Engagement, ententes et non-monogamie

Par un étrange mécanisme, le concept de monogamie est devenu dans nos sociétés synonyme d’engagement, et le concept d’engagement lui-même est devenu une sous-catégorie de la monogamie. Plusieurs activités, comme faire l’acquisition d’une maison ou encore, fonder une famille, semblent inconcevable en-dehors de l’institution du couple traditionnel. D’autres y sont intimement reliées: partir en vacances, célébrer le temps des fêtes, etc.

Cette situation créé trois types de problèmes, autant chez les personnes monogames que non-monogames. Le premier de ces problèmes (touchant plus les personnes non-monogames) est de définir comment accéder à ces engagements en-dehors de la structure du couple. Le second problème (touchant tout le monde, mais particulièrement les personnes monogames) est de définir comment faire survivre un engagement lorsque la relation de couple ne survit plus. Le troisième problème est que la validité des relations n’est pas reconnue tant qu’elles ne sont pas jointes à une forme d’engagement quelconque.

Reprenons les exemples que j’ai cité au premier paragraphe. L’acquisition d’une maison est souvent une étape majeure dans la vie d’un couple. C’est une façon de se commettre sur le long terme (puisqu’une hypothèque va non seulement vous lier à l’autre conjoint-e mais également à votre prêteur financier pour une durée possible de 25 ans). Ce geste envoie un signal très clair à cet effet. Mais est-ce le cas de tous les achats de maison? Bien sûr que non. Plusieurs personnes achètent dans l’immobilier à des fins d’investissements, afin de « flipper » (rénover puis revendre à profit) ou encore à des fins locatives. Si rien n’empêche d’acheter seul ou en couple, rien n’empêche non plus d’acheter à plusieurs.

Avoir des enfants est, pour des raisons biologiques, également vu comme un engagement de couple. Ce modèle commence à s’effriter de nos jours. D’une part, l’accès aux banques de spermes permet aux femmes de concevoir seules si elles le désirent. L’adoption s’ouvre également aux parents célibataires et aux parents de même sexe, tout comme le recours aux mères porteuses (activité qui n’est pas toujours bien encadrée ni réglementée selon les pays où vous vous situez). Des modèles familiaux différents ont toujours existé: implication de la famille étendue dans l’éducation des enfants, ou encore de la communauté en entier – d’où l’expression « Il faut tout un village pour élever un enfant »). Rien n’empêche de collaborer à plusieurs pour fonder une famille. Les institutions légales en place, malheureusement, ne permettent pas la reconnaissance de plus de deux parents, ce qui est au détriment à la fois des enfants et des gens qui s’occupent d’eux.

Pour les autres enjeux, les vacances, les fêtes traditionnelles, il s’agit souvent de « marqueurs » d’engagement plutôt que de véritables obligations. Après tout, vous pouvez bien partir en vacances avec vos amis, votre famille, vos camarades de classe. Une fois en couple, cependant, il est pris pour acquis que vous consacrerez une partie de ce temps avec votre conjoint-e. On peut dire grosso modo la même chose des fêtes familiales.

Comme on le voit donc, aucun de ces engagements n’est propre au couple en tant que tel. Par tradition, et souvent parce que c’est plus pratique ainsi, ces activités ont été regroupées dans les obligations et privilèges du couple, mais rien n’empêche personne d’autre d’y accéder. En fait, il est sans doute plus facile de le faire de façon raisonnée dans ce temps puisque l’engagement fait alors appel à une autre de nos institutions légales omniprésente: le contrat.

Le contrat (préférablement écrit) est le moyen que nous utilisons pour lier ensemble deux ou plusieurs parties ayant la capacité de consentir et qui souhaitent conclure un engagement circonscrit, précis, balisé et déterminé. Il s’utilise pour créer des relations de tout genre, notamment commerciales, et est très utile à cette fin justement pour permettre de négocier les conditions de sorties ou de survie de l’engagement à la relation. Il est toujours préférable de négocier ces clauses au début de la relation, quand tout est au beau fixe, qu’après la fin de cette dernière, particulièrement si cette fin est acrimonieuse.

Afin de gérer les relations non-monogames, ou certains types de relations non-romantiques (par exemple, les relations BDSM), plusieurs personnes ont recours à une forme d’entente, parfois informelle, parfois très formelle (voire même protocolaire dans le cadre de certaines relations BDSM).

Rien n’empêche de gérer ses engagements de la même façon, encore plus si les parties prenantes à ces engagements changent d’une fois à l’autre. Vous voudrez sans doute une entente écrite, formelle et une certaine couverture juridique si vous faites l’acquisition de propriété ou songez à fonder une famille.  En notant par écrit chacun de ces engagements, vous aurez une trace neutre pour gérer ces derniers dans le temps. Il permet également de protéger toutes les parties, surtout lorsque les institutions en place (droit de la famille et autre) ne sont pas faites pour accommoder celles-ci. Une entente au niveau de vos attentes quant aux vacances avec vous partenaires peut être de l’ordre de la discussion informelle. La communication, comme toujours, est la pièce maîtresse de la non-monogamie éthique. Le tout semble sans doute peu romantique, j’en conviens. Cependant un peu de pragmatisme au départ d’un engagement risque d’éviter bien des écueils en chemin.

Au final, ces éléments permettent de répondre aux deux premiers enjeux soulevés lors de l’introduction, mais il est aussi important de garder en tête que, dans une perspective anarchiste, la validité d’une relation ne dépend pas de ces engagements, ni d’aucun critère de validation externe, mais uniquement de ce que les personnes impliquées dans la relation décident ensemble. Si vous sentez une forme de pression ou de coercion à l’engagement, il est sans doute temps de discuter en profondeur de vos attentes avec votre ou vos partenaire-s.

 

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Le pouvoir et la liberté

La question du pouvoir hante nécessairement l’anarchisme, et par extension l’anarchisme relationnel. Machiavel a déjà dit presque tout ce qu’il y a à savoir sur le pouvoir: ceux qui n’en ont pas tente de l’acquérir par tous les moyens possibles, et ceux qui en ont tentent de le conserver, voir de l’accroître. Machiavel rêvait du Prince, du monarque absolu à même de réunifier l’Italie. De l’autre côté du spectre, on retrouve, dans les mots de Normand Baillargeon, « l’ordre moins le pouvoir », l’autogestion anarchiste et libertaire.

La question de la liberté quant à elle rejoint à peu près tout le monde, et à peu près tout le monde a son mot à dire sur le sujet, surtout lorsque la questions des entraves à la liberté est soulevée. Après tout, la liberté est la capacité d’agir, de faire ce que l’on désire. Mais en société, cette liberté est balisée par la liberté que les autres ont de faire ce que bon leur semble également.

Dans une relation, ou un polycule, ou un groupe d’amis, il est relativement facile d’atteindre cet équilibre si on a la capacité d’exprimer nos besoins, nos limites, et l’empathie nécessaire au respect d’autrui. Comme la rétroaction est fréquente et immédiate, le groupe s’ajuste rapidement, la relation se redresse et demeure en équilibre. La situation se corse lorsque toute une population est concernée. Les frontières entre les libertés sont particulièrement subjectives et difficiles à définir, et une bonne partie du rôle des instruments et institutions de pouvoir consiste à appliquer la force et la dissuasion nécessaire au respect de ces balises.

On peut parfaitement questionner la nécessité de certaines de ces balises et surtout, remettre en question la liberté qu’elles sont sensées protégées. Beaucoup des balises encadrant le droit à la propriété privée visent surtout à maintenir, voir propager des inégalités économiques. Idem pour plusieurs institutions sociales, dont l’éducation et le mariage. Pratiquement toutes ces balises visent à nous faire accepter qu’il est acceptable qu’un « contrat social » nous lie arbitrairement dès notre naissance à un lieu géographique et à un ensemble d’obligations propres à ce lieu, et ce, sans que l’on soit même légalement en âge de consentir au contrat en question.

Certaines de ces balises sont bénéfiques. Les normes qui empêchent la discrimination, qui lient l’état, qui font des contraintes à l’usage de la force sont aussi essentielles. Les règles de santé publiques empêchent des groupes d’illuminés de ne pas vacciner leurs enfants et préviennent ainsi la propagation de maladies dangeureuses (on peut facilement imaginer l’hécatombe si ces groupes avaient la capacité de s’autogérer – sinon allez relire quelques romans d’époque). On voit en fait que l’autogestion est également une forme de pouvoir, et ce pouvoir peut avoir une incidence non négligeable sur le bien-être d’autrui à l’extérieur de la collectivité autogérée. Peu importe ce qu’on fait, on n’échappe jamais vraiment à la question du pouvoir.

Réconcilier Machiavel et pensée anarchiste permettrait d’arriver à un équilibre entre les deux. Une bonne façon d’atteindre cet équilibre passe par les nécessaires contre-pouvoirs. En économie, le syndicat est un contre-pouvoir au capital. En démocratie, le législatif, l’exécutif et le judiciaire demeurent séparés pour cette raison. Mais ce n’est pas suffisant, et l’absence de législation sur certains contrepouvoirs (presse, lobby, capital) peut biaiser les règles du jeux. L’absence de représentation de groupes historiquement opprimés les empêche d’atteindre la liberté. De plus, n’importe quel individu ou groupe atteignant un point suffisant de concentration du pouvoir tentera alors d’altérer les institutions existantes à son avantage, ou les supprimera afin d’en créer de nouvelles, plus bénéfiques (pensez à l’assault de Stephen Harper sur les institutions scientifiques par exemple). Il y a donc un risque constant à opérer avec la distribution actuelle des pouvoirs et contrepouvoirs.

La solution passerait par l’augmentation radicale du nombre et de la force des contrepouvoirs et surtout, une intervention publique continue afin de s’assurer du bon fonctionnement de ces derniers. Ceci implique par contre un minimum de centralisation, donc on n’évacue jamais le pouvoir central au profit de l’autogestion. Il faut le garder solidement sous contrôle afin d’éviter de se retrouver dans la même situation que Kropotkine et Lénine, mais il est au final un mal nécessaire.

Mais au final, quel est l’impact de tout cela sur les relations amoureuses? Les relations n’ont pas échappé au contrôle institutionnel des derniers siècles (voire millénaires) et il est encore impossible dans plusieurs régions du monde d’aimer librement, que ce soit en raison de son orientation sexuelle, de son identité sexuelle, ou de ses préférences relationnelles, notamment quant au nombre de partenaires désirés. Or les institutions discriminantes sont intimement reliées avec les autres formes de pouvoir, d’institutions et de contraintes de nos sociétés (le mariage, par exemple, n’est pas qu’un contrat amoureux, c’est un contrat économique et civil). La lutte contre l’une d’entre elle n’a pas le choix de se faire en convergence avec les autres formes de lutte.

L’anarchisme relationnel n’a pas le choix d’être intersectionnel. On ne peut pas être libre d’aimer sans lutter.

 

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Aimer est un geste politique

Hormis une brève période entre la deuxième guerre mondiale et les années 1970, le meilleur indicateur de la richesse future d’une personne est la richesse détenue par ses parents à la naissance. L’essentiel de pouvoir économique occidental est basé sur la transmission du patrimoine aux enfants d’une union reconnue légalement et civilement. Cette tradition a entraîné au fil du temps la codification des relations amoureuses et familiales. Toute une série de constructions sociales pernicieuses en découlent: unions exclusives, contrôle du corps et de la capacité à enfanter des femmes et à cette fin la création du concept de virginité, primogéniture, et toutes leurs dérives légales et religieuses.

Historiquement le développement de la notion de propriété individuelle a mené à la possibilité d’accumuler un patrimoine (pas de propriété = pas de patrimoine) et bientôt, à l’obligation de le faire afin d’assurer des conditions de vie, voire de survie, convenables aux siens. La famille nucléaire, protégée par l’institution du mariage, est devenue une façon pour les mieux nantis de protéger leurs richesses et leurs avoirs et d’en assurer la transmission à l’intérieur d’une classe sociale donnée grâce à la création d’alliance. Pour les moins bien nantis, elle est devenue une obligation, imposée par un cadre social et spirituel qui a eu comme effet pervers d’empêcher toute autre forme d’organisation familiale communautaire permettant aux plus pauvres de s’organiser collectivement contre les riches.

Aujourd’hui les institutions demeurent et leurs effets se font sentir sensiblement de la même façon. La richesse continue de se concentrer entre les mains des rejetons de familles riches, qui s’unissent principalement entre eux. Les mêmes familles unissent les mêmes enfants dans les mêmes quartiers de la métropole, au grand plaisir des médias qui en font de grasses feuilles de chou. Les unions (et avec un certain plaisir pervers, les ruptures) des riches et célèbres fascinent les téléspectateurs. La naissance n’est pas synonyme de compétence, et un hurluberlu à la Donald Trump peut sans difficulté utiliser le levier économique de la richesse paternelle pour tenter de mettre la main sur un pouvoir démesuré. Les moins chanceux forment des unions amoureuses qui sont aussi des unions économiques afin d’améliorer un tant soit peu leurs conditions de vie. Acheter une maison seul aujourd’hui n’est pas envisageable pour une bonne majorité de la population, par exemple.

Le mariage et la famille sont des outils d’oppression.

Se marier est un geste politique. Enfanter est un geste politique. Regardez l’opprobre qui s’abat encore aujourd’hui chez les femmes qui avoue sans vergogne ne pas vouloir d’enfants. On voit dans les yeux d’autrui le rejet de celles qui refusent de se transformer en vulgaires bêtes de reproduction. Aimer est pareillement devenu un geste économique et politique. Une façon de lutter pour faire sa place dans le cadre oligarchique du XXIème siècle.

Aimer différemment est alors un geste politique nécessaire. C’est un geste de refus des impératifs socio-économiques dictés par autrui. L’anarchie relationnelle est un geste de solidarité, de communauté, de lutte et de dénonciation. Une façon de se soustraire aux diktats du capital et un pas vers la mutualisation, qui sait.

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(ma vision limitée) Du privilège

Le privilège, ce sont des médecins-spécialistes qui ont empoché des hausses de 67% en 6 ans et des députés qui s’augmentent leur salaire de 31% tout en offrant 3% sur 5 ans à la fonction publique. Le privilège, c’est que les premiers ne voient pas en quoi ceci est injuste. C’est l’ordre naturel des choses. Le bénéfice de la classe (médicale ou politique) et de la richesse (notre 1%). Penser que ces sommes sont bien méritées. Juste et équitable. Le privilège, c’est refuser de reconnaître les relations de pouvoir implicites dans ces décisions. C’est une institution dominante qui s’affirme au détriment des autres.

Le privilège, c’est de mettre tout en branle pour retrouver un homme, une femme, un enfant blanc disparu, jusqu’à l’alerte Amber qui fait traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Et de ne pas comprendre pourquoi les gens s’énervent avec des centaines de femmes autochtones disparues ou assassinées. Encore pire: de ne pas le savoir. Parce qu’incompréhensible, incompatible avec votre réalité raciale dominante.

Le privilège, c’est de ne pas avoir à se justifier quand un homme et une femme se présentent aux autres. De savoir que le statut de couple sera pris pour acquis, même si vous  n’êtes pas en couple, auquel cas vous devrez vous justifier, alors que des questions gênées seront posées si vous êtes deux personnes de même sexe. Ou ne seront pas posées, les gens ne pensant pas nécessairement à une union romantique à moins que vous ne correspondiez à un stéréotype précis.

Le privilège c’est arriver au pied d’un escalier sans me demander comment faire pour parvenir au sommet.

Le privilège, c’est de ne pas comprendre le malaise que certaines personnes éprouvent face aux toilettes genrées. De ridiculiser ces personnes. De critiquer publiquement, de rabrouer, d’humilier les personnes confrontées à une séparation binaire des genres alors que leur identité leur crie intérieurement qu’elles ne correspondent à ni l’une ni l’autre des options. C’est de ridiculiser les gens qui font des choix qui contreviennent explicitement aux stéréotypes de genre, mais c’est aussi se retrouver mal à l’aise face au choix androgyne, au choix qui rejette les catégorisations et les stéréotypes et vous remet en pleine face l’artificialité des constructions binaires.

Le privilège, c’est de refuser à trois adultes élevant leur famille la pleine reconnaissance sociale, légale et affective à laquelle peuvent aspirer toutes les autres familles. Parce que l’institution dominante, par défaut, c’est la famille biologique. Toutes les autres sont présentées soit comme incomplètes, imparfaites, défaillantes (monoparentalité) ou de maigres substituts (adoption). Et au détriment des droits et des besoins des parents comme des enfants, on protège l’institution dominante avant tout. Parce que c’est ce qu’on connait, c’est le modèle qu’on se donne et il ne faudrait surtout pas se mettre à questionner sa légitimité.

Le pire, c’est qu’en tant qu’homme-cis, blanc, issu d’une famille traditionnelle, scolarisé, je baigne dans le privilège à longueur de journée. Même sensibilisé à la situation je n’en identifie sans doute pas le quart. Et même quand je sors du moule des institutions dominantes, même si je m’affirme dans l’anarchie relationnelle par exemple, je bénéficie encore des privilèges associés aux autres institutions auxquelles j’appartiens.

Ce n’est pas une raison pour ne pas commencer à s’y attaquer.

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