Engagement, ententes et non-monogamie

Par un étrange mécanisme, le concept de monogamie est devenu dans nos sociétés synonyme d’engagement, et le concept d’engagement lui-même est devenu une sous-catégorie de la monogamie. Plusieurs activités, comme faire l’acquisition d’une maison ou encore, fonder une famille, semblent inconcevable en-dehors de l’institution du couple traditionnel. D’autres y sont intimement reliées: partir en vacances, célébrer le temps des fêtes, etc.

Cette situation créé trois types de problèmes, autant chez les personnes monogames que non-monogames. Le premier de ces problèmes (touchant plus les personnes non-monogames) est de définir comment accéder à ces engagements en-dehors de la structure du couple. Le second problème (touchant tout le monde, mais particulièrement les personnes monogames) est de définir comment faire survivre un engagement lorsque la relation de couple ne survit plus. Le troisième problème est que la validité des relations n’est pas reconnue tant qu’elles ne sont pas jointes à une forme d’engagement quelconque.

Reprenons les exemples que j’ai cité au premier paragraphe. L’acquisition d’une maison est souvent une étape majeure dans la vie d’un couple. C’est une façon de se commettre sur le long terme (puisqu’une hypothèque va non seulement vous lier à l’autre conjoint-e mais également à votre prêteur financier pour une durée possible de 25 ans). Ce geste envoie un signal très clair à cet effet. Mais est-ce le cas de tous les achats de maison? Bien sûr que non. Plusieurs personnes achètent dans l’immobilier à des fins d’investissements, afin de « flipper » (rénover puis revendre à profit) ou encore à des fins locatives. Si rien n’empêche d’acheter seul ou en couple, rien n’empêche non plus d’acheter à plusieurs.

Avoir des enfants est, pour des raisons biologiques, également vu comme un engagement de couple. Ce modèle commence à s’effriter de nos jours. D’une part, l’accès aux banques de spermes permet aux femmes de concevoir seules si elles le désirent. L’adoption s’ouvre également aux parents célibataires et aux parents de même sexe, tout comme le recours aux mères porteuses (activité qui n’est pas toujours bien encadrée ni réglementée selon les pays où vous vous situez). Des modèles familiaux différents ont toujours existé: implication de la famille étendue dans l’éducation des enfants, ou encore de la communauté en entier – d’où l’expression « Il faut tout un village pour élever un enfant »). Rien n’empêche de collaborer à plusieurs pour fonder une famille. Les institutions légales en place, malheureusement, ne permettent pas la reconnaissance de plus de deux parents, ce qui est au détriment à la fois des enfants et des gens qui s’occupent d’eux.

Pour les autres enjeux, les vacances, les fêtes traditionnelles, il s’agit souvent de « marqueurs » d’engagement plutôt que de véritables obligations. Après tout, vous pouvez bien partir en vacances avec vos amis, votre famille, vos camarades de classe. Une fois en couple, cependant, il est pris pour acquis que vous consacrerez une partie de ce temps avec votre conjoint-e. On peut dire grosso modo la même chose des fêtes familiales.

Comme on le voit donc, aucun de ces engagements n’est propre au couple en tant que tel. Par tradition, et souvent parce que c’est plus pratique ainsi, ces activités ont été regroupées dans les obligations et privilèges du couple, mais rien n’empêche personne d’autre d’y accéder. En fait, il est sans doute plus facile de le faire de façon raisonnée dans ce temps puisque l’engagement fait alors appel à une autre de nos institutions légales omniprésente: le contrat.

Le contrat (préférablement écrit) est le moyen que nous utilisons pour lier ensemble deux ou plusieurs parties ayant la capacité de consentir et qui souhaitent conclure un engagement circonscrit, précis, balisé et déterminé. Il s’utilise pour créer des relations de tout genre, notamment commerciales, et est très utile à cette fin justement pour permettre de négocier les conditions de sorties ou de survie de l’engagement à la relation. Il est toujours préférable de négocier ces clauses au début de la relation, quand tout est au beau fixe, qu’après la fin de cette dernière, particulièrement si cette fin est acrimonieuse.

Afin de gérer les relations non-monogames, ou certains types de relations non-romantiques (par exemple, les relations BDSM), plusieurs personnes ont recours à une forme d’entente, parfois informelle, parfois très formelle (voire même protocolaire dans le cadre de certaines relations BDSM).

Rien n’empêche de gérer ses engagements de la même façon, encore plus si les parties prenantes à ces engagements changent d’une fois à l’autre. Vous voudrez sans doute une entente écrite, formelle et une certaine couverture juridique si vous faites l’acquisition de propriété ou songez à fonder une famille.  En notant par écrit chacun de ces engagements, vous aurez une trace neutre pour gérer ces derniers dans le temps. Il permet également de protéger toutes les parties, surtout lorsque les institutions en place (droit de la famille et autre) ne sont pas faites pour accommoder celles-ci. Une entente au niveau de vos attentes quant aux vacances avec vous partenaires peut être de l’ordre de la discussion informelle. La communication, comme toujours, est la pièce maîtresse de la non-monogamie éthique. Le tout semble sans doute peu romantique, j’en conviens. Cependant un peu de pragmatisme au départ d’un engagement risque d’éviter bien des écueils en chemin.

Au final, ces éléments permettent de répondre aux deux premiers enjeux soulevés lors de l’introduction, mais il est aussi important de garder en tête que, dans une perspective anarchiste, la validité d’une relation ne dépend pas de ces engagements, ni d’aucun critère de validation externe, mais uniquement de ce que les personnes impliquées dans la relation décident ensemble. Si vous sentez une forme de pression ou de coercion à l’engagement, il est sans doute temps de discuter en profondeur de vos attentes avec votre ou vos partenaire-s.

 

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La honte, la culpabilité, et comment s’en débarrasser

C’est un titre ambitieux et, histoire de gérer les attentes de mon lectorat, je ne promets pas ici une recette à toute épreuve contre ces deux émotions négatives. J’espère par contre sincèrement pouvoir proposer des pistes d’exploration et de solution qui aideront à surmonter ces sentiments.

Plusieurs personnes ont été élevées et socialisées de façon plus ou moins marquée par la honte et la culpabilité. C’est une façon facile pour les adultes de prévenir des comportements « indésirables » chez les enfants. Pour clarifier, la honte réfère au sentiment négatif face à la perception de soi (« tu es dégoûtant de faire ça! ») alors que la culpabilité fait appel aux remords suite aux effets d’une action sur quelqu’un d’autre (« Ça me cause du chagrin quand tu agis ainsi »).  La distinction est importante car ces deux émotions ne seront pas surmontées de la même façon par la suite.

Le comportement sexuel des femmes notamment est visé très tôt par le slut-shaming, qui fait appel autant à la honte qu’à la culpabilité. Les codes vestimentaires, qui visent de façon plus disproportionnée les élèves s’identifiant comme femmes, emmènent à la fois la honte (« cache ton corps et surtout, camoufle tout élément sensuel ou intime ») et la culpabilité (« ton corps nuit à la performance des élèves de sexe masculin »). Avant, on recommendait aux jeunes femmes de « se réserver pour le mariage », maintenant, on dit plutôt « d’attendre le bon », mais dans les deux cas, on vise à culpabiliser le fait de donner « gratuitement » quelque chose qui devrait être réservé à une personne spéciale.

Ceci dit, la honte et la culpabilité sont également des outils d’oppression contre tout ce qui sort du cadre cis-mono-hétéronormatif standard. Un jeune gai reste dans le placard pour ne pas faire rire de soi, ou parfois pour ne pas attirer l’opprobe sur sa famille. Une personne bisexuelle se fait dire qu’elle doit se brancher, que ce n’est pas normal de n’avoir qu’une orientation. Un enfant manifeste des comportements qui ne sont pas adaptés au genre assigné à la naissance? C’est « juste une phase » – on ne mentionne surtout pas la possibilité de trans-identité. Vous êtes en couple et polyamoureux? Ne le dites pas – « pensez aux enfants! ».

Si vous lisez ceci, il y a de bonnes chances que vous ayez déjà vécu une de ces formes d’oppression, ou que vous en ayez été témoin. La question est: comment surmonte-t-on le sentiment de honte ou de culpabilité qui a été internalisé par une répétition soutenue sur plusieurs années de cette oppression? La bonne nouvelle est que ça se peut. La mauvaise, que sa prend du temps.

La première chose à faire est d’identifier la réaction et ses déclencheurs. Dans le cas de la honte, ceci implique de questionner la vision que l’on a de soi-même. Souvent, nos attentes et nos comportements sont reproduits de ce qui a été vu dans l’entourage. Ils ne proviennent pas nécessairement de nous. L’idée d’être étranglé durant une relation sexuelle vous excite, mais vous n’osez pas la mettre en oeuvre car vous vous sentez coupable? Il faut identifier le conditionnement qui a installé cette culpabilité, nommer et reconnaître le désir (j’aime ça, j’ai envie de ça, et ça provient de moi, ça ne m’est pas imposé).

Dans le cas de la culpabilité, il faut plutôt remettre en question l’impact sur autrui. Ce qui est ontologique (propre à l’être, à votre être dans ce cas) ne concerne pas les autres. Votre orientation sexuelle ou vos préférences relationelles (du moment qu’elles impliquent des adultes consentant) n’ont pas à être questionnées par qui que ce soit et personne n’a à y consentir à moins d’être impliqué dans cette relation précise avec vous (par exemple, la relation exclusive que vous avez avec un conjoint ne concerne que vous et ce conjoint). Les modèles sociaux (surtout en ce qui concerne les relations amoureuses) sont des constructions et non pas des universels, chaque culture pouvant avoir des modèles uniques et tout aussi valide. Si on vous culpabilise, il faut souligner l’absurdité de la chose.

Ce sont deux approches purement cognitives qui forment une première étape dans l’affranchissement.

Ça ne sera pas suffisant, ceci dit. L’émotion que vous combattez est enfouie profondément, au-delà de la raison. Le temps et l’énergie que l’on met à les combattre rationnellement a paradoxalement un effet pervers, soit d’augmenter l’attention que vous apportez à cette émotion négative, de la nourrir en quelque sorte. De surcroît, vous risquer de vous culpabiliser de ne pas réussir à vous extraire de cette émotion.

À cette étape, au lieu de tenter d’éradiquer les émotions négatives, il faut plutôt leur substituer des modèles positifs. J’utiliserai le même schéma dans les exemples ci-dessous. On identifie un comportement et la source de la honte ou de la culpabilité (tout en apportant une objection rationelle) puis on contrecarre avec un appel à la réalisation, à l’accomplissement de soi.

  • Vous n’agissez pas en salope (un terme inventé pour contrôler l’appareil reproducteur féminin, et au demeurant ça ne concerne que vous), vous réclamez et affirmez plutôt votre autonomie.
  • Vous ne briserez pas le nid familial de vos enfants (de multiples modèles familiaux ont fait leur preuve et le couple monogame n’est qu’un parmi tant d’autres), vous leur permettrez plutôt de grandir dans un milieu  exempt de honte et entouré de l’amour de vos partenaires.
  • Vos fétiches BDSM ne sont pas dénigrant (la société n’a pas son mot à dire sur ce qui se passe dans votre chambre à coucher), ils vous permettent d’explorer en toute sécurité des sensations inédites.
  • Une aventure d’un soir n’est pas un gaspillage d’énergie (cette énergie aurait tout aussi bien été gaspillée à ne rien faire et vous seul-e pouvez en juger), mais une opportunité unique de découvrir une nouvelle personne par la sensualité et d’ajouter ce souvenir aux moments que vous chérirez.

Je suis passé à travers cet exact cheminement lorsque j’ai délaissé l’exclusivité en faveur de la non-monogamie éthique. « Ce n’est seulement qu’une phase le temps de comprendre ce qui ne marche pas avec moi » (je suis transparent et sincère avec toutes mes partenaires et nos sentiments sont réels) a été remplacé par « j’atteins l’équilibre entre mes différents besoins et désirs dans le respect de toutes ». La notion d’équilibre individuel est le modèle positif qui a supplanté la norme sociale, imposée de l’extérieur, de la monogamie.

Le sentiment de faire quelque chose de bien, de vertueux, en accord avec nos valeurs, est ce qui vient lentement contrecarrer la honte. Le tout prend un certain temps, mais permet ultimement à vos désirs et votre conscience de s’arrimer.

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Micro-tromperie, ou le délire monogame

On fait grand cas dernièrement de la « micro-tromperie » (micro-cheating dans l’expression originale anglophone). Il s’agit apparemment d’une série de petites actions qui indiquent qu’un des partenaires dans une relation monogame focalise une partie de son attention sur quelqu’un d’autre que son partenaire exclusif. Depuis que l’expression a été lancée par la psychologue australienne Melanie Schilling, elle a été reprise à toute les sauces par différents média.

Le simple fait que l’on puisse débattre de ce qui constitue une « micro-tromperie » ou pas relève en soi d’une culture de monogamie toxique. C’est un des paradoxe de l’exclusivité: on réclame l’attention entière de son partenaire, mais dans les faits, c’est pratiquement impossible. À moins de vivre en parfaite autarcie, en retrait de la civilisation avec votre partenaire, vous aurez nécessairement besoin de diviser votre attention, ne serait-ce que pour gagner votre vie, aller à l’école, à l’hôpital parfois, faire les courses, ainsi de suite. Exclusivité ou pas, notre attention n’est jamais tournée à 100% vers quelqu’un d’autre, et avoir une telle exigence relève du délire narcissique pur et simple. C’est cette valorisation du contrôle des pensées et geste d’autrui qui rend une relation (monogame ou pas) toxique.

À partir de ce point, le mandat de l’exclusivité revient à trouver la ligne entre les comportements qui doivent être exclusifs au couple, et ceux qui relève de l’autonomie individuelle de chaque partenaire. Un des enjeux est que la société promeut une vision idéalisée de l’amour romantique qui empêche cette autonomie. On ne permet aucune brèche, pourtant qu’un partenaire entretienne une relation de flirt virtuel avec une tierce partie dans ses temps libres n’enlève rien nécessairement à l’autre partenaire. On dira que maintenir cette activité secrète n’est pas éthique, mais le secret est une des composantes essentielles du modèle monogame standard, tel que discuté dans cet ancien billet. J’affirmais dans ce même billet que l’imposition du standard d’exclusivité menait à éradiquer la communication et la transparence, et ce sont justement ces deux éléments qui sont nécessaire au maintien d’une relation éthique, qu’elle soit monogame ou pas.

Dans n’importe quelle relation, il est important de définir les attentes comportementales envers les personnes impliquées (peu importe leur nombre). Que ce soit le temps passé ensemble, les activités réservées à la relation, celles permises au-delà de celle-ci, celles exclues de la relation, ces éléments doivent faire l’objet de discussions explicites et être revisités périodiquement. Tout comme on fait des rénovations de façon préventive dans la maison et que l’on emmène la voiture chez le concessionnaire pour un entretien de façon régulière, il faut prendre soin de ses relations couramment. Le problème de la micro-tromperie n’est pas qu’un partenaire fasse des actions en secret, mais bien que la relation n’ait pas un cadre de communication assez souple et transparent pour laisser un peu d’autonomie aux individus. Autrement dit, la micro-tromperie n’est pas le mal, ni un remède, mais un symptôme d’une carence dans la relation.

Passer d’une mentalité de contrôle (je veux que tu me consacres toute ton attention et ton temps) à une mentalité de partage (j’aime le temps que nous consacrons à prendre soin de nous) redonne à chacun son autonomie et permet à la relation de s’ouvrir sur le monde (qu’elle soit ou non exclusive). Elle permet aussi à chaque partenaire d’enrichir sa vie à l’extérieur de la relation sans compromettre celle-ci.

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Privilège de couple et Impossibilité de la solitude

Il y a plusieurs façons de vivres ses relations non-monogames ou polyamoureuses et j’ai déjà exploré différentes configurations dans un billet précédent. J’aimerais aujourd’hui me concentrer sur une de ces configurations, qui s’applique souvent (mais pas tout le temps) à l’anarchisme relationnel, soit ce qu’on appelle communément le « solo-poly » et, de façon générale, aux impacts de la monogamie toxique sur cette configuration.

Les gens qui se déclarent solo-poly rejettent généralement l’idée de vivre avec un partenaire principal, ou un partenaire de vie, occupant le même espace qu’eux au quotidien. Ces personnes ont, pour diverses raisons, envie de se réapproprier cet espace. On observe parfois cette tendance après une rupture ou un bouleversement important, et chez certaines personnes le solo-poly est une façon de faire de soi-même son propre partenaire principal. On se consacre d’abord à soi, à son bien-être, et le foyer sert de cocon pour protéger l’individu. Chez d’autres, le besoin d’un lieu neutre est primordial. Je dis souvent, mi-figue mi-raisin, que mes enfants sont ma relation principale, et conséquemment je ne souhaite pas partager mon habitat et mon quotidien avec mes partenaires.

On réalise par contre rapidement qu’il n’est pas évident de se réapproprier cette solitude aux yeux de la société. Le poids de l’ascenseur relationnel est écrasant et dans le regard des autres, une relation n’est pas « sérieuse » s’il n’y a pas de plan de vie commune qui s’y greffe. Le ou la solo-poly sera parfois vu-e comme un-e éternel-le célibataire alors que cette personne peut très bien avoir une ou plusieurs relations à n’importe quel moment. Ceci peut mener à divers quiproquos sociaux. Dans le pire des cas, on regarde avec méfiance cette personne qui a « peur de s’engager » dans la même voie que les autres.

Au surplus, le besoin de solitude lui-même n’est pas reconnu comme valide. À titre d’exemple, une de mes partenaires m’a raconté l’anecdote suivante: ayant besoin de repos, elle s’est vu offrir un weekend de relaxation dans une auberge-spa. Personne n’a rien eu à redire de voir une personne seule dans le spa, mais en soirée, à l’heure du repas, une serveuse extrêmement gênée de la voir seule, alors que l’ensemble des autres clients de l’auberge soupaient en couple, lui a recomandé d’aller prendre son repas dans sa chambre. Pour elle, il était inconcevable qu’une personne se sente à l’aise de manger seule alors qu’elle était entourée de couples.

Ce préjugé contre la solitude est profondément ancré, et nous sommes les premières victimes de notre propre préjugé. Combien de personnes par exemple ne se sentent pas assez à l’aise d’aller voir seul-e un film au cinéma? Les clichés de la monogamie toxique (et soyons clairs: il est possible de vivre sainement la monogamie – c’est lorsque l’on tente d’imposer ses standards à autrui qu’elle devient toxique) sont brillamment illustrés dans le film « Le Homard » (The Lobster en VOA). Ne pas être en couple est vu comme une telle tare que des institutions spécialisées sont créées afin de forcer les gens dans ce moule, quitte à transformer les récalcitrants en animaux et à les chasser tel des bêtes sauvages.

Je me réserve moi-même des plages de solitudes et aménage mon horaire en conséquence. C’est ce que j’appelle avec mes partenaires anglophones mon « me-time ». C’est le temps que j’ai besoin de me consacrer afin d’avoir un équilibre sain et fonctionnel. Je crois sincèrement que tout le monde bénéficierait de se réapproprier cette capacité de vivre et d’agir seul, nonobstant le privilège de couple omniprésent, afin d’être en mesure de faire les activité de leur choix au moment de leur choix.

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Exclusivité vs Transparence

Pour les gens qui effectuent le passage d’un mode de vie monogame à la non-monogamie éthique, certains comportements, émotions et habitudes sont difficiles à surmonter. On mentionne fréquemment dans les difficultés vécues la présence de jalousie et l’insécurité, et différents remèdes sont proposés pour y remédier. Je crois qu’il est utile par contre de réfléchir aux raisons pour lesquelles cette transition est si pénible parfois. J’avancerais qu’un univers où la monogamie est la norme a comme valeur centrale l’exclusivité (et ce, pas seulement dans les relations amoureuses) tandis que la non-monogamie a comme valeur centrale la transparence ou l’honnêteté radicale. Ces deux concepts peuvent parfois entrer en confrontation.

(AJOUT: lors de l’écriture du billet j’ignorais tout du mouvement Américain autour du « Radical Honesty » et je ne peux pas prétendre ici que j’adhère à ce mouvement ni à ses principes.  Fiez-vous plutôt à mes descriptions ci-bas pour comprendre ce que j’entends par honneteté radicale.)

L’exclusivité soutient l’univers monogame si intensément qu’elle en élimine à l’occasion la nécessité de communiquer. L’exclusivité devient ainsi réclusion, voir exclusion. Ce qui se passe entre deux personnes, de cette façon, ne peut appartenir qu’à ces deux personnes. Le couple s’appartient, autant émotionnellement que physiquement que financièrement (voire légalement). Chaque groupe, même les groupes non-amoureux, deviennent ainsi exclusifs. Ce qui se passe entre amis reste entre amis. On s’attend au secret et à la discrétion partout: c’est la caractéristique centrale des sociétés qui adoptent la monogamie. Cette discrétion est en soit rassurante: le silence vient confirmer qu’il ne se passe rien d’autre à l’extérieur du couple. Parler d’envies, d’attirances, de désirs qui minent l’exclusivité devient conséquemment dangereux, car la moindre brèche peut faire effondrer le mur isolant le couple des périls extérieurs. La communication devient secondaire, subordonnée à la protection du couple. Certains désirs et besoins ne peuvent être explorés, les partenaires peuvent être pris pour acquis, mais comme l’union va au-delà de l’amour et des besoins affectifs (le couple monogame étant une construction d’abord et avant tout économique) ces difficultés demeurent.

En contrepartie, la non-monogamie repose pour réussir sur la transparence. L’honnêteté radicale est nécessaire avec chaque partenaire pour bien présenter les attentes, les possibilités, et bien représenter les besoins et les désirs des personnes impliquées. Les contraintes, l’évolution des besoins, des désirs, et les transformations de chaque individu augmentent considérablement lorsque augmente aussi le nombre de partenaires. Impossible alors de s’en remettre aux sous-entendus, à l’opacité volontaire des propos et aux cachotteries puisque les autres réalisent rapidement l’incohérence entre ce qui est dit et ce qui est ressenti en ces circonstances. La transparence a l’avantage de s’étendre à l’ensemble de vos relations, peu importe la nature de celles-ci, et vous rend la vie beaucoup plus facile puisqu’il est inutile de se rappeler ce que vous avez dit et à qui.

Les difficultés des relations non-monogames débutent souvent lorsqu’un élément essentiel n’a pas été communiqué. Par exemple, si vous débutez une relation et que vous n’exposez pas clairement à votre nouvelle flamme le nombre de partenaires dans votre vie actuellement et l’intensité de la relation que vous partagez, cette nouvelle personne ne pourra pas comprendre la place que vous êtes prêt à lui faire, l’énergie et le temps que vous pouvez lui consacrer, etc. De même, si vous n’avisez pas vos partenaires lorsque vous vivez un épisode de NRE (new relationship energy, soit la passion des relations qui naissent) votre polycule aura de la misère à suivre et comprendre votre état émotionnel, ce qui peut générer du ressentiment, l’impression que les besoins d’autrui sont négligés, etc. Si vous vivez un moment difficile et que vous avez besoin de soutien supplémentaire, il faut aussi prendre l’habitude de le dire et de préciser quel est ce besoin. Tous ces éléments exigent évidemment un certain travail afin de parfaire sa connaissance de soi, mais ce travail vous aide à ajuster vos relations afin de répondre pleinement aux besoins et aux désirs de chacun des partenaires impliqués.

Tenter de passer d’une culture exclusive à une culture ouverte sans adopter cette transparence risque de créer des difficultés. C’est sans doute l’origine de la méfiance des gens qui pratiquent la non-monogamie envers les arrangements de type « don’t ask, don’t tell ». Le secret et la discrétion sont des caractéristiques des relations exclusives et ce genre d’arrangement cache souvent des infidélités ou des accords qui ne sont pas pleinement consentis ou compris. Même lorsqu’elle est consentie par les partenaires, cette ouverture secrète risque de créer des difficultés – comment planifier son horaire et ses sorties sans partager un minimum d’information sur ses autres engagements?

Élevés dans une culture du secret, l’honnêteté radicale peut sembler menaçante a priori, déstabilisante. Soyez certains cependant que la transparence paie et contribuera à fortifier l’ensemble de vos relations.

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Des relations entre personnes exclusives et non-exclusives

Ce billet traitera des relations entre les personnes non-exclusives (polyamoureuses ou anarchistes relationnelles) et celles plus traditionnellement monogames. Je n’ai pas la prétention d’avoir l’autorité finale en la matière, alors je vous invite à voir ce billet comme une réflexion et surtout, une invitation à ajouter vos commentaires ci-bas afin d’amorcer une discussion plus soutenue.

(Précision: par « exclusivité » j’entends dans ce billet exclusivité romantique et/ou sexuelle. L’exclusivité amicale ou relationnelle ne fais je crois aucun sens pour la grande majorité de la population.)

On pourrait à prime abord se demander pourquoi deux personnes n’ayant pas la même vision de l’exclusivité voudraient être en relation. Mais il y a tout un éventail de réponses qui explique cet état de fait. Par exemple, dans une relation existante, un partenaire dans un couple plus « traditionnel » découvre qu’il n’est plus confortable avec l’exclusivité. Mais plus fréquemment, le bassin de personnes exclusives est tellement plus vaste qu’il est presque inévitable pour une personne non-exclusive de développer un lien d’attachement avec l’une d’entre elles un jour.

On pourrait aussi se demander pourquoi une personne exclusive voudrait être en relation avec quelqu’un qui ne le sera pas. Encore une fois, les réponses et les cas de figure sont très variées. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que le succès de ces relations vont souvent dépendre de ce que les partenaires impliqués fassent la distinction entre deux éléments:

  1. Le désir d’une personne d’être exclusive
  2. Le désir d’une personne que son/sa partenaire soit exclusif(ve) également.

L’exclusivité romantique et sexuelle est une orientation et un choix tout à fait respectable. En soi, demander à quelqu’un de devenir polyamoureux ne fait pas vraiment de sens, surtout si la personne sent qu’elle n’a ni le désir, ni les capacités de s’investir émotionnellement dans plus qu’une relation.

Mais ceci dit, rien n’empêche une personne exclusive d’accepter et de comprendre que ses partenaires ne le soient pas. (On peut aussi imaginer le scénario contraire, soit une personne non-exclusive qui veut que ses partenaires lui soient tous et toutes exclusifs et exclusives, mais ceci soulève des préoccupations éthiques évidentes). Les circonstances de vie de cette personne feront qu’elle voudra être un partenaire privilégié ou pas, c’est selon.

Le premier exemple qui vient en tête est celle de la relation « primaire » ou « principale » (les termes ne font pas l’unanimité) où un des deux partenaires accepte que l’autre aille chercher ailleurs à combler certains besoins affectifs ou sexuels, avec la confiance qu’il restera le partenaire principal et que les deux continuent à s’investir ensemble dans leur principaux projets de vie. Ce type de relation peut être explicite dès le départ, ou peut être le résultat de l’évolution personnelle d’un des deux partenaires, ce qui nécessite évidemment une réévaluation de la relation en cours de route.  Voici deux exemples (qui sont loin de former une liste exhaustive on s’entend):

  • une personne qui désire explorer une sexualité ou des activités plus alternatives (kink ou BDSM) qui n’attirent pas son partenaire, ou encore vivre pleinement son orientation sexuelle/romantique (par exemple pour une personne bisexuelle et/ou biromantique) et qui le fait, de façon transparente, hors du couple.
  • Une personne asexuelle qui comprend le besoin de son ou sa partenaire et accepte qu’il ou elle puisse explorer ces derniers hors de leur relation.

On peut tout aussi bien imaginer une personne exclusive en tant que partenaire « secondaire » – ou faire partie d’une relation sans aucune distinction hiérarchique entre les partenaires, avec une personne solo-polyamoureuse, ou anarchiste relationnelle par exemple.

Deux cas de figure reviennent ainsi régulièrement :

  • Le « En attendant… » La personne exclusive souhaite éventuellement former un couple monogame, mais fréquente un partenaire poyamoureux ou anarchiste relationnel avec qui elle peut explorer et combler des besoins affectifs ou sexuels, en général avec la compréhension que cette relation évoluera vers un mode plus platonique si la première personne en vient à former un couple exclusif avec un autre partenaire dans le futur.
  • Le « Trop occupé… » La personne exclusive préfère investir une majorité de son temps et de son énergie dans d’autres projets professionnels ou personnels (carrière, famille, études, etc.) et n’a donc qu’une disponibilité limité pour un engagement de type romantique ou sexuel.

Il faut noter que ces éléments peuvent être fluides, chez chaque personne. C’est explicite dans le premier cas de figure, mais aussi très probable dans le second cas. Il est de la responsabilité des deux partenaires impliqués de communiquer leurs attentes face à la relation, leurs limites et leurs désirs, et de s’engager en acceptant et reconnaissant que ces situation puissent changer avec le temps. Les liens émotionnels seront bien réels de part et d’autres et les deux partenaires doivent faire preuve de compassion pour l’autre lorsque la relation se transforme. Ainsi un partenaire « en attendant » peut renoncer à l’exclusivité et désirer des liens romantiques forts avec plusieurs personnes – bien que plus probablement il ou elle trouvera plutôt un partenaire exclusif, tel qu’entendu dès le départ. La personne « trop occupée » pourrait éventuellement dégager plus de temps dans son horaire, mais ce temps ne sera pas nécessairement consacré à son partenaire actuel. Elle pourrait tout autant chercher un partenaire exclusif que chercher d’autres partenaires non-exclusifs.

Les attitudes et comportements qui facilitent ses relations pour tous les partenaires impliqués pourront faire l’objet d’un billet futur – je sollicite particulièrement votre feedback à cet effet, surtout pour les gens qui ont des relations de type hiérarchique. La confiance, le respect de soi et d’autrui, la compassion et la communication sont, comme pour toute relation, les piliers qui soutiendront les partenaires.

Il faut retenir que tous les choix de mode relationnels présentés ci-haut sont des choix valides et sains s’ils sont vécus de façon transparente entre les partenaires, avec leur consentement et avec la plus grande considération pour les besoins et l’intégrité de ces derniers. Une relation abusive, teintée de mépris, ou encore une relation où un(e) des partenaires est un peu contraint(e) d’adhérer à des comportements ou d’accepter ceux de l’autre, est malsaine qu’elle soit exclusive ou non.

 

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