St-Exupéry, le deuil, et l’anarchie relationnelle

Je ne suis habituellement pas du genre à citer du Petit Prince ou encore à méditer sur les citations inspirantes de tout acabit. Cependant j’ai relu dernièrement un chapitre bien connu et mon attention s’est attardé sur un passage que l’on néglige généralement:

Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche:

– Ah! dit le renard… Je pleurerai.

– C’est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise…

– Bien sûr, dit le renard.

– Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.

– Bien sûr, dit le renard.

– Alors tu n’y gagnes rien !

– J’y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.

On retient souvent de ce chapitre le rituel d’apprivoisement du renard qui le débute et surtout, la phrase: « l’essentiel est invisible pour les yeux, » qui vient plus loin. Je crois par contre que la leçon la plus importante se cache dans l’extrait ci-dessus et ce, pour quatre raisons:

  1. Le chagrin que nous vivons dans le deuil n’est pas à blâmer sur l’autre dans une relation librement consentie

L’amour du renard n’émerge pas d’une volonté de contrôle ni d’un vide ou d’un manque intérieur. Quand le Petit Prince dit « je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise, » le renard ne se rebiffe pas. Il ne se fâche pas contre le départ de son ami. Il ne le blâme pas. Il accepte cette décision sans la remettre en question car le départ inévitable de son ami faisait partie des conditions connues lors de l’entrée en relation. Sa seule réponse est « Bien sûr. » Sa réaction au deuil est mature et l’amour qu’il porte pour son ami lui fait accepter la nécessité de cette séparation.

2. C’est le sens que l’on créé à partir des événements qui nous permet de surmonter le deuil.

Quand le renard proclame qu’il y gagne à cause du blé (en fait, du souvenir des cheveux du Petit Prince, qui sont de la même couleur) il démontre que le deuil s’est déjà fait et qu’il a donné un nouveau sens aux événements. Ce n’est pas la présence physique de son ami qui importe, mais son existence. Le rappel qu’il existe quelque part est suffisant pour le réjouir. Mais comment peut-il faire un deuil aussi rapidement?

3. Le deuil doit débuter dès le moment de la rencontre.

Le renard sait, dès les premiers instants, que son deuil sera inévitable et qu’il ne comptera pas sur la présence constante de son ami. L’attente et l’absence, en fait, font parties des éléments qui rehaussent l’expérience de son bonheur. D’où cette référence au blé, à sa couleur, au bruit du vent qui le secoue et que le renard prévoit commencer à aimer. Il a posé dès les début de leur relation les bases d’une signification pérenne, qui ne dépend pas de l’immédiat ni de la présence de l’autre mais bien de la valeur et du renouveau des expériences vécues.

4. Ce n’est pas la durée qui valide une relation mais ce qu’en retirent les participants

Tel que mentionné ci-haut, le renard s’est préparé au deuil. Il l’a fait en sachant fort bien que la relation qu’il développerait avec son ami serait de courte durée. Ceci a été présenté de façcon explicite par le Petit Prince, qui déclarait lors de leur rencontre initiale:  » …je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître ». Sachant celà, il a quant même pris le risque de créer un lien, de se laisser apprivoiser. Au caractère éphémère de la relation, il a choisi d’opposer la chaleur impérissable des souvenirs et du sens. C’est une proposition audacieuse dans un monde où on tâche sans cesse de nous convaincre que les relations qui défient le temps sont des exemples à suivre à tout prix.

Il y a en fait dans ce passage entier des éléments qui sourient à l’anarchie relationnelle. Le Petit Prince et le renard nouent une relation basée sur la transparence et le consentement. Ils communiquent clairement leurs limites, les gestes acceptables en relation, les fréquences auxquelles ils désirent se voir. Ils ne tentent pas de faire entrer la relation dans un moule prédéfini mais co-créent plutôt ensemble le modèle qui leur convient. Mais surtout, on avance qu’il vaut la peine d’aimer même si cet amour sera éphémère et transitoire, que cet amour lui même porte son propre sens et n’a pas besoin d’être validé autrement pour enrichir la vie des personnes qui y participent.

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Notes sur l’éducation

Deux articles différents sont apparus sur mon fil d’actualité aujourd’hui et me mènent à faire cette brève montée de lait sur l’importance de l’éducation sexuelle et les abus de pouvoir qui découlent de l’ignorance.

La première est cette annonce par l’archevêché de Montréal incitant les parents à retarder, voir ne pas faire du tout l’éducation sexuelle de leurs enfants, rendue maintenant obligatoire dans les écoles publiques du Québec.

https://www.lapresse.ca/actualites/education/201901/09/01-5210516-education-sexuelle-retirez-vos-enfants-des-classes-propose-larcheveche.php

Le second est cet article de Slate sur l’éducation sexuelle, mettant à l’affiche une recherche de l’université Columbia qui détruit en tout point l’argumentaire utilisé par les autorités catholiques. Selon ces chercheurs, au contraire, il faut débuter très tôt l’éducation au consentement notamment afin de réduire le risque d’agression plus tard dans la vie. http://www.slate.fr/story/171615/lutter-viol-education-sexualite-marche

Juxtaposons ces points de vue opposé avec l’historique infâme de pédophilie de l’église catholique et un tout autre portrait émerge. Les autorités catholiques n’ont pas à coeur le bien-être des enfants, mais le maintien d’un statu quo qui leur permet de nier encore et toujours son passé peu reluisant et, pire encore, qui crée les conditions permettant à ces abus de se répéter.

On dit en anglais « Knowledge is Power » – le savoir est un pouvoir. En réalité, la connaissance et l’éducation sont des contre-pouvoirs qui permettent d’identifier, puis de dénoncer les abus de personnes en position d’autorité.

Au quotidien, mes valeurs sont non seulement anti-cléricales, mais de façon générale anti-sectaires. Mon expérience personnelle m’a appris que toute personne se drapant dans une autorité religieuse ou spirituelle (pas seulement les prêtres catholiques, ceci s’appliquent à toutes les religions voulant contrôler les moeurs des gens, ainsi qu’à tous les pseudo-gourous du web faisant la promotion de bien-être ou de médecines alternatifs à grand renfort de pub et de suppléments) vise surtout à assoir son ascendant et sa domination personnelle sur autrui.

L’éducation est la meilleure façon de combattre les gens qui utilisent l’ignorance comme outil de prédation. L’éducation sexuelle la meilleure façon de protéger les gens les plus vulnérables de notre société – les enfants – contre les prédateurs de tout acabit.

Je vous invite à vous opposer à cette initiative de l’archevêché et à sa mentalité toxique. Si vous connaissez des gens ou des jeunes qui pourraient bénéficier d’un meilleur accès à l’éducation sexuelle, ou si vous en êtes un-e, voici une liste de sites vous offrant de l’information de qualité à cet effet. N’hésitez pas à la partager autour de vous.

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Les autres types de relation

L’anarchisme relationnel a ceci de propre, dans la grande famille de la non-monogamie éthique, qu’il n’établit pas de hiérarchie a priori entre les différents types de relations. Ça semble en apparence anodin comme distinction, mais plusieurs personnes sont habituées à les séparer et les hiérarchiser, et il vaut la peine par moment de revisiter ces différents types de relation. 

La plupart des gens sont familiers avec les relations romantiques selon ce que j’appelle le « modèle standard »: la relation romantique est également amicale, sexuelle, exclusive, pérenne, etc. Les relations purement amicales ou purement sexuelles ne sont également pas difficiles à concevoir. Mais d’autres liens peuvent unir les gens, au-delà de ces formes de relation. 

Un type d’activité dont on commence de plus en plus à parler dans les médias, entre autre grâce au succès des livres et films de la série 50 Shades of Grey, est le BDSM, un acronyme qui regroupe une série de pratiques autour du sado-masochisme, de la domination et de la soumission, du shibari (l’art de ligoter) ainsi que plusieurs autres « kinks » sexuels ou non. Au-delà de cette discutable représentation médiatique qui fait abstraction du consentement, ces pratiques requièrent généralement un haut degré de communication (verbale et non-verbale) et un lien de confiance fort entre les participants.  Ces liens et la répétition de ces gestes peuvent aboutir sur une relation qui n’incluera pas nécessairement l’amitié, l’amour ni la sexualité. L’activité BDSM en soit valide la relation de ces personnes. 

D’autres exemples de liens sont basés sur une communauté d’intérêts partagés. Un hobby peut réunir les gens. Un partenaire de cartes qu’on voit toute sa vie le vendredi soir peut devenir une personne importante dans notre vie.  Une cause sociale, culturelle ou politique peuvent unir deux personnes (voire plusieurs). Ceci peut les emmener à faire équipe, à développer aussi une relation forte, nourrie par leur implication commune et leur idéologie, qu’elle soit socialement acceptable ou pas. Celle-ci débouche parfois sur un autre type de relation (Bonnie et Clyde, par exemple), parfois pas. Cette relation peut également être professionnelle, et durer ou non dans le temps.  

Les liens familiaux tissent également chez certaines personnes toute une série d’obligations et il n’est pas rare de voir des individus consacrer plus d’énergie à leur famille immédiate ou élargie qu’à d’autres types de relations. La proximité tissée par ces liens débouche parfois sur des collaborations professionnelles: les frères Wright, Marie Curie et sa fille Irène Joliot-Curie, et ainsi de suite. Historiquement d’ailleurs, les liens du sang passaient avant la romance dans les mariages, et ces cérémonies étaient d’abord et avant tout des transactions visant à garantir et consolider les alliances entre deux familles – l’opinion des époux étant parfois accessoire. 

Je ne recommanderais pas de revenir à un tel modèle de nos jours. Par contre, chacun de ces types de relations est en soit valide s’il est consensuel, bénéfiques pour les participants, et reconnu comme important et légitime par ces derniers également. Si dans ces conditions ces liens sont tellement forts qu’ils priment sur d’autres types d’attachement, ce n’est pas quelque chose que nous devons juger mais simplement accepter comme composante du bonheur et de l’équilibre de ces individus. 

Pour certain-e-s, il va de soi que toutes ces formes de relations sont importantes dans une vie. L’anarchisme relationnel en tant que philosophie emmène simplement la nécessité de les considérer comme des relations valides en elles-mêmes, si jamais on avait perdu ce simple fait de vue. 

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Valeurs, philosophie, spiritualité et non-monogamie

Si je parle souvent de l’anarchisme relationnel comme d’une approche communautaire autant philosophique que pratique des relations, il faut toutefois faire bien attention de ne pas généraliser cette idée à l’ensemble des relations non-monogames éthiques, voire à l’ensemble des relations, point final. En réalité, la façon dont on décide de structurer ses relations (amoureuses ou pas) et nos valeurs et nos philosophies ne sont pas nécessairement corrélés.

Ma vision des relations est imprégnée d’idéaux communautaires. Je favorise la création de liens entre les personnes avec qui je suis en relation, et le développement d’une communauté autour de la non-monogamie tout en diffusant mes opinions sur l’anarchisme relationnel. Cependant cette vision n’est pas propre à tous les anarchistes relationnels. D’autres pourraient parfaitement et légitimement préférer une approche plus isolée, par exemple (mais sans généraliser) si ces personnes sont de nature plus introvertie ou socialement anxieuse, ou simplement plus individualiste.

Les relations monogames peuvent également être guidées par des valeurs communautaires. Ainsi, un couple exclusif pourrait agir pour regrouper une communauté d’amis, de parenté, de connissances autour d’eux et les mettre en lien les uns avec les autres, sans que ces liens ne soient de nature sexo-affective. À l’opposé d’autres couples peuvent également s’isoler et se concentrer sur leurs propres projets ou s’entraider afin d’atteindre leurs objectifs individuels.

Entre tous ces différents pôles, dépendant de la façon dont les relations sont hiérarchisées ou non, plein de configurations non-monogames sont possibles, que ce soit une triade ou un quad isolé et exclusif, des solo-poly très impliqué-e-s dans leur milieu, etc.

Cette réflexion va au-delà des simples valeurs individualistes ou communautaires et s’applique aussi bien aux autres sytèmes de valeurs: capitalisme, antispécisme, racisme et sexisme, antifascisme ne sont pas le propre d’une communauté basée sur un choix d’orientation relationnelle. Le biais de sélection des gens qui s’impliquent dans une communauté et la chambre d’écho ainsi créée peuvent parfois nous laisser croire le contraire, mais la population non-monogame demeure diversifiée dans ses valeurs et philosophies sociales et politiques, tout aussi bien que la population monogame. Ceci est aussi vrai des croyances religieuses et spirituelles.

Pour certains, la non-monogamie est une façon de s’entourer de gens aux points de vue diversifiés, pour d’autres il s’agit d’entrer en relation avec des gens qui nous ressemblent. Il est donc important de ne pas préjuger des attentes des autres, de leur pensées et de leur identité mais plutôt de prendre le temps de les connaître individuellement.

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Je suis reconnaissant car…

Ce jour marque la fête du Thanksgiving pour nos voisins du sud, l’équivalent de l’Action de Grâce au Canada (et pour mon lectorat européen, je ne sais trop quel fête s’y comparerait). Il est généralement de bon ton de profiter de la journée pour apprécier les bontés que la vie nous offre. Alors je me permets de faire une petite liste:

Je suis reconnaissant car ma vie d’anarchiste relationnel est au beau fixe!

Je suis reconnaissant car mes partenaires se connaissent, s’apprécient, et n’hésitent pas à manigancer des coups pendables dans mon dos.

Je suis reconnaissant d’avoir pu vivre cette escapade en amoureux à NY avec une partenaire de longue date.

Je suis reconnaissant d’avoir eu la chance de passer une soirée avec une personne qui m’est très chère à Québec dernièrement

Je suis reconnaissant d’avoir des enfants, une famille, des partenaires en santé, de l’être moi-même, d’avoir une vie professionnelle palpitante, un cercle d’amis qui pense à moi et agit de façon bienveillante.

Je suis reconnaissant de pouvoir parler librement de mes choix de vie à mon entourage, de pouvoir présenter la non-monogamie éthique sur différents forums et parfois même, comme tout récemment, à une classe d’universitaires qui portaient attention et posaient des questions judicieuses.

Je suis reconnaissant d’avoir retrouvé le goût d’écrire après une pause de six mois.

Je suis reconnaissant de voir croître autour de moi une communauté soudée, unie et bienveillante de gens réunis par les diverses formes de non-monogamie éthiques, ses champs d’intérêts divers et fascinant, son effervessence surprenante et amusante.

Et par dessus-tout, je suis reconnaissant d’avoir la capacité et le privilège de percevoir ces bienfaits, de les nommer, de les vivre sans hésitation ni crainte.

Je vous souhaite à tou-te-s la même abondance de bienfaits pour l’année qui s’en vient!

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Pluriparentalité et familles réinventées

L’Honorable Gary Morrison, un juge du centre du Québec, a remis le débat sur la pluriparentalité à l’ordre du jour cette semaine en interpellant le gouvernement afin de demander des changements à la définition trop restreinte de parentalité. Forcé de trancher dans une cause crève-cœur opposant les trois parents d’un enfant, le juge a été contraint par le cadre légal actuel de ne légitimer que deux de ceux-ci dans leur rôle. L’appel du juge se voulait un geste de compassion – il reconnait lui-même le caractère cruel de son jugement autant envers le parent que l’enfant.

Force est de reconnaître que les polyamoureux-ses qui sont ou désirent devenir parents font face à un défi singulier. Dans le meilleur des mondes, l’entente règne entre les parents et l’intervention des tribunaux n’est pas nécessaire. Je donne souvent ma propre histoire en exemple de cette situation: je suis père de deux enfants issus d’une relation monogame. Celle-ci a pris fin il y a plusieurs années. Par la suite, lorsque j’ai commencé à expérimenter avec la non-monogamie, je n’en ai pas immédiatement informé les enfants, qui à l’époque n’aurait peut-être pas eu la capacité de compréhension nécessaire. Cependant ce n’était pas un secret pour personne d’autre et lorsque le moment fut venu d’en informer mes enfants, j’en parlai d’abord à leur mère. Sa réaction fut de me demander de l’aviser lorsque ça serait fait; elle aurait par la suite une discussion avec nos enfants afin de leur présenter son modèle relationnel préféré (la monogamie). Le tout s’est fait dans le respect, sans traumatiser personne. Mes enfants ont depuis rencontré plusieurs de mes partenaires et, étant en garde partagée, vivent une semaine sur deux avec leur mère et son partenaire également.

À l’opposé du spectre, une de mes partenaires n’ose pas encore afficher la relation qu’elle a avec moi ni en parler à son fils. Elle craint trop les répercussions: sa relation avec le père est très conflictuelle et elle ne désire pas que le polyamour serve de motif pour ouvrir une énième ronde de débat devant les tribunaux sur la garde des enfants. Dépendant d’où vous vivez, cette crainte peut être fondée. Aux États-Unis par exemple, des ex-conjoint-e-s et des grands-parents ont utilisé ce prétexte avec succès pour enlever la garde d’enfants à leurs parents biologiques. Au Canada heureusement, la jurisprudence, quoique limitée, ne va pas du tout dans ce sens (voir les cas Buxton vs. Buxton en Saskatchewan en 2006, R.M. v. A.G. au Québec en 2013, B.D.G. v. C.M.B. en 2016 en Colombie-Britannique). Néanmoins, le simple fait que le polyamour soit utilisé comme argument devant les tribunaux et que la vie intime soit ainsi exposée aux regards d’inconnus rend plusieurs personnes extrêmement inconfortables.

Tous ces cas, rappelons-le, mentionnent des familles hétéroparentales en instance de divorce ou de séparation. La conception à plusieurs était encore loin des préoccupations des tribunaux jusqu’à tout récemment. Le dossier J.M. c. G.R. et C.L. a exposé les limites de la loi par rapport aux pratiques et réalités de la parentalité en 2018. Au Québec, un enfant ne peut avoir que deux parents et, dans le doute, la préférence va à un parent de sexe masculin et un parent de sexe féminin. Ceci place tous les autres projets familiaux dans une position délicate. Plusieurs personnes ont fait un projet de famille à trois. Parfois les adultes impliqués seront polyamoureux, parfois, comme c’est le cas dans le jugement Morrison, ils seront co-parents, sans être tous liés par une relation sexo-affective.

Malheureusement les parents n’apparaissant pas au certificat de naissance n’ont aucune reconnaissance juridique et comme on le voit, même les parents qui y apparaissent peuvent en être retirés. Tant que l’harmonie règne entre les parents, le modèle fonctionne. La moindre dispute devient cependant très fragilisante. Dans la cause J.M. c. G.R. et C.L., le défendeur est de surcroit une personne marginalisée, transmasculine, et la revendication de son identité semble être le déclencheur du conflit. La transition de C.L. a mené à la rupture amoureuse avec sa conjointe, et son désir d’être reconnu comme père a mené le père biologique à faire valoir ses propres prétentions paternelles. Je ne connais pas assez le dossier pour discuter de la présence ou non de transphobie dans cet exemple précis, mais la cause en entier illustre la vulnérabilité à laquelle s’exposent les parents trans dans ce genre de situation familiale.

Les personnes polyamoureuses vivent dans un état de vulnérabilité sociale. Leur mode relationnel n’est pas reconnu, il est parfois étalé sur la place publique afin de les blesser ou de leur nuire en procès, et aucun outil ne peut les aider à sécuriser leurs droits familiaux. La menace bien réelle du retrait des droits parentaux, tel que rendue explicite par le jugement Morrison, donne maintenant une arme d’oppression supplémentaire aux conjoint-e-s et ex-conjoint-e-s qui désirent manipuler leurs partenaires qui s’identifient comme parents et jouent ce rôle sans avoir droit à la reconnaissance légale. Ceci est nuisible non seulement pour ces parents, mais d’abord et avant tout pour les enfants qui se retrouvent encore une fois pris en otage au sein de ces disputes domestiques. Enfin la vulnérabilité de ces parents « illégaux » est exacerbée lorsqu’ils font face à d’autres oppressions (transphobie, homophobie, racisme individuel ou systémique, etc.).

Il est impératif de dépoussiérer nos textes de loi pour s’adapter à cette réalité sociale et surtout, pour assurer le bien-être et la protection de toutes les personnes vulnérables, parents comme enfants.

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Compte-rendu: la sortie du placard

Voici un un petit compte-rendu de « It’s Called ‘Polyamory’ – Coming Out Abot Your Nonmonogamous Relationships »

De façon concise: le livre est très bien même si certains éléments m’ont laissé un peu sur ma faim.

De façon plus détaillée: j’aime beaucoup l’approche du livre, qui est basée sur la compassion (surtout la compassion envers soi) et le pragmatisme. Les auteures ne prennent pas une ligne hardcore idéaliste pour aborder un sujet dont les répercussion dans le monde réel peuvent être très lourdes, et c’est une excellente chose.

Elles tentent également de présenter, à travers une série de témoignage, les impacts, autant positifs et négatifs du coming out pour des gens issus de communités diverses, ou vivant diverses oppressions. Mon seul regret à ce sujet est qu’elles limitent la diversité à la diversité ethnique, de genre, ou d’orientation, ce qui occulte possible d’autres enjeux (personnes neuro-atypiques, classisme, capacitisme) qui peuvent aussi être très importants.

Les chapitres couvrent divers lieux où un coming-out peut se faire (famille, amis, travail, école) et donnent d’abord des conseils et des points à considérer, ensuite une série de témoignages propre à ce lieu. Les conseils sont très pertinents et visent à emmener à réfléchir à sa propre réalité, plutôt qu’à donner des réponses toutes faites. Plusieurs suggestions quant aux façons d’emmener ou d’esquiver le sujet sont présentées. Ultimement, le choix revient toujours à la personne qui veut faire son coming-out, selon le risque présenté, mais les auteures font un très bon éventail de l’ensemble des facteurs de risque et de la façon dont on peut les mitiger.

Les témoignages sont vraiment ancrés dans la réalité américaine, et de façon disproportionnée il me semble dans la culture rurale ou conservative américaine (c’est aussi possiblement là que les risque de coming-out sont les plus grands). Dans certains cas, il sera difficile de s’identifier à certains témoignages puisque la réalité conservatrice-religieuse de ces états n’est pas la nôtre. Mais certains témoignages ont une portée plus universelle.

Les sections d’introduction (qu’est-ce que le polyamour, petite histoire de la non-monogamie) et de conclusion (comment vivre son polyamour, étiquette de la communauté poly) sont vraiment excellentes par contre, et je recommanderais le livre seulement pour ça.

En tout et pour tout un bon achat si vous êtes à l’aise avec l’anglais, et encore plus si vous préparez votre propre sortie du placard.

 

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Engagement, ententes et non-monogamie

Par un étrange mécanisme, le concept de monogamie est devenu dans nos sociétés synonyme d’engagement, et le concept d’engagement lui-même est devenu une sous-catégorie de la monogamie. Plusieurs activités, comme faire l’acquisition d’une maison ou encore, fonder une famille, semblent inconcevable en-dehors de l’institution du couple traditionnel. D’autres y sont intimement reliées: partir en vacances, célébrer le temps des fêtes, etc.

Cette situation créé trois types de problèmes, autant chez les personnes monogames que non-monogames. Le premier de ces problèmes (touchant plus les personnes non-monogames) est de définir comment accéder à ces engagements en-dehors de la structure du couple. Le second problème (touchant tout le monde, mais particulièrement les personnes monogames) est de définir comment faire survivre un engagement lorsque la relation de couple ne survit plus. Le troisième problème est que la validité des relations n’est pas reconnue tant qu’elles ne sont pas jointes à une forme d’engagement quelconque.

Reprenons les exemples que j’ai cité au premier paragraphe. L’acquisition d’une maison est souvent une étape majeure dans la vie d’un couple. C’est une façon de se commettre sur le long terme (puisqu’une hypothèque va non seulement vous lier à l’autre conjoint-e mais également à votre prêteur financier pour une durée possible de 25 ans). Ce geste envoie un signal très clair à cet effet. Mais est-ce le cas de tous les achats de maison? Bien sûr que non. Plusieurs personnes achètent dans l’immobilier à des fins d’investissements, afin de « flipper » (rénover puis revendre à profit) ou encore à des fins locatives. Si rien n’empêche d’acheter seul ou en couple, rien n’empêche non plus d’acheter à plusieurs.

Avoir des enfants est, pour des raisons biologiques, également vu comme un engagement de couple. Ce modèle commence à s’effriter de nos jours. D’une part, l’accès aux banques de spermes permet aux femmes de concevoir seules si elles le désirent. L’adoption s’ouvre également aux parents célibataires et aux parents de même sexe, tout comme le recours aux mères porteuses (activité qui n’est pas toujours bien encadrée ni réglementée selon les pays où vous vous situez). Des modèles familiaux différents ont toujours existé: implication de la famille étendue dans l’éducation des enfants, ou encore de la communauté en entier – d’où l’expression « Il faut tout un village pour élever un enfant »). Rien n’empêche de collaborer à plusieurs pour fonder une famille. Les institutions légales en place, malheureusement, ne permettent pas la reconnaissance de plus de deux parents, ce qui est au détriment à la fois des enfants et des gens qui s’occupent d’eux.

Pour les autres enjeux, les vacances, les fêtes traditionnelles, il s’agit souvent de « marqueurs » d’engagement plutôt que de véritables obligations. Après tout, vous pouvez bien partir en vacances avec vos amis, votre famille, vos camarades de classe. Une fois en couple, cependant, il est pris pour acquis que vous consacrerez une partie de ce temps avec votre conjoint-e. On peut dire grosso modo la même chose des fêtes familiales.

Comme on le voit donc, aucun de ces engagements n’est propre au couple en tant que tel. Par tradition, et souvent parce que c’est plus pratique ainsi, ces activités ont été regroupées dans les obligations et privilèges du couple, mais rien n’empêche personne d’autre d’y accéder. En fait, il est sans doute plus facile de le faire de façon raisonnée dans ce temps puisque l’engagement fait alors appel à une autre de nos institutions légales omniprésente: le contrat.

Le contrat (préférablement écrit) est le moyen que nous utilisons pour lier ensemble deux ou plusieurs parties ayant la capacité de consentir et qui souhaitent conclure un engagement circonscrit, précis, balisé et déterminé. Il s’utilise pour créer des relations de tout genre, notamment commerciales, et est très utile à cette fin justement pour permettre de négocier les conditions de sorties ou de survie de l’engagement à la relation. Il est toujours préférable de négocier ces clauses au début de la relation, quand tout est au beau fixe, qu’après la fin de cette dernière, particulièrement si cette fin est acrimonieuse.

Afin de gérer les relations non-monogames, ou certains types de relations non-romantiques (par exemple, les relations BDSM), plusieurs personnes ont recours à une forme d’entente, parfois informelle, parfois très formelle (voire même protocolaire dans le cadre de certaines relations BDSM).

Rien n’empêche de gérer ses engagements de la même façon, encore plus si les parties prenantes à ces engagements changent d’une fois à l’autre. Vous voudrez sans doute une entente écrite, formelle et une certaine couverture juridique si vous faites l’acquisition de propriété ou songez à fonder une famille.  En notant par écrit chacun de ces engagements, vous aurez une trace neutre pour gérer ces derniers dans le temps. Il permet également de protéger toutes les parties, surtout lorsque les institutions en place (droit de la famille et autre) ne sont pas faites pour accommoder celles-ci. Une entente au niveau de vos attentes quant aux vacances avec vous partenaires peut être de l’ordre de la discussion informelle. La communication, comme toujours, est la pièce maîtresse de la non-monogamie éthique. Le tout semble sans doute peu romantique, j’en conviens. Cependant un peu de pragmatisme au départ d’un engagement risque d’éviter bien des écueils en chemin.

Au final, ces éléments permettent de répondre aux deux premiers enjeux soulevés lors de l’introduction, mais il est aussi important de garder en tête que, dans une perspective anarchiste, la validité d’une relation ne dépend pas de ces engagements, ni d’aucun critère de validation externe, mais uniquement de ce que les personnes impliquées dans la relation décident ensemble. Si vous sentez une forme de pression ou de coercion à l’engagement, il est sans doute temps de discuter en profondeur de vos attentes avec votre ou vos partenaire-s.

 

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Quelques autres nuances de gris

La déconstruction graduelle des normes et des préjugés entourant les relations sexuelles et romantiques nous a mené à voir plusieurs aspects des relations, notamment l’identité de genre et l’orientation sexuelle, comme étant des positions fluides sur un continuum plutôt que des variables binaires. Ainsi, nous avons, en plus des identités masculines et féminines, des identités gender-fluid, queer, voire carrément a-genre. Parallèlement, au-delà des identités hétéro et homosexuelles émerge tout un spectre bisexuel ou encore pansexuel.

Plus récemment, les composantes de l’attirance entre les personnes elles-mêmes ont fait l’objet de cette déconstruction. L’attirance sexuelle, vu comme une condition sine qua non des relations amoureuses, a été remise en question sous la pression émergente de la communauté asexuelle, soit des personnes qui ne ressentent pas ou très peu d’attirance sexuelle envers les autres. L’attirance romantique a emboîté le pas et l’aromantisme a rejoint l’asexualité dans les spectres de l’attirance interpersonnelle.

Évidemment, puisqu’il s’agit de spectres, tout n’est pas noir ou blanc. Toute une série d’identités sont regroupées sous le vocable « gray-asexuality » ou « gray-aromanticism » en anglais (ou encore « a-grise » en français). Par exemple, une personne demisexuelle ne concevra une attirance sexuelle envers une autre qu’après avoir créé un fort lien émotionnel avec cette personne.

L’émergence et surtout, la reconnaissance de ces identités est essentielle dans le contexte de l’anarchisme relationnel (et, entre vous et moi, pas mal essentielle dans n’importe quel autre cadre relationnel également) dans la mesure où elle force la remise en question des schémas relationnels standards, de la « Disney-isation » de l’attirance romantique par exemple, de l’ascenseur relationnel, ainsi de suite. Le propre de l’anarchisme relationnel étant que les paramètres d’une relation sont déterminés par les personnes impliquées dans cette relation et évoluent avec celles-ci, l’acceptation et la validation des identités sur les spectres asexuels ou aromantiques devraient aller de soi.

L’éclatement des normes comportementales quant à l’attirance permet aussi d’identifier, et éventuellement de nommer, le mix d’attirance propre à chaque individu. Par exemple, je me situe quelque part à l’inverse du demisexuel: pour ma part, je ne peux former un attachement romantique que si j’ai déjà conçu une attirance physique réelle pour la personne. Il n’y a pas encore de terme pour ça, et malheureusement d’une certaine façon ça rejoint un préjugé qu’on porte souvent aux personnes cis-masculines: penser au sexe avant tout. Ceci dit, nommer l’identité deviendrait une façon de détruire ce préjugé (ce ne sont pas toutes les personnes cis-masculines qui ont ces attirances précises, d’autre personnes partout sur le spectre du genre pourraient avoir le même schéma d’attirance, et l’attirance romantique est bel et bien forte et importante pour ces personnes).

J’invite en terminant toutes les personnes qui se sont reconnues dans les différentes descriptions présentées très sommairement ci-haut, et toutes les personnes intéressées à en apprendre davantage, à visiter la communauté de référence sur le web pour ces questions ici en français, ou en anglais par là.

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La non-monogamie et l’émancipation

J’avais 18 ans la première fois que j’ai admis être bisexuel.

J’avais 18 ans, en fait, la première fois où on m’a raconté a posteriori mon admission, puisqu’apparemment j’étais bourré et que je me suis laissé aller à quelques confessions entre amis cette nuit-là. Des confessions que je n’avais même pas osé me faire à moi-même, en toute honnêteté. Confronté à cet aveu public, je n’ai pas eu trop le choix que de l’accepter et de tenter de l’intégrer à mon identité par la suite.

J’avais 33 ans la première fois où j’ai eu des relations intimes avec un autre homme. Faites le calcul: 15 ans entre l’acceptation d’un concept et sa mise en oeuvre. Que s’est-il passé?

On parle de plus en plus de « bi-erasure », l’occultation de la bisexualité, effacée du discours médiatique et culturel, comme d’un phénomène d’oppression. Si cet élément peut avoir joué sur mes relations à l’époque, l’obligation de monogamie exclusive a eu un impact beaucoup plus profond. Pendant cette période, je considérais mon attrait pour les hommes comme purement physique. L’idée d’avoir un intérêt romantique envers un homme ne m’attirait pas du tout. Bisexuel, donc, mais hétéroromantique. J’étais « ouvert » aux possibilités physiques, mais comme je m’attachais fréquemment à des femmes et que ces relations devenaient rapidement monogames et exclusives, j’ai dû attendre 15 ans avant d’explorer ce volet de ma sexualité.

Exactement à ce moment, je venais de rejeter la monogamie comme mode de vie (je pensais encore que ce rejet était temporaire, avant de réaliser qu’il était nécessaire à mon équilibre quelque temps plus tard). Malgré l’absence de modèles et sans trop savoir comment m’y prendre, pour la première fois, mes choix de partenaires n’excluaient pas de facto toutes les autres personnes. J’étais libre d’explorer et d’en parler. Le genre de mon ou ma partenaire ne m’importait soudainement plus.

Cette dernière phrase n’est pas tout à fait exacte, à bien y penser.

Il a fallu quelques années de plus pour que la distinction binaire entre les genres s’estompe, après un premier rendez-vous avec une personne non-binaire. Et là encore, la distinction pansexuelle mais hétéroromantique demeurait.

C’est finalement le mouvement #MeToo, en octobre dernier qui fut le déclencheur d’une ultime prise de conscience dans ce domaine. Ma distinction entre le sexe et l’attachement est en réalité un reliquat d’une culture de masculinité toxique. Considérer les hommes comme des « jouets » sexuels uniquement, ou comme des partenaires de jeu, me permet de me soustraire à la dynamique « dominant/dominé » qui s’impose socialement dans les relations entre hommes. Un attachement plus profond m’aurait forcé à revisiter cela, et inconsciemment mon inconfort face à cette possibilité était beaucoup trop grand. Un examen de conscience a débuté.

Depuis ce moment, je déconstruis graduellement les préjugés toxiques que j’ai incorporé au fil des quarante dernières années. Ce n’est qu’une question de temps et de rencontre avant que je puisse confortablement me dire pansexuel et panromantique. Il aura fallu pour ça que je m’émancipe des carcans dans lesquels notre société tend à nous enfermer: définition stricte de ce qu’est une relation, de ce qu’est un couple, de ce qu’est l’amour, de ce que sont les genres et l’identité. Il en restera sans doute des relents ici et là pendant un certain temps, mais je ne doute aucunement que je me rapproche d’une réelle liberté d’aimer.

Je vous souhaite à tou-te-s cette même liberté.

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