La transparence et la vulnérabilité

Suite au billet de la semaine dernière, plusieurs questions fort légitimes m’ont été posées, notamment quant à la douleur de la séparation, au deuil de la fin d’une relation, à ses conséquences et aux façons de le gérer lorsque l’on est polyamoureuse ou polyamoureux. Et si j’en parlerai plus en détail la semaine prochaine, je réalise en réfléchissant au sujet qu’il me faut d’abord couvrir un point essentiel, soit la présence d’un réseau de soutien prêt à nous aider en cas de besoin.

Mais pour cela, il faut d’abord assumer et revendiquer, sinon ouvertement, du moins en privé avec un nombre de personnes, que notre préférence relationnelle ne correspond pas aux normes établies. Et c’est là que ça devient un peu plus délicat.

Tout d’abord, il faut reconnaître que ce « coming-out » (car s’en est bien un) n’est pas aussi facile pour chaque personne. Le poids des institutions sociales, et des privilèges (liés au couple, au genre, etc.) joue grandement dans la balance, et le jugement suivra. Les mentalités changent lentement, mais le jugement est encore plus sévères pour les femmes que les hommes, par exemple. Par exemple, à titre personnel, il m’arrive rarement d’être jugé pour la façon dont je vis mes relations (et dont je les affiche) mais il m’est arrivé d’entendre parler de mes partenaires en termes très dérogatoires, généralement par des gens qui ne les avaient même pas rencontrées.

Un exemple banal: lors d’une pause au travail, un collègue vous parle de son weekend relaxant en amoureux avec sa copine. Un sujet acceptable, encouragé, même (tant qu’il reste dans les limites de la décence). Si vous parlez de votre weekend avec votre trio, trouple, vos différent(e)s conjoint(e)s  ou partenaires,  même en restant dans les mêmes limites de décence, la réception ne sera pas la même.

Les paroles reçues peuvent être blessantes, et elles le sont généralement plus par ignorance que par méchanceté (c’est le propre du préjugé). Néanmoins, il y a plusieurs raisons d’aller de l’avant avec la transparence. La première en est une qui apparaît à première vue contre-intuitive: ce qu’on cache nous rend vulnérable. Ce qui est affiché nous protège. Comme rien ne reste secret bien longtemps, il est préférable de choisir soi-même quand et comment révéler qui nous sommes, plutôt que d’attendre que les ragots et potins fassent leur oeuvre néfaste. De surcroît, il est plus facile de s’afficher face aux gens en étant conscient de ce qu’ils savent, en se préparant aux soubresauts occasionnels causés par des préjugés surannés, qu’en vivant dans l’incertain, l’inconnu, l’incertitude, le doute, voire la peur que ce qu’on l’on garde caché soit soudainement exposé au grand jour. Enfin, en étant capable de repérer les jugements de valeurs et de privilège, il est facile de confronter les gens en leur rappelant poliment que certains termes sont inacceptables et en leur montrant en quoi ils causent du tort.

Ceci dit, il ne faut pas être si dramatique: les préjugés contre les polyamoureux ne sont pas de la même virulence que ceux qui frappaient la communauté gaie.

Ce mot, d’ailleurs, « communauté » est l’autre grande raison d’aller de l’avant. Il se développe, un peu partout, des communautés de gens pour qui les vieilles normes relationnelles ne font plus de sens. Leurs participants ont tous des histoires à partager, des conseils, des leçons apprises, parfois par expérience, parfois de l’exemple d’autrui. En acceptant de vivre différemment (ou en acceptant l’idée que l’on puisse le faire librement), il devient possible de puiser dans ce bassin d’entraide et de soutien.

S’ouvrir à des gens de confiance dans son entourage ou rejoindre une communauté aux intérêts similaires sont de bons premiers pas. Mais pour effectuer un changement durable de mentalité, l’ouverture à tous est ultimement nécessaire. Le privilège de couple est communiqué inconsciemment partout autour de nous. En le contrant, en démontrant par l’exemple et les paroles comment ce mode de vie n’est pas et ne devrait pas être la seule référence sociale, il se créé petit à petit un espace inclusif pour tous.

Surtout, en en parlant ouvertement, vous risquez de rejoindre des gens qui n’auraient jamais autrement entendu parler d’autres possibilités, d’autres choix. Parfois, ils voudront en apprendre davantage, soit en vous parlant, soit en faisant leurs recherches de leur côté. Mais vous aurez fait à votre façon une différence importante dans leur vie.

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(ma vision limitée) Du privilège

Le privilège, ce sont des médecins-spécialistes qui ont empoché des hausses de 67% en 6 ans et des députés qui s’augmentent leur salaire de 31% tout en offrant 3% sur 5 ans à la fonction publique. Le privilège, c’est que les premiers ne voient pas en quoi ceci est injuste. C’est l’ordre naturel des choses. Le bénéfice de la classe (médicale ou politique) et de la richesse (notre 1%). Penser que ces sommes sont bien méritées. Juste et équitable. Le privilège, c’est refuser de reconnaître les relations de pouvoir implicites dans ces décisions. C’est une institution dominante qui s’affirme au détriment des autres.

Le privilège, c’est de mettre tout en branle pour retrouver un homme, une femme, un enfant blanc disparu, jusqu’à l’alerte Amber qui fait traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Et de ne pas comprendre pourquoi les gens s’énervent avec des centaines de femmes autochtones disparues ou assassinées. Encore pire: de ne pas le savoir. Parce qu’incompréhensible, incompatible avec votre réalité raciale dominante.

Le privilège, c’est de ne pas avoir à se justifier quand un homme et une femme se présentent aux autres. De savoir que le statut de couple sera pris pour acquis, même si vous  n’êtes pas en couple, auquel cas vous devrez vous justifier, alors que des questions gênées seront posées si vous êtes deux personnes de même sexe. Ou ne seront pas posées, les gens ne pensant pas nécessairement à une union romantique à moins que vous ne correspondiez à un stéréotype précis.

Le privilège c’est arriver au pied d’un escalier sans me demander comment faire pour parvenir au sommet.

Le privilège, c’est de ne pas comprendre le malaise que certaines personnes éprouvent face aux toilettes genrées. De ridiculiser ces personnes. De critiquer publiquement, de rabrouer, d’humilier les personnes confrontées à une séparation binaire des genres alors que leur identité leur crie intérieurement qu’elles ne correspondent à ni l’une ni l’autre des options. C’est de ridiculiser les gens qui font des choix qui contreviennent explicitement aux stéréotypes de genre, mais c’est aussi se retrouver mal à l’aise face au choix androgyne, au choix qui rejette les catégorisations et les stéréotypes et vous remet en pleine face l’artificialité des constructions binaires.

Le privilège, c’est de refuser à trois adultes élevant leur famille la pleine reconnaissance sociale, légale et affective à laquelle peuvent aspirer toutes les autres familles. Parce que l’institution dominante, par défaut, c’est la famille biologique. Toutes les autres sont présentées soit comme incomplètes, imparfaites, défaillantes (monoparentalité) ou de maigres substituts (adoption). Et au détriment des droits et des besoins des parents comme des enfants, on protège l’institution dominante avant tout. Parce que c’est ce qu’on connait, c’est le modèle qu’on se donne et il ne faudrait surtout pas se mettre à questionner sa légitimité.

Le pire, c’est qu’en tant qu’homme-cis, blanc, issu d’une famille traditionnelle, scolarisé, je baigne dans le privilège à longueur de journée. Même sensibilisé à la situation je n’en identifie sans doute pas le quart. Et même quand je sors du moule des institutions dominantes, même si je m’affirme dans l’anarchie relationnelle par exemple, je bénéficie encore des privilèges associés aux autres institutions auxquelles j’appartiens.

Ce n’est pas une raison pour ne pas commencer à s’y attaquer.

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