Il y a plusieurs façons de vivres ses relations non-monogames ou polyamoureuses et j’ai déjà exploré différentes configurations dans un billet précédent. J’aimerais aujourd’hui me concentrer sur une de ces configurations, qui s’applique souvent (mais pas tout le temps) à l’anarchisme relationnel, soit ce qu’on appelle communément le « solo-poly » et, de façon générale, aux impacts de la monogamie toxique sur cette configuration.
Les gens qui se déclarent solo-poly rejettent généralement l’idée de vivre avec un partenaire principal, ou un partenaire de vie, occupant le même espace qu’eux au quotidien. Ces personnes ont, pour diverses raisons, envie de se réapproprier cet espace. On observe parfois cette tendance après une rupture ou un bouleversement important, et chez certaines personnes le solo-poly est une façon de faire de soi-même son propre partenaire principal. On se consacre d’abord à soi, à son bien-être, et le foyer sert de cocon pour protéger l’individu. Chez d’autres, le besoin d’un lieu neutre est primordial. Je dis souvent, mi-figue mi-raisin, que mes enfants sont ma relation principale, et conséquemment je ne souhaite pas partager mon habitat et mon quotidien avec mes partenaires.
On réalise par contre rapidement qu’il n’est pas évident de se réapproprier cette solitude aux yeux de la société. Le poids de l’ascenseur relationnel est écrasant et dans le regard des autres, une relation n’est pas « sérieuse » s’il n’y a pas de plan de vie commune qui s’y greffe. Le ou la solo-poly sera parfois vu-e comme un-e éternel-le célibataire alors que cette personne peut très bien avoir une ou plusieurs relations à n’importe quel moment. Ceci peut mener à divers quiproquos sociaux. Dans le pire des cas, on regarde avec méfiance cette personne qui a « peur de s’engager » dans la même voie que les autres.
Au surplus, le besoin de solitude lui-même n’est pas reconnu comme valide. À titre d’exemple, une de mes partenaires m’a raconté l’anecdote suivante: ayant besoin de repos, elle s’est vu offrir un weekend de relaxation dans une auberge-spa. Personne n’a rien eu à redire de voir une personne seule dans le spa, mais en soirée, à l’heure du repas, une serveuse extrêmement gênée de la voir seule, alors que l’ensemble des autres clients de l’auberge soupaient en couple, lui a recomandé d’aller prendre son repas dans sa chambre. Pour elle, il était inconcevable qu’une personne se sente à l’aise de manger seule alors qu’elle était entourée de couples.
Ce préjugé contre la solitude est profondément ancré, et nous sommes les premières victimes de notre propre préjugé. Combien de personnes par exemple ne se sentent pas assez à l’aise d’aller voir seul-e un film au cinéma? Les clichés de la monogamie toxique (et soyons clairs: il est possible de vivre sainement la monogamie – c’est lorsque l’on tente d’imposer ses standards à autrui qu’elle devient toxique) sont brillamment illustrés dans le film « Le Homard » (The Lobster en VOA). Ne pas être en couple est vu comme une telle tare que des institutions spécialisées sont créées afin de forcer les gens dans ce moule, quitte à transformer les récalcitrants en animaux et à les chasser tel des bêtes sauvages.
Je me réserve moi-même des plages de solitudes et aménage mon horaire en conséquence. C’est ce que j’appelle avec mes partenaires anglophones mon « me-time ». C’est le temps que j’ai besoin de me consacrer afin d’avoir un équilibre sain et fonctionnel. Je crois sincèrement que tout le monde bénéficierait de se réapproprier cette capacité de vivre et d’agir seul, nonobstant le privilège de couple omniprésent, afin d’être en mesure de faire les activité de leur choix au moment de leur choix.