Paradoxes Zen pour les (poly)amoureux (et les autres!)

Il y a un charmant petit vidéo de College Humor qui circulait il y a quelque temps intitulé « Zen Paradoxes for Millenials. » Dans le même esprit, je laisse ici quelques paradoxes qui nous incitent à réfléchir sur nos  conceptions de l’amour, des relations et tout ceci, dans trop de prétention. (Le titre est évidemment un clin d’oeil au vidéo, je n’ai pas maîtrisé le Zen et non plus aucunement envie de tomber dans l’appropriation culturelle.)

Allons-y derechef avec le premier de nos paradoxes:

Si tu veux que ce soit à propos de toi, ce doit être à propos des autres.

Ou dans les mots d’une de mes anciennes gestionnaires: on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Mais bref: vous avez des attentes et des buts face à vos relations. Vous préférez tel ou tel comportement, personnalité, etc. Par contre, ce genre d’attente est à mon expérience presque universel. Si vous négligez de répondre aux attentes d’autrui, on ne répondra pas aux vôtres.  Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire dans les comptes de fées et romans à l’eau de rose, ce n’est pas quelque chose qui se met en place magiquement et sans effort. Il faut un investissement constant de la part des partenaires impliqués afin de comprendre l’autre, de le découvrir à chaque jour (car on change un peu, chaque jour, et on doit suivre cette évolution).

On ne s’attache qu’une fois qu’on a accepté de laisser aller l’autre

La possession est le plus grand danger menaçant l’amour. En traitant nos relations comme des biens qui nous appartiennent, nous commençons à les prendre pour acquis, à négliger leur entretien, à oublier qu’elles peuvent se terminer dans crier gare du jour au lendemain. En réalité  les relations sont fragiles et éphémères et ce sans exception. Nul ne sait quand la faucheuse viendra cueillir l’un des partenaires mais, sans être aussi dramatique, d’autres circonstances peuvent aussi transformer votre relation. En acceptant cela et en laissant l’autre libre de ces choix, chaque moment passé ensemble devient un engagement conscient et la richesse de ces moments augmente en conséquence. Le réel attachement commence alors seulement lorsque nous avons résolu de laisser à l’autre toute sa liberté.

La stabilité requiert l’instabilité

C’est un peu une prolongation du paradoxe précédent. La liberté est très imprévisible. L’incertitude qui lui est associée mine la stabilité souhaitée des relations. Pour se réconcilier avec cette réalité, il faut plonger au coeur de soi-même et découvrir qu’on ne peut travailler que sur la stabilité de nos émotions et de nos réactions. Ce calme intérieur nous permet de nous affranchir de l’égoïsme et de mieux appréhender la réalité perçue par nos partenaires.

Créer des liens entre les autres renforce les liens qui existent avec vous

Dans un contexte où les relations ne sont pas exclusives, qu’elles sont multiples, voire nombreuses, l’aphorisme ci-haut prend tout son sens. Lorsque le lien qui vous unit à l’autre peut être partagé, n’hésitez pas à mettre en contact des gens pouvant avoir plusieurs affinités. Vous contribuez ainsi à approfondir le lien qui vous unit à chacune de ses personnes. C’est un peu un dérivé de la théorie des réseaux sociaux, en mathématique. La position la plus enviable est toujours celle qui est connectée au plus grand nombre de réseau possible.

Je vous souhaite à tous de bons moments de méditation et une vie amoureuse bien remplie!

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Apologie de la sapiosexualité

La sapiosexualité est de plus en plus répandue et revendiquée, alors il est dans la nature des choses qu’elle soit simultanément de plus en plus critiquée. Est-ce qu’on peut avoir une perspective anarchiste ou polyamoureuse sur les relations et se considérer comme sapiosexuel? Est-ce que ça existe même pour vrai? Et si on faisait un petit tour de la question…

Commençons d’abord par revenir sur la définition communément acceptée de la sapiosexualité: l’attirance envers l’intelligence, l’esprit d’une personne plutôt que son apparence physique. A priori ça semble bien beau, tout ça, surtout qu’on nous rabâche depuis le Petit Prince que « l’essentiel est invisible pour les yeux », et ça résonne bien avec les discours de « beauté intérieure », etc, etc. Effectivement, pourquoi ne pourrions-nous pas être attiré et aimer une autre personne en fonction de son esprit avant tout?

Les détracteurs de la sapiosexualité avanceront au contraire que cette dernière sert surtout à reproduire des schémas historiques de discrimination. L’intelligence, disent-ils, est trop souvent confondue avec l’éducation – académique on s’entend – et cette éducation défavorise de façon systémique les personnes racisées, neuroatypiques, les femmes, bref, toutes les personnes qui n’ont pas le privilège d’être un homme blanc. Donc, si vous vous allumez sexuellement avec votre partenaire en citant Foucault et Derrida dans les rayons du supermarché (fait vécu), vous reproduisez inconsciemment des relations de pouvoir qui discriminent contre une large part de la société (ce qui est particulièrement ironique considérant les auteurs cités dans cet exemple).

Une autre ligne d’approche revient à dire que puisque l’intelligence est déjà un grand critère de sélection, il est redondant, voire prétentieux, de s’affubler d’une étiquette supplémentaire, surtout si celle-ci ne révèle pas tant un élément de votre identité qu’une préférence. L’élément identitaire viscéral derrière les termes straight, queer, gai, lesbienne, pansexuel, asexuel – et j’en passe – ne se retrouve pas toujours chez les adeptes de la sapiosexualité. Ça devient plutôt une couche supplémentaire de prétention ou de raffinement (selon votre point de vue) dans la sélection d’un partenaire et découle surtout d’un effet de mode.

Ces deux critiques sont valides. La sapiosexualité cependant, pour les raisons exprimées ci-dessous, peut demeurer une préférence et parfois même une identité tout aussi valide, et il est par conséquent important d’être prudent avec nos critiques, surtout si nous ne connaissons pas tant les personnes à qui elles s’adressent. Alors, dans quels contextes pourrions-nous revendiquer la sapiosexualité? Voici quelques cas de figure. Ce n’est pas une liste exhaustive, bien entendu, et sentez-vous libre d’en ajouter en commentaires.

  1. Il s’agit réellement d’une identité. Il n’est pas vraiment acceptable de dire à une personne bisexuelle qu’il ne s’agit que d’une mode, que d’une phase (beaucoup le font, hélas, et c’est extrêmement blessant pour les personnes qui se le font dire). Par contre, la récupération de la bisexualité féminine à des fins phallocentriques est un phénomène réel qui vient encourager les « bi-négationnistes ». De la même façon, l’attirance vers l’intelligence (et voir la définition élargie plus bas) est également réelle. Dénigrer ceux pour qui il s’agit d’un trait identitaire fort parce que d’autres utilisent l’étiquette seulement pour séduire ou parce que c’est la mode revient à commettre la même erreur.
  2. C’est un fétiche assumé. La récupération de relations de pouvoir en tant que fétiche sexuel est une ancienne tradition. Une brève immersion dans la scène BDSM/kink vous convaincra rapidement. Le pouvoir allume, excite. La nature du pouvoir est variée et change selon les cultures, et fétichiser la connaissance serait possible dans pratiquement toutes les cultures où la transmission du savoir est encadrée, que ce soit par des normes formelles ou tacites.
  3. Ce n’est pas un critère d’exclusion ou de discrimination. C’est un argument central pour les polyamoureux notamment. On peut aimer plusieurs personnes en même temps. Être sapiosexuel ne signifie pas que chacun de vos partenaires devra se pointer avec Averroès, Césaire ou de Beauvoir lors de votre premier rendez-vous. Au contraire, la diversité est au coeur du polyamour et de l’anarchie relationnelle, et vous pouvez être attiré envers quelques partenaires par leur intelligence ou leurs connaissances, envers d’autres pour une variété de critères différents, etc. Si par contre la sapiosexualité est un écran pour cacher le racisme, l’utilisation du terme est inacceptable.
  4. L’académie n’est pas un proxy pour l’intelligence. C’est le point le plus crucial à mettre de l’avant, et ça nous ramène à la racine même du terme « sapiosexuel. » On pense à tort que sapio signifie uniquement intelligence. En réalité, au-delà du latin, la racine indo-européenne « sap » se retrouve dans plusieurs langues et signifie à la base « sentir/goûter. » On doit à cette racine évidemment les mots latin « sapiens » (sage) et grec « sophia » (idem), mais également les mots saveurs, sapidité, sève. Dehors l’académie, donc, l’intelligence est fondamentalement gustative. C’est notre capacité de goûter, de discerner, de sentir et d’apprécier les différences subtiles entre les mets, les odeurs, les idées, les concepts et les gens. Est-il possible de transformer cette capacité en instrument de discrimination pour renforcer les privilèges? Oui, ne le nions pas. Rien ne crie plus au privilège que la capacité (ou simplement le désir) de différencier un Château Latour d’un Château Margaux. Mais encore une fois ne nous limitons pas à cet élément. Revendiquons aussi le droit de goûter et d’apprécier ce qui est partagé en communauté: la caresse du soleil à l’aube, l’odeur d’un champ en été, le grain de la peau de votre partenaire.

Voici en quelques mots pourquoi je revendique le droit à la sapiosexualité: un monde sans sapio, c’est un monde sans saveur.

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