu n’équivaut pas celle du service rendu.

Ainsi, une transaction est une opération limitée dans le temps, ou deux (ou plusieurs) parties échangent des biens ou service d’une valeur équivalente. Une relation est en réalité un ensemble  d’obligations ou d’attentions mutuelles qui se déploie dans le temps et dont la valeur ne peut jamais être parfaitement retournée. Une réelle relation sexuelle sera ainsi fait d’une série de dons réciproques de gestes, de plaisirs, d’attentions qui, même s’ils pouvaient être parfaitement évaluées, ne sont jamais strictement égaux à ceux reçus. L’atteinte de l’égalité met de facto fin à la relation. Celle-ci se poursuit tant que les deux partenaires (ou plusieurs) ont au contraire envie de continuer à donner et à recevoir, ce qui permet l’émergence de pratiques qui visent justement à  éviter l’orgasme, la fin de la relation.

Il en va de même pour les relations amicales, amoureuses, bref, tout type de relation. Si je vais au cinéma avec un ami, et que nous payons chacun nos billets, nous n’avons plus aucune obligation/attente de nous voir par la suite. Si l’un des deux paie pour l’autre, il y a une obligation circonscrite à un montant bien précis, et facilement acquittable. Mais si cette obligation est remboursée avec un service de valeur, disons, légèrement supérieure (je te paie le souper ensuite), l’obligation est renversée. Avec le temps, cette série d’inégalités dans les valeurs données et reçues perd complètement son importance puisqu’elle a permis d’établir un cadre relationnel, une série d’échanges mutuels et réciproques qui s’inscrit non pas dans l’instantané, mais dans la durée.

C’est encore plus vrai si les services échangés n’ont pas de valeur quantifiable. Une amie qui vit une peine d’amour peut venir se confier à moi. Je peux avoir besoin de discuter pour clarifier mes pensées sur un enjeu donné. Un baiser, une caresse tendrement consentie peut réconforter.

Il est important de séparer ces deux concepts, non pas pour en valoriser un au détriment de l’autre. Au contraire, les deux ont leur utilité, leur pratique, et peuvent répondre à des besoins ou des désirs bien différents. Il est important de les séparer pour s’assurer,  lors de nos interactions avec autrui, qu’il y a entente sur le mode utilisé: sommes-nous en mode relationnel ou transactionnel? L’exemple classique est celui ou un des partenaires à des attentes à long-terme via une activité alors que l’autre n’en a pas: un one-night vs une relation plus élaborée.

La reconnaissance du besoin et des attentes de l’autre est donc un nécessaire signe de respect et la première étape pour s’assurer que les émotions des partenaires ne seront pas négligées.

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Amitié, sexe, et polycule

Une question que je me fais souvent poser en différents milieux, en tant que polyamoureux ouvert et assumé, est celle du nombre de partenaires: « Oui mais, tu en as combien dans ta vie, là? » Et étrangement, c’est une des questions les plus difficiles à répondre pour les anarchistes relationnels. Une partie de la difficulté repose dans la crainte du préjugé: il est facile de tomber dans le « slut-shaming » (il nous faut vraiment un équivalent français pour cette expression!) que ce soit envers nous ou nos partenaires.

Mais la difficulté principale repose dans la conception bien différentes des relations. Lorsque la question est posée, l’interlocuteur a souvent en tête un type de relation bien précise: la relation romantique à composante sexuelle. En réalité, comme les relations sont fluides et ne sont pas hiérarchisée de toute façon selon les axes du romantisme et de la sexualité, il est impossible de fournir une réponse exacte à cette question.

Par exemple, j’ai une amie très proche avec laquelle j’ai une relation qui oscille entre le platonisme et le romantisme. D’une part la frontière entre l’amitié et l’amour peut être très floue, d’autre part cette frontière n’a tout simplement aucune importance pour nous. Selon notre état émotionnel, nos désirs, nos besoins, la relation prendra une forme où une autre lors de nos rencontre. C’est plus ou moins imprévisible et c’est très bien ainsi. Dois-je l’inclure dans le total? Dois-je l’inclure seulement si nous avons couché ensemble la dernière fois? Ou si j’espère que nous coucherons ensemble la prochaine fois? Cette relation tombe en-dehors des cadres normatifs traditionnels. N’empêche qu’elle est profondément significative pour nous deux.

Un autre exemple: j’ai une amante qui habite à des centaines de kilomètres. Nos rencontres sont forcément très, très épisodiques, axées principalement sur la sexualité (même si on peut autant savourer notre compagnie en ne prenant qu’un verre tranquille), et se comptent annuellement sur les doigts d’une main selon nos déplacements respectifs. Est-ce une relation au sens conventionnel du terme? Si nous sommes dans la même ville nous essaierons de nous voir, mais sans obligation ni pression. Bien que nous ayions tous les deux un profond respect l’un pour l’autre et une excellente communication, il n’est pas par contre question de romantisme. Dois-je l’inclure dans le décompte?

Enfin, je termine sur un exemple très concret pour illustrer la variété des relations qui peuvent être incluses dans un polycule. La mère de mes enfants et moi avons une relation purement platonique depuis plus de sept ans. Par contre, nous avons un niveau de complicité et d’intimité remarquable (ce qui est un peu normal pour deux co-parents), nous nous entraidons régulièrement, que ce soit au niveau personnel ou professionnel, et communiquons probablement à chaque jour ou presque. Dans sa forme actuelle, cette relation nous convient parfaitement tous les deux et est très importante pour nous. Dois-je l’inclure dans le décompte?

La réponse passe par le concept de « polycule », soit la représentation des relations polyamoureuses avec un modèle inspiré des molécules. Différents types de liens m’unissent à chaque individus dans ce modèle, et ces liens peuvent se transformer, disparaître momentanément ou sporadiquement, de même que les liens entre ces individus et toutes les autres personnes qui sont également dans leur polycule. Notez qu’on peut décrire ses relations sous forme de polycule sans être polyamoureux! Dans ce type de modèle, il est possible d’inclure les partenaires selon l’intensité, l’intimité de la relation plutôt que des caractéristiques arbitraires. Ainsi, la relation entre ami(e) et amant(e) s’estompe car elle ne fait plus aucun sens.

La force principale de l’anarchie relationnelle réside donc dans la qualité des relations plutôt que dans leur définition. C’est un élément primordial, car nous ne pouvons ainsi jamais prendre pour acquis l’autre personne simplement en se basant sur le statut relationnel. Au contraire, le vécu doit être partagé et renouvelé régulièrement, ce qui met en place en cercle vertueux qui contribue à la qualité et l’intensité de la relation.

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Anxiété de performance

« Parfois, j’ai peur que tu me compares aux autres. »

C’est une phrase à laquelle j’imagine plusieurs polyamoureux/ses ont eu à faire face. Les racines de cette peur et de cette inquiétude sont profondes, mais se résument à deux préoccupations primaires. Pour répondre à la question, et pour calmer l’inquiétude, il est important de répondre aux deux.

A) Le mythe du « super-conjoint » ou de la « super-conjointe »

Ce mythe est bien ancré dans la tête des gens dès leur plus jeune âge. Votre conjoint doit vous compléter parfaitement. Il doit être à la fois votre meilleur ami, un amant hors-pair, votre amoureux. Votre conjointe doit être la meilleure mère pour vos enfants, une bombe sexuelle, votre confidente et votre soutien en toutes occasions. Bref, vous devez être tout pour elle ou pour lui. Allez faire un bref survol des fiches sur quelques sites de rencontre et vous attesterez au retour de la prépondérance de cette mentalité.

C’est bien entendu farfelu. Derrière ce concept social, il y a un mécanisme insidieux, celui de la mise en évaluation constante de l’autre. Je te choisis parce que tu es une meilleure personne. Voire LA meilleure personne (sinon, le risque qu’une personne encore meilleure arrive trouble la quiétude de la relation. Et d’ailleurs, prolongeons cette parenthèse en avançant qu’une grosse partie du deuil des séparations est causée par cette idée, que l’autre nous laisse pour quelqu’un de meilleur, ce qui diminue notre valeur et ajoute à notre douleur.  Mais ça, ce sera un autre billet). Autrement dit, l’amour est une compétition et votre partenaire l’a emporté.

Ça, c’est dans le meilleur des mondes. Car dans le pire, la femme aura été conditionnée dès son plus jeune âge à penser qu’elle devra être tout pour son mari, faire tout pour le satisfaire, au risque de le perdre, ce qui serait non seulement de sa faute, mais un témoignage de l’échec de sa féminité.

Dans un contexte polyamoureux, ça ne fait carrément aucun sens. L’autre est apprécié(e), aimé(e) non pas en raison de son rang (le meilleur) mais en raison de l’ensemble de ses caractéristiques intrinsèques. De son unicité, justement, qui nous invite à vouloir le découvrir, à partager avec elle plusieurs moments de sa vie, etc. Chaque personne a son propre éventail de qualités qui pourront ou non nous plaire, et que nous voudrons explorer sans nécessairement le faire dans l’exclusivité. L’amour n’est plus une compétition. Il est partage, découverte, liberté.

B) La sexualité comme un sport de haute performance

La phrase d’ouverture peut se prononcer dans différents contextes, mais je l’ai le plus souvent entendu en relation avec ma vie sexuelle. C’est l’autre préoccupation exprimée par cette inquiétude. Le fait que la sexualité soit devenue ou soit vue comme une activité de haute performance. Acrobaties, performances physiques parfois physiologiquement insoutenables et au final peu compatibles avec le plaisir, oubli de soi pour se centrer uniquement sur la performance du partenaire (souvent masculin) sont des aberrations véhiculées par la pornographie mais aussi par la psycho-pop ambiante (« 10 trucs infaillibles pour satisfaire votre partenaire entre les couvertes! »).

Et si on prenait un pas de recul?

La sexualité, comme tous les types d’interactions humaines, existe simultanément dans plusieurs domaines. Oui, la sexualité comme lieu de performance existe, et elle peut être d’ailleurs très satisfaisante. Mais la sexualité`est aussi un lieu de discours, un lieu de partage, un lieu d’intimité, un lieu de confiance, de vulnérabilité, la liste pourrait s’allonger à l’infini.

Deux amants qui se connaissent depuis des années peuvent se voir régulièrement, et réserver l’acte sexuel à de plus rares occasions. Le geste devient ici l’occasion de réactualiser une intimité, une intensité d’émotion peut-être, et peut s’exprimer dans la plus grande simplicité tout en étant porteur d’une charge affective immense.

Autrement dit, la sexualité n’est pas non plus une compétition où les amants et amantes doivent se démarquer, se battre les uns contre les autres pour marquer le plus de points possibles.

La sexualité, au contraire, est une sphère de partage également, les éléments qui y sont inclus étant propres et spécifiques à chaque relation et, de fait, incomparables les uns avec les autres.

Je ne vous compare pas les unes avec les autres. Je ne cherche pas à vous mesurer dans la sexualité. Je cherche à mieux vous connaître. Je cherche à mieux communiquer. Je cherche à partager. Je cherche à aimer. De la façon qui nous rejoint le mieux, à cet instant précis. Peu importe qu’à cet instant précis vous soyez une, deux ou plusieurs dans ma vie ou dans mon lit.

 

 

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La Fluidité Sexuelle

(Je reprends aujourd’hui un texte publié il y a plus d’un an sur un autre de mes blogues… je trouve toujours d’actualité les concepts présentés, mais de surcroît j’ajoute les notions d’asexualité/d’aromantisme, que je n’avais pas inclus dans le premier jet)

Il n’y a pas si longtemps, je suis tombé sur et ai dévoré avidement le dernier livre de Daniel Bergner, What Do Women Want? Il s’agit de l’exploration systématique des préjugés/préconceptions entourant la sexualité féminine. Parmi tous les concepts intéressants présentés dans ce livre, l’un a particulièrement retenu mon attention, soit celui de « fluidité sexuelle. »

(Petite parenthèse avant de continuer: j’ai été mis sur la piste du bouquin de Bergner via le blogue fascinant d’Audren Le Rioual, Les fesses de la crémière, blogue qui aborde sur une base régulière plusieurs sujets reliés aux conceptions des relations amoureuses, dont le polyamour, la fidélité, et ainsi de suite. Je vous invite tous à aller y faire un tour d’ailleurs.)

Pour en revenir à la fluidité sexuelle, il s’agit du concept selon laquelle l’orientation sexuelle n’est pas statique dans le temps. Autrement dit, les préférences peuvent aller et venir entre l’homosexualité, l’hétérosexualité, tous les genres de bisexualités possibles et imaginables, pansexualité, etc. La rectitude politique fait qu’on se perd un peu dans les termes, mais c’est l’idée qui compte: nos préférences peuvent, et vont, changer avec les années.

Mais au-delà de l’attirance (qu’elle soit sexuelle ou émotionnelle) la façon elle-même dont on conçoit ce qu’une relation « doit » être (comme si une relation « devait » absolument être d’une façon fixe) est elle même fluide. Tenez, par exemple, ce graphique sur lequel je suis tombé via un réseau social ce matin:

Fluidité relationelle

Ce qui est intéressant, en soit, n’est pas la catégorisation. On pourrait sans doute imaginer d’autres formes de relations. Au passage, notez que les modes « traditionnels » d’organisation du couple prennent très peu de place dans le graphique, ce qui est une bonne chose: il faut présenter et diffuser les options alternatives et se débarrasser des contraintes relationnelles héritées de l’époque victorienne.

Ce qui est intéressant, c’est ce qui manque dans le graphique: le fait que tous les modèles mis en images ne devraient pas être statiques, mais dynamiques. Qu’il est possible de passer de « l’anarchie relationnelle » à un polyamour égalitaire, en passant par d’autres stades, selon les besoins et les émotions des personnes impliquées à ce moment.

Les besoins incluent notamment la relation à la sexualité et au romantisme, qui sont souvent prise pour acquis dans les relations (i.e. on s’aime, donc on couche ensemble) alors qu’en réalité il est tout à fait concevable d’imaginer que des relations soient primordiales ou primaires (ou importantes, sans être hierarchisées) tout en excluant le romantisme, la sexualité, voire les deux. De surcroît ces besoins aussi évoluent dans le temps.

On pourrait, et devrait, pousser le concept une coche plus loin. La conception du genre (soit l’identité sexuelle, par opposition au sexe biologique) elle-même est fluide, propice à varier dans le temps. Même si chez la plupart des personnes cette identité ne sera jamais remise en question, il faut comprendre que pour d’autres, la masculinité et la féminité ne sont pas des acquis immuables mais des pôles, des catégories autour desquelles on gravite, s’en éloignant ou s’en rapprochant au gré de divers facteurs.

La fluidité sexuelle inclut tout ça: fluidité dans l’identité sexuelle, fluidité dans l’orientation sexuelle, mais aussi fluidité dans l’orientation « relationnelle » pour faute d’une meilleure expression. C’est l’incarnation du vivre et laisser-vivre.

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