Valeurs, philosophie, spiritualité et non-monogamie

Si je parle souvent de l’anarchisme relationnel comme d’une approche communautaire autant philosophique que pratique des relations, il faut toutefois faire bien attention de ne pas généraliser cette idée à l’ensemble des relations non-monogames éthiques, voire à l’ensemble des relations, point final. En réalité, la façon dont on décide de structurer ses relations (amoureuses ou pas) et nos valeurs et nos philosophies ne sont pas nécessairement corrélés.

Ma vision des relations est imprégnée d’idéaux communautaires. Je favorise la création de liens entre les personnes avec qui je suis en relation, et le développement d’une communauté autour de la non-monogamie tout en diffusant mes opinions sur l’anarchisme relationnel. Cependant cette vision n’est pas propre à tous les anarchistes relationnels. D’autres pourraient parfaitement et légitimement préférer une approche plus isolée, par exemple (mais sans généraliser) si ces personnes sont de nature plus introvertie ou socialement anxieuse, ou simplement plus individualiste.

Les relations monogames peuvent également être guidées par des valeurs communautaires. Ainsi, un couple exclusif pourrait agir pour regrouper une communauté d’amis, de parenté, de connissances autour d’eux et les mettre en lien les uns avec les autres, sans que ces liens ne soient de nature sexo-affective. À l’opposé d’autres couples peuvent également s’isoler et se concentrer sur leurs propres projets ou s’entraider afin d’atteindre leurs objectifs individuels.

Entre tous ces différents pôles, dépendant de la façon dont les relations sont hiérarchisées ou non, plein de configurations non-monogames sont possibles, que ce soit une triade ou un quad isolé et exclusif, des solo-poly très impliqué-e-s dans leur milieu, etc.

Cette réflexion va au-delà des simples valeurs individualistes ou communautaires et s’applique aussi bien aux autres sytèmes de valeurs: capitalisme, antispécisme, racisme et sexisme, antifascisme ne sont pas le propre d’une communauté basée sur un choix d’orientation relationnelle. Le biais de sélection des gens qui s’impliquent dans une communauté et la chambre d’écho ainsi créée peuvent parfois nous laisser croire le contraire, mais la population non-monogame demeure diversifiée dans ses valeurs et philosophies sociales et politiques, tout aussi bien que la population monogame. Ceci est aussi vrai des croyances religieuses et spirituelles.

Pour certains, la non-monogamie est une façon de s’entourer de gens aux points de vue diversifiés, pour d’autres il s’agit d’entrer en relation avec des gens qui nous ressemblent. Il est donc important de ne pas préjuger des attentes des autres, de leur pensées et de leur identité mais plutôt de prendre le temps de les connaître individuellement.

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Privilège de couple et Impossibilité de la solitude

Il y a plusieurs façons de vivres ses relations non-monogames ou polyamoureuses et j’ai déjà exploré différentes configurations dans un billet précédent. J’aimerais aujourd’hui me concentrer sur une de ces configurations, qui s’applique souvent (mais pas tout le temps) à l’anarchisme relationnel, soit ce qu’on appelle communément le « solo-poly » et, de façon générale, aux impacts de la monogamie toxique sur cette configuration.

Les gens qui se déclarent solo-poly rejettent généralement l’idée de vivre avec un partenaire principal, ou un partenaire de vie, occupant le même espace qu’eux au quotidien. Ces personnes ont, pour diverses raisons, envie de se réapproprier cet espace. On observe parfois cette tendance après une rupture ou un bouleversement important, et chez certaines personnes le solo-poly est une façon de faire de soi-même son propre partenaire principal. On se consacre d’abord à soi, à son bien-être, et le foyer sert de cocon pour protéger l’individu. Chez d’autres, le besoin d’un lieu neutre est primordial. Je dis souvent, mi-figue mi-raisin, que mes enfants sont ma relation principale, et conséquemment je ne souhaite pas partager mon habitat et mon quotidien avec mes partenaires.

On réalise par contre rapidement qu’il n’est pas évident de se réapproprier cette solitude aux yeux de la société. Le poids de l’ascenseur relationnel est écrasant et dans le regard des autres, une relation n’est pas « sérieuse » s’il n’y a pas de plan de vie commune qui s’y greffe. Le ou la solo-poly sera parfois vu-e comme un-e éternel-le célibataire alors que cette personne peut très bien avoir une ou plusieurs relations à n’importe quel moment. Ceci peut mener à divers quiproquos sociaux. Dans le pire des cas, on regarde avec méfiance cette personne qui a « peur de s’engager » dans la même voie que les autres.

Au surplus, le besoin de solitude lui-même n’est pas reconnu comme valide. À titre d’exemple, une de mes partenaires m’a raconté l’anecdote suivante: ayant besoin de repos, elle s’est vu offrir un weekend de relaxation dans une auberge-spa. Personne n’a rien eu à redire de voir une personne seule dans le spa, mais en soirée, à l’heure du repas, une serveuse extrêmement gênée de la voir seule, alors que l’ensemble des autres clients de l’auberge soupaient en couple, lui a recomandé d’aller prendre son repas dans sa chambre. Pour elle, il était inconcevable qu’une personne se sente à l’aise de manger seule alors qu’elle était entourée de couples.

Ce préjugé contre la solitude est profondément ancré, et nous sommes les premières victimes de notre propre préjugé. Combien de personnes par exemple ne se sentent pas assez à l’aise d’aller voir seul-e un film au cinéma? Les clichés de la monogamie toxique (et soyons clairs: il est possible de vivre sainement la monogamie – c’est lorsque l’on tente d’imposer ses standards à autrui qu’elle devient toxique) sont brillamment illustrés dans le film « Le Homard » (The Lobster en VOA). Ne pas être en couple est vu comme une telle tare que des institutions spécialisées sont créées afin de forcer les gens dans ce moule, quitte à transformer les récalcitrants en animaux et à les chasser tel des bêtes sauvages.

Je me réserve moi-même des plages de solitudes et aménage mon horaire en conséquence. C’est ce que j’appelle avec mes partenaires anglophones mon « me-time ». C’est le temps que j’ai besoin de me consacrer afin d’avoir un équilibre sain et fonctionnel. Je crois sincèrement que tout le monde bénéficierait de se réapproprier cette capacité de vivre et d’agir seul, nonobstant le privilège de couple omniprésent, afin d’être en mesure de faire les activité de leur choix au moment de leur choix.

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Polyamour et santé mentale

Un des préjugés entendus contre le polyamour est que les gens qui le pratiquent doivent avoir une santé mentale déficiente, malsaine, bref, qu’ils sont un peu défectueux. Sinon, bien entendu, pourquoi ne pas simplement se contenter du bon vieux Modèle Standard ™? Selon ces préjugés, il faut qu’une personne soit bien dépendante affectivement pour accepter de vivre dans une telle relation, ou encore manipulatrice et narcissique pour convaincre autrui d’adhérer au modèle. Parfois, le préjugé vient de l’intérieur de la communauté, par l’observation de la prévalence de différents troubles de personnalité. On en vient à penser que, par exemple, il y a plus de gens avec un trouble de personnalité limite qui sont intéressés par le polyamour.

Heureusement, les chercheurs commencent à se pencher sur cette question et leurs découvertes permettent de mettre aux rancart ces préjugés, dépeignant un portrait beaucoup plus nuancé de la psychologie des polyamoureux. Je vais mentionner ici trois études qui pourront aussi servir de point de départ aux gens intéressés par ces questions. Les références bibliographiques sont au bas du billet.

Les faits

Rubel et Bogaert (2015) effectuent une revue de littérature exhaustive qui démontre que les monogames ne diffèrent pas significativement des non-monogames consensuels sur un vaste éventail de traits de personnalité. Certains indicateurs pointent vers un bien-être général ou un niveau de bonheur plus élevé en raison de sentiments d’excitation et d’appartenance à une communauté. D’autres indicateurs en revanche laissent penser qu’un bien-être général plus faible pourrait mener certaines personnes vers les relations non-monogames, sans qu’il soit possible d’établir un consensus clair sur cette question. Aucune différence significative n’a été établie dans la consommation d’alcools ou d’autres drogues. La qualité de la relation et la satisfaction des partenaires face à celle-ci ne diffère pas entre monogames et non-monogames.

King (2015) de son côté, en ancrant son étude dans la théorie de l’attachement, a étudié un échantillon de femmes hétérosexuelles vivant des relations monogames ou polyamoureuses et n’a pas été en mesure de déceler d’écart significatif au niveau de l’anxiété ou de l’évitement.

Mitchell, Bartholomew et Cobb (2014) démontrent que les polyamoureux ne « compensent » pas une relation insatisfaisante en cherchant d’autres partenaires pour combler leurs besoins. Les relations polyamoureuses d’une même personne opèrent de façon indépendante les unes des autres. Chaque relation forme un tout au niveau de la satisfaction des besoin, de la satisfaction dans la relation et de l’implication dans celle-ci.

Origine du préjugé

D’où alors viennent ces préjugés sur la santé mentale? Je n’ai pas fait de sondage scientifique sur la question, mais j’avancerais deux hypothèses qui mériteraient d’être testées en temps et lieu, soit une hypothèse externe à la communauté polyamoureuse, et une hypothèse interne.

L’hypothèse externe est que les accusations relatives à la santé mentale sont en fait une forme de manipulation particulièrement insidieuse nommée « Gaslighting » qui vise à forcer la victime à remettre en question sa propre santé. Ces attaques et préjugés visent donc à faire rentrer les polyamoureux dans le rang des bons petits monogames en essayant de leur faire croire qu’ils sont tout simplement malades.

L’hypothèse interne repose sur l’intuition mathématique (non-confirmée empiriquement) que si une personne mène plus d’une relation simultanément, il est statistiquement plus probable qu’un ou une de ses partenaires souffre d’un problème de santé mentale à n’importe quel moment dans le temps qu’une personne en relation monogame. Les gens polyamoureux seraient donc plus susceptibles d’être exposés à ces enjeux que les monogames, d’où une fausse impression d’incidence plus élevés de troubles mentaux dans la communauté polyamoureuse.

Pourquoi il faut en parler

Ces préjugés sont particulièrement dangereux car non seulement ils visent à mettre à l’écart, à isoler, ou à rabaisser les polyamoureux, mais aussi parce que de par leur nature même ils renforcent davantage les préjugés dont souffrent déjà les personnes aux prises avec des enjeux de santé mentale.

Or, que ces dernières soient polyamoureuses ou monogames ne change au final rien du tout. Il est important, en tant que société, de faire preuve de compassion et d’inclusion envers tous ses membres. Plutôt que de discriminer sur la base de la santé mentale, il faut viser à comprendre ces enjeux, intégrer les personnes qui en souffrent, leur laisser aussi une voix et une place au sein de nos communautés.

Donc, la prochaine fois qu’on vous servira de cette salade, vous pourrez répliquer sur deux fronts: premièrement, que ces préjugés sont erronés, et deuxièmement, que ces préjugés démontrent l’absence d’empathie de celui ou celle qui les profère.

Références:
Attachment security: Polyamory and monogamy a comparison analysis.
King, StephanieDissertation Abstracts International: Section B: The Sciences and Engineering, Vol 75(10-B(E)), 2015.
Mitchell, Melissa E., Kim Bartholomew, and Rebecca J. Cobb. « Need fulfillment in polyamorous relationships. » The Journal of Sex Research 51.3 (2014): 329-339.

Alicia N. Rubel & Anthony F. Bogaert (2015) Consensual Nonmonogamy:
Psychological Well-Being and Relationship Quality Correlates, The Journal of Sex Research,
52:9, 961-982

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