Privilège de couple et Impossibilité de la solitude

Il y a plusieurs façons de vivres ses relations non-monogames ou polyamoureuses et j’ai déjà exploré différentes configurations dans un billet précédent. J’aimerais aujourd’hui me concentrer sur une de ces configurations, qui s’applique souvent (mais pas tout le temps) à l’anarchisme relationnel, soit ce qu’on appelle communément le « solo-poly » et, de façon générale, aux impacts de la monogamie toxique sur cette configuration.

Les gens qui se déclarent solo-poly rejettent généralement l’idée de vivre avec un partenaire principal, ou un partenaire de vie, occupant le même espace qu’eux au quotidien. Ces personnes ont, pour diverses raisons, envie de se réapproprier cet espace. On observe parfois cette tendance après une rupture ou un bouleversement important, et chez certaines personnes le solo-poly est une façon de faire de soi-même son propre partenaire principal. On se consacre d’abord à soi, à son bien-être, et le foyer sert de cocon pour protéger l’individu. Chez d’autres, le besoin d’un lieu neutre est primordial. Je dis souvent, mi-figue mi-raisin, que mes enfants sont ma relation principale, et conséquemment je ne souhaite pas partager mon habitat et mon quotidien avec mes partenaires.

On réalise par contre rapidement qu’il n’est pas évident de se réapproprier cette solitude aux yeux de la société. Le poids de l’ascenseur relationnel est écrasant et dans le regard des autres, une relation n’est pas « sérieuse » s’il n’y a pas de plan de vie commune qui s’y greffe. Le ou la solo-poly sera parfois vu-e comme un-e éternel-le célibataire alors que cette personne peut très bien avoir une ou plusieurs relations à n’importe quel moment. Ceci peut mener à divers quiproquos sociaux. Dans le pire des cas, on regarde avec méfiance cette personne qui a « peur de s’engager » dans la même voie que les autres.

Au surplus, le besoin de solitude lui-même n’est pas reconnu comme valide. À titre d’exemple, une de mes partenaires m’a raconté l’anecdote suivante: ayant besoin de repos, elle s’est vu offrir un weekend de relaxation dans une auberge-spa. Personne n’a rien eu à redire de voir une personne seule dans le spa, mais en soirée, à l’heure du repas, une serveuse extrêmement gênée de la voir seule, alors que l’ensemble des autres clients de l’auberge soupaient en couple, lui a recomandé d’aller prendre son repas dans sa chambre. Pour elle, il était inconcevable qu’une personne se sente à l’aise de manger seule alors qu’elle était entourée de couples.

Ce préjugé contre la solitude est profondément ancré, et nous sommes les premières victimes de notre propre préjugé. Combien de personnes par exemple ne se sentent pas assez à l’aise d’aller voir seul-e un film au cinéma? Les clichés de la monogamie toxique (et soyons clairs: il est possible de vivre sainement la monogamie – c’est lorsque l’on tente d’imposer ses standards à autrui qu’elle devient toxique) sont brillamment illustrés dans le film « Le Homard » (The Lobster en VOA). Ne pas être en couple est vu comme une telle tare que des institutions spécialisées sont créées afin de forcer les gens dans ce moule, quitte à transformer les récalcitrants en animaux et à les chasser tel des bêtes sauvages.

Je me réserve moi-même des plages de solitudes et aménage mon horaire en conséquence. C’est ce que j’appelle avec mes partenaires anglophones mon « me-time ». C’est le temps que j’ai besoin de me consacrer afin d’avoir un équilibre sain et fonctionnel. Je crois sincèrement que tout le monde bénéficierait de se réapproprier cette capacité de vivre et d’agir seul, nonobstant le privilège de couple omniprésent, afin d’être en mesure de faire les activité de leur choix au moment de leur choix.

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De l’inclusivité dans les événements non-monogames éthiques

Alors que les communautés non-monogames (libertines, polyamoureuses, anarchistes relationnelles et autres) se développent et s’affichent de plus en plus, la question de l’inclusion des nouveaux membres devient de plus en plus pressante. Une embûche inévitable est la contradiction entre le besoin pour certains membres polyamoureux de vouloir s’afficher ouvertement, publiquement et sensibiliser les autres à cette réalité, d’une part, mais le besoin pour d’autres d’avoir un milieu sécuritaire et anonyme au sein duquel ils trouvent conseils, soutien et réconfort.

Selon un argumentaire idéaliste, le polyamour devrait être acceptable socialement et légalement, donc on doit se comporter comme s’il l’était déjà. C’est notre droit et faire autrement reviendrait à nous opprimer nous-mêmes. Ce n’est pas faux, dans un monde idéal. .

De façon plus pragmatique, notre société est un enchevêtrement de relations de pouvoir. La base de notre système légal (et certains diraient, moral) repose au Canada, de par la Charte, sur la protection des plus vulnérables afin de protéger leur intégrité, leur bien-être et leurs droits. La société canadienne reconnait explicitement que certaines personnes sont vulnérables et d’autres privilégiées, et permet, voire encourage la discrimination positive afin de corriger l’oppression systémique envers certains groupes.

Au sein de la communauté polyamoureuse, les mêmes types de relations s’observent, et celles-ci sont complexifiées par le fait que les membres de la communauté polyamoureuse intéragissent individuellement avec des membres hors de la société polyamoureuse qui ont des valeurs, des préjugés, et des pouvoirs différents des leurs. Pour certaines personnes, le placard n’est pas un choix, mais une nécessité vitale. Sortir du placard en ce moment pourrait les exposer à la perte d’un soutien social, économique, culturel, émotionnel, etc. qui augmenterait davantage leur vulnérabilité.

En tant que communauté, nous avons la responsabilité de prendre soin des personnes les plus vulnérables parmi nous, y compris celle qui ne peuvent compter sur un réseau de soutien à l’extérieur du groupe sur les questions relationelles et amoureuses. Certains d’entre nous (c’est mon cas) ont le privilège (je mets l’emphase sur ce mot) de pouvoir être out sans répercussions négatives. Certains d’entre nous n’ont pas cette chance.

Certains d’entre nous ont également le privilège du sexe masculin, de ne pas être atteint d’un handicap physique, de ne pas être une personne racisée, d’être neurotypique, etc, etc. et nous reconnaissons que ceux qui n’ont pas ces privilèges peuvent voir leurs difficultés sociales considérablement augmentées (c’est le propre de la pensée intersectionnelle).

C’est un peu le même principe ici. Certaines personnes ne peuvent tout simplement pas risquer d’être « outée » à leurs enfants (ou à qui que ce soit), mais en ont la garde permanente, et on un réel besoin du réseau de soutien que les communautés et les événements procurent. Il peut parfois être nécessaire de garder certains comportements plus discrets lors d’événements. Ces contraintes – bien expliquées et légitimées à l’ensemble des participants –  envoient un signal à ces membres de ces communautés: nous valorisons leur présence, leur rôle, et nous sommes prêts à collectivement faire un effort pour les intégrer parmi nous et leur venir en aide. Rejeter ce type d’événement revient à ostraciser un groupe de personnes déjà vulnérables parmi ces communautés.

Dans tout groupe, le fardeau de l’ajustement doit être sur les personnes les plus privilégiées, de façon à minimiser les obstacles aux plus vulnérables. Dire autrement serait de rester aveugle devant son propre privilège. Un peu comme ceux qui crient « All Lives Matter » ou encore les « Meninist » (pour faire une illustration à l’extrême du concept).

La variété d’événements organisés par les différentes communautés non-monogames permet heureusement à tous les membres de ces communautés de pouvoir participer à quelques événements sans avoir à vivre de contrainte, et à quelques autres en acceptant les contraintes pour le bien des plus vulnérables (ou encore, en choisissant de ne pas y participer, si cette contrainte est trop lourde à supporter pour une personne vraiment idéaliste).

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Apologie de la sapiosexualité

La sapiosexualité est de plus en plus répandue et revendiquée, alors il est dans la nature des choses qu’elle soit simultanément de plus en plus critiquée. Est-ce qu’on peut avoir une perspective anarchiste ou polyamoureuse sur les relations et se considérer comme sapiosexuel? Est-ce que ça existe même pour vrai? Et si on faisait un petit tour de la question…

Commençons d’abord par revenir sur la définition communément acceptée de la sapiosexualité: l’attirance envers l’intelligence, l’esprit d’une personne plutôt que son apparence physique. A priori ça semble bien beau, tout ça, surtout qu’on nous rabâche depuis le Petit Prince que « l’essentiel est invisible pour les yeux », et ça résonne bien avec les discours de « beauté intérieure », etc, etc. Effectivement, pourquoi ne pourrions-nous pas être attiré et aimer une autre personne en fonction de son esprit avant tout?

Les détracteurs de la sapiosexualité avanceront au contraire que cette dernière sert surtout à reproduire des schémas historiques de discrimination. L’intelligence, disent-ils, est trop souvent confondue avec l’éducation – académique on s’entend – et cette éducation défavorise de façon systémique les personnes racisées, neuroatypiques, les femmes, bref, toutes les personnes qui n’ont pas le privilège d’être un homme blanc. Donc, si vous vous allumez sexuellement avec votre partenaire en citant Foucault et Derrida dans les rayons du supermarché (fait vécu), vous reproduisez inconsciemment des relations de pouvoir qui discriminent contre une large part de la société (ce qui est particulièrement ironique considérant les auteurs cités dans cet exemple).

Une autre ligne d’approche revient à dire que puisque l’intelligence est déjà un grand critère de sélection, il est redondant, voire prétentieux, de s’affubler d’une étiquette supplémentaire, surtout si celle-ci ne révèle pas tant un élément de votre identité qu’une préférence. L’élément identitaire viscéral derrière les termes straight, queer, gai, lesbienne, pansexuel, asexuel – et j’en passe – ne se retrouve pas toujours chez les adeptes de la sapiosexualité. Ça devient plutôt une couche supplémentaire de prétention ou de raffinement (selon votre point de vue) dans la sélection d’un partenaire et découle surtout d’un effet de mode.

Ces deux critiques sont valides. La sapiosexualité cependant, pour les raisons exprimées ci-dessous, peut demeurer une préférence et parfois même une identité tout aussi valide, et il est par conséquent important d’être prudent avec nos critiques, surtout si nous ne connaissons pas tant les personnes à qui elles s’adressent. Alors, dans quels contextes pourrions-nous revendiquer la sapiosexualité? Voici quelques cas de figure. Ce n’est pas une liste exhaustive, bien entendu, et sentez-vous libre d’en ajouter en commentaires.

  1. Il s’agit réellement d’une identité. Il n’est pas vraiment acceptable de dire à une personne bisexuelle qu’il ne s’agit que d’une mode, que d’une phase (beaucoup le font, hélas, et c’est extrêmement blessant pour les personnes qui se le font dire). Par contre, la récupération de la bisexualité féminine à des fins phallocentriques est un phénomène réel qui vient encourager les « bi-négationnistes ». De la même façon, l’attirance vers l’intelligence (et voir la définition élargie plus bas) est également réelle. Dénigrer ceux pour qui il s’agit d’un trait identitaire fort parce que d’autres utilisent l’étiquette seulement pour séduire ou parce que c’est la mode revient à commettre la même erreur.
  2. C’est un fétiche assumé. La récupération de relations de pouvoir en tant que fétiche sexuel est une ancienne tradition. Une brève immersion dans la scène BDSM/kink vous convaincra rapidement. Le pouvoir allume, excite. La nature du pouvoir est variée et change selon les cultures, et fétichiser la connaissance serait possible dans pratiquement toutes les cultures où la transmission du savoir est encadrée, que ce soit par des normes formelles ou tacites.
  3. Ce n’est pas un critère d’exclusion ou de discrimination. C’est un argument central pour les polyamoureux notamment. On peut aimer plusieurs personnes en même temps. Être sapiosexuel ne signifie pas que chacun de vos partenaires devra se pointer avec Averroès, Césaire ou de Beauvoir lors de votre premier rendez-vous. Au contraire, la diversité est au coeur du polyamour et de l’anarchie relationnelle, et vous pouvez être attiré envers quelques partenaires par leur intelligence ou leurs connaissances, envers d’autres pour une variété de critères différents, etc. Si par contre la sapiosexualité est un écran pour cacher le racisme, l’utilisation du terme est inacceptable.
  4. L’académie n’est pas un proxy pour l’intelligence. C’est le point le plus crucial à mettre de l’avant, et ça nous ramène à la racine même du terme « sapiosexuel. » On pense à tort que sapio signifie uniquement intelligence. En réalité, au-delà du latin, la racine indo-européenne « sap » se retrouve dans plusieurs langues et signifie à la base « sentir/goûter. » On doit à cette racine évidemment les mots latin « sapiens » (sage) et grec « sophia » (idem), mais également les mots saveurs, sapidité, sève. Dehors l’académie, donc, l’intelligence est fondamentalement gustative. C’est notre capacité de goûter, de discerner, de sentir et d’apprécier les différences subtiles entre les mets, les odeurs, les idées, les concepts et les gens. Est-il possible de transformer cette capacité en instrument de discrimination pour renforcer les privilèges? Oui, ne le nions pas. Rien ne crie plus au privilège que la capacité (ou simplement le désir) de différencier un Château Latour d’un Château Margaux. Mais encore une fois ne nous limitons pas à cet élément. Revendiquons aussi le droit de goûter et d’apprécier ce qui est partagé en communauté: la caresse du soleil à l’aube, l’odeur d’un champ en été, le grain de la peau de votre partenaire.

Voici en quelques mots pourquoi je revendique le droit à la sapiosexualité: un monde sans sapio, c’est un monde sans saveur.

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Éloge de l’écriture militante

Le billet de cette semaine tombera dans la catégorie « billet d’opinion » et même si plusieurs personnes trouveront le propos peu inventif, il n’en demeure pas moins nécessaire par moments de souligner l’évidence à gros traits.

On m’a déjà fait le commentaire que le ton parfois revendicateur de certains billets ne rejoignait pas une portion du lectorat. C’est une critique qui reflète bien la réalité. La plupart de mes billets se veulent analytique, ou encore pratique, mais par moment il m’arrive aussi de verser dans la revendication.

Ce mélange de tonalité dans mes billets n’est pas près de changer, ceci dit.

La situation des communautés non-privilégiées s’améliore bien trop lentement pour que l’on songe à baisser le ton. Rien n’illustre mieux cette situation que l’actuelle course présidentielle américaine. Un homme incarnant à merveille l’ensemble des privilèges les plus décriés (blanc, hétérosexuel, masculin, né de parents riches, en santé physique, etc.) a poursuit son ascension en dénigrant et méprisant un assortiment de groupes non-priviégiés (noirs, latinos, femmes, soldats blessés, etc.).

Heureusement, les luttes contre la discrimination peuvent et devraient, dans la mesure du possible, converger. Tout en reconnaissant que certains enjeux sont parfois urgent et doivent être reconnus spécifiquement et individuellement, d’autres cas nécessitent l’entraide et la solidarité entre tous. Autant que possible, j’essaie que le discours sur ce blogue en soit un d’allié aux diverses causes et victimes de discrimination.

Alors, loin de cesser la revendication, je vais au contraire vous encourager toutes et tous à vous y mettre aussi. L’écriture, ça ne suffit pas, mais c’est déjà un début. Plus les discours et les actions visant à mettre fin à la discrimination se multiplieront, plus nous en bénéficieront!

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Le mythe de la relation parfaite

Admettez-le, on a tous entendu ces petites phrases en tentant de supprimer un haut-le-coeur: « je ne cherche pas la personne parfaite, je cherche la personne parfaite pour moi », « je suis parfaitement imparfaite », et autres variations sur le même thème. Au son de ces clichés éculés, nous devrions nous pâmer d’émotion devant tant de romantisme. En réalité, ces expressions véhiculent et renforcent deux conceptions erronées des individus et des relations. Aussi bien défaire cela dès maintenant:

  1. Il y a un idéal individuel vers lequel il faut tendre.
  2. Il y a un idéal relationnel vers lequel il faut tendre

La première conception est ancrée dans la philosophie et la psyché occidentale depuis des siècles, ce qui ne la rend pas moins pernicieuse. Estimer qu’il y a un idéal individuel à émuler revient à penser que tous les gens, peu importent leurs circonstances de vie, leurs caractéristiques physiologiques et psychologiques, leur environnement, ont les capacités, le désir, le besoin  et les chances  d’atteindre cet idéal.

Ce faisant, on met l’emphase sur tout ce que la personne n’est pas, tout ce qu’elle n’atteint pas, plutôt que de se concentrer sur ses qualités, ses réalisations. On refuse aussi de prendre en compte le privilège sur lequel est généralement construit cet idéal (homme blanc, cisgenre et neurotypique, de classe moyenne ou aisée, etc.).  La vie peut avoir tendu son lot d’embûches empêchant quelqu’un d’étudier, de se développer normalement, d’être à l’aise socialement, ou de s’accomplir professionnellement. De loin, de l’extérieur, il est aisé de simplement juger en jetant pêle-mêle tout le monde dans la catégorie « loser ». Ce jugement nous empêche de discerner leurs réelles qualités, de percevoir la souffrance contre laquelle ils ou elles peuvent se défendre, souvent maladroitement, et de faire appel à notre compassion afin de guider nos interactions.

Il en est de même de la seconde conception. Les relations, particulièrement les relations amoureuses, sont idéalisées à l’extrême. L’industrie du divertissement en fait ses choux gras. Mais à trop chercher la relation « parfaite », celle qui répondra en tout point à nos désirs, y compris les désirs qui nous ont été appris par acculturation, par conformisme, on se met à négliger le potentiel de toutes ces relations « imparfaites ». On se retrouve dans un état de profond déséquilibre, oscillant entre un état de manque permanent (« je n’ai pas trouvé le bon ou la bonne ») et un état de contentement risqué – car comme vous le dira n’importe quel investisseur, ce n’est pas la stratégie la plus avantageuse que de mettre tous ses oeufs dans le même panier!

En réalité, chaque relation, si « imparfaite » soit-elle selon les modèles standards, a le potentiel d’enrichir ceux qui la vivent de diverses façon, tout comme elle peut également leur nuire, ne le cachons pas. L’anarchie relationnelle devient alors (entre autre) une façon de célébrer les éléments positifs qui unissent les partenaires en relation, de se concentrer sur ces derniers, tout en permettant aux personnes concernées de vivre simultanément d’autres relations leur permettant de combler diversement le reste de leurs désirs et besoins.

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Au-delà de l’amour et de l’amitié: que faire de toutes ces autres catégories de relation?

Pour ceux qui lisent ce blogue depuis le début (ou depuis un bon bout de temps), ça devrait maintenant être assez clair qu’en théorie, l’anarchiste relationnel ne fait pas de différence ou de hiérarchisation selon la nature des relations, mais bien plutôt selon l’intensité de celles-ci et le désir tout comme la capacité que les personnes impliquées ont de développer la relation.

L’ennui, évidemment, est que ces hiérarchies sont omniprésentes dans notre environnement culturel. Il faut inévitablement soit s’y confronter, s’y conformer ou tenter de les concilier. Deux exemples courants sont la famille et les groupes professionnels.

Le second est assez facile à constater. Notez par exemple le pouvoir disproportionné des médecins dans le système de la santé. S’il faut reconnaître que ceux-ci ont un rôle essentiel à jouer, demandant des capacités et des études particulières, il n’en demeure pas moins que sans toute une communauté incluant d’autres professions (pharmaciens, infirmiers, techniciens) ainsi que les patients, tout un écosystème de recherche et de nombreux intervenants en santé publique, notre système de santé ne peut remplir efficacement sa mission.

Il y a pareillement un très fort privilège social rattaché aux liens familiaux. La famille est présentée comme plus forte que tout, parfois plus importante que la loi (on pardonne sans problème à un Guy Lafleur qui ment devant le tribunal pour protéger son fils) et conditionne les rencontres sociales. Prenez à témoins les contorsions d’agenda nécessaires pour accommoder les familles reconstituées dans le temps des fêtes.

Ce privilège est même incorporé dans notre cadre juridique. Ainsi, au Québec la Loi sur les normes du travail octroi des congés en cas de décès d’un proche parent (enfants, père, mère, frère, soeur, grand-parent, petits-enfants) et ce, peu importe les circonstances de vie et la nature de la relation entre les personnes. Vous aurez un congé si votre mère qui vous a abandonné dans la prime enfance et que vous n’avez presque jamais revue par la suite décède, mais aucun si la voisine (sans lien de sang) qui vous a recueilli et élevé par la suite et accompagné tout au long de votre vie décède à son tour. Et bien entendu, vous aurez un congé si votre conjoint légalement reconnu décède, mais pas à la mort d’un membre de votre polycule.

Ces hiérarchies ont donc un potentiel de nuisance car elles favorisent un sous-groupe au détriment de l’ensemble de la communauté, et au détriment de l’importance réelle des liens tissés par les individus. En hiérarchisant, on renonce à atteindre un équilibre personnel entre différentes relations. La famille est effectivement importante, mais son importance doit être contrebalancée par l’importance qu’ont vos amis, vos amoureux (si vous faites ces distinctions), vos collègues, et ainsi de suite. La hiérarchie vous force à consacrer du temps et de l’énergie à un groupe en ignorant des relations qui peuvent porter en elles plus de potentiel.

Enfin, la hiérarchie vous prive de la capacité de décider. Si vous devez vous rendre à un évènement « parce que vous n’avez pas le choix », vous êtes en train de faire une décision hiérarchisée et non pas fondée sur vos propres besoins et désirs. Remettre en question ces hiérarchies, souvent appuyées par un ordre établi, peut être taxé d’égocentrisme mais est en réalité une preuve d’autonomie.

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La transparence et la vulnérabilité

Suite au billet de la semaine dernière, plusieurs questions fort légitimes m’ont été posées, notamment quant à la douleur de la séparation, au deuil de la fin d’une relation, à ses conséquences et aux façons de le gérer lorsque l’on est polyamoureuse ou polyamoureux. Et si j’en parlerai plus en détail la semaine prochaine, je réalise en réfléchissant au sujet qu’il me faut d’abord couvrir un point essentiel, soit la présence d’un réseau de soutien prêt à nous aider en cas de besoin.

Mais pour cela, il faut d’abord assumer et revendiquer, sinon ouvertement, du moins en privé avec un nombre de personnes, que notre préférence relationnelle ne correspond pas aux normes établies. Et c’est là que ça devient un peu plus délicat.

Tout d’abord, il faut reconnaître que ce « coming-out » (car s’en est bien un) n’est pas aussi facile pour chaque personne. Le poids des institutions sociales, et des privilèges (liés au couple, au genre, etc.) joue grandement dans la balance, et le jugement suivra. Les mentalités changent lentement, mais le jugement est encore plus sévères pour les femmes que les hommes, par exemple. Par exemple, à titre personnel, il m’arrive rarement d’être jugé pour la façon dont je vis mes relations (et dont je les affiche) mais il m’est arrivé d’entendre parler de mes partenaires en termes très dérogatoires, généralement par des gens qui ne les avaient même pas rencontrées.

Un exemple banal: lors d’une pause au travail, un collègue vous parle de son weekend relaxant en amoureux avec sa copine. Un sujet acceptable, encouragé, même (tant qu’il reste dans les limites de la décence). Si vous parlez de votre weekend avec votre trio, trouple, vos différent(e)s conjoint(e)s  ou partenaires,  même en restant dans les mêmes limites de décence, la réception ne sera pas la même.

Les paroles reçues peuvent être blessantes, et elles le sont généralement plus par ignorance que par méchanceté (c’est le propre du préjugé). Néanmoins, il y a plusieurs raisons d’aller de l’avant avec la transparence. La première en est une qui apparaît à première vue contre-intuitive: ce qu’on cache nous rend vulnérable. Ce qui est affiché nous protège. Comme rien ne reste secret bien longtemps, il est préférable de choisir soi-même quand et comment révéler qui nous sommes, plutôt que d’attendre que les ragots et potins fassent leur oeuvre néfaste. De surcroît, il est plus facile de s’afficher face aux gens en étant conscient de ce qu’ils savent, en se préparant aux soubresauts occasionnels causés par des préjugés surannés, qu’en vivant dans l’incertain, l’inconnu, l’incertitude, le doute, voire la peur que ce qu’on l’on garde caché soit soudainement exposé au grand jour. Enfin, en étant capable de repérer les jugements de valeurs et de privilège, il est facile de confronter les gens en leur rappelant poliment que certains termes sont inacceptables et en leur montrant en quoi ils causent du tort.

Ceci dit, il ne faut pas être si dramatique: les préjugés contre les polyamoureux ne sont pas de la même virulence que ceux qui frappaient la communauté gaie.

Ce mot, d’ailleurs, « communauté » est l’autre grande raison d’aller de l’avant. Il se développe, un peu partout, des communautés de gens pour qui les vieilles normes relationnelles ne font plus de sens. Leurs participants ont tous des histoires à partager, des conseils, des leçons apprises, parfois par expérience, parfois de l’exemple d’autrui. En acceptant de vivre différemment (ou en acceptant l’idée que l’on puisse le faire librement), il devient possible de puiser dans ce bassin d’entraide et de soutien.

S’ouvrir à des gens de confiance dans son entourage ou rejoindre une communauté aux intérêts similaires sont de bons premiers pas. Mais pour effectuer un changement durable de mentalité, l’ouverture à tous est ultimement nécessaire. Le privilège de couple est communiqué inconsciemment partout autour de nous. En le contrant, en démontrant par l’exemple et les paroles comment ce mode de vie n’est pas et ne devrait pas être la seule référence sociale, il se créé petit à petit un espace inclusif pour tous.

Surtout, en en parlant ouvertement, vous risquez de rejoindre des gens qui n’auraient jamais autrement entendu parler d’autres possibilités, d’autres choix. Parfois, ils voudront en apprendre davantage, soit en vous parlant, soit en faisant leurs recherches de leur côté. Mais vous aurez fait à votre façon une différence importante dans leur vie.

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Le paradoxe du deuil

Votre relation parfaite se terminera un jour.

Sans blague ni mauvaise intention, toute relation est appelée à se terminer. Même si vous vivez l’idéal du couple-exclusif-qui-s’aime-pour-le-restant-de-ses-jours, ultimement, ces jours arriveront à leur fin. L’un de vous mourra (plus rarement, les deux en même temps).

Sans verser dans de si dramatiques scénarios, il faut néanmoins envisager qu’une relation romantique puisse se terminer. Pourtant, socialement, c’est un passage qu’on fait tout pour occulter, oublier, voire dramatiser. La rupture est vue comme un échec. Un drame. Une réelle mort. Et au contraire, l’amour idéalisé est présenté comme plus fort que la mort (ce qui vous donne des scènes larmoyantes de film avec des fantômes qui font de la poterie, ou encore des vampires étincelants. Mais bon, ça c’est un autre sujet). C’est plutôt absurde, même franchement malsain, que de représenter l’amour « vrai » comme un pouvoir paranormal au lieu du simple état naturel dans lequel nous pouvons vivre, exister et être heureux.

Mais revenons plutôt aux relations. Dans un contexte ou une institution, le couple monogame exclusif hétéronormatif (maintenant élargi au couple monogame exclusif, peu  importe l’orientation) jouit d’un privilège envahissant, tout ce qui vous fait sortir d’un couple est mal vu. Et c’est un peu normal, parce que la fin d’une relation vous prive également de tous les privilèges (notamment l’acceptation sociale) liés au statut d’être en couple. La fin d’une relation devient donc une menace bien réelle, au-delà du simple domaine affectif, au statut social, économique, politique, etc. Est-ce si surprenant qu’on dramatise la rupture à ce point?

Et si on prenait une approche un peu plus raisonnée?

Et si les relations ne se terminaient pas, mais qu’elles se transformaient? Après tout, les gens changent constamment. La vie nous fait évoluer, grandir, souffrir parfois et tout cela a un impact sur notre personnalité, nos désirs, nos besoins, nos ambitions, nos idéaux. Deux ou plusieurs partenaires peuvent réagir différemment à ces événements. Dans la mesure où une relation est aussi le reflet de la personnalité des gens impliqués dans cette relation, il est donc inévitable qu’elle se transforme au fil du temps.

Parfois, il faut le reconnaître, cette transformation entraîne l’abandon d’un lien romantique. Qui peut devenir purement amical. Parfois, c’est l’inverse. On connait tous des amis qui sont devenus amoureux après plusieurs années. Et on connait tous d’anciens amants séparés mais unis par une profonde complicité.

Outre le cas de la mort d’un des partenaires, il faut bien admettre que suite à la fin d’une relation les personnes concernées risquent de se recroiser. La meilleure façon de gérer cette transition est d’accepter dès le départ l’inévitable transformation.

Autrement dit, le deuil d’une relation doit commencer au premier jour de celle-ci. Dès le début, il faut reconnaître le caractère fragile, éphémère et par conséquent profondément précieux du lien qui nous unit à l’autre. Il faut aussi y porter attention de part et d’autre, reconnaître ses fluctuations, ses changements. Accepter qu’il peut, indépendamment de notre volonté, prendre une direction différente au lieu de s’acharner à l’enfermer, l’encadrer dans un moule qui ne lui sied pas.

Le paradoxe du deuil, c’est que lorsque l’on tente de préserver, protéger sa relation au détriment du reste, on risque de l’enchaîner, de la prendre pour acquise, et ultimement de la saboter, de la perdre. Mais qu’en sachant lâcher prise, cette relation peut trouver un sens renouvelé, peut-être pas le sens que le moule sociétal essaie de nous enfoncer dans la gorge, mais un sens beaucoup plus riche et signifiant parce qu’issu des expériences partagées entre les individus concernés.

En acceptant le caractère éphémère de la relation, on accède à un univers d’émerveillement où chaque instant se savoure pleinement.

Arrêtez d’avoir peur de perdre. Acceptez l’inévitable transformation. Et vivez intensément aujourd’hui.

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(ma vision limitée) Du privilège

Le privilège, ce sont des médecins-spécialistes qui ont empoché des hausses de 67% en 6 ans et des députés qui s’augmentent leur salaire de 31% tout en offrant 3% sur 5 ans à la fonction publique. Le privilège, c’est que les premiers ne voient pas en quoi ceci est injuste. C’est l’ordre naturel des choses. Le bénéfice de la classe (médicale ou politique) et de la richesse (notre 1%). Penser que ces sommes sont bien méritées. Juste et équitable. Le privilège, c’est refuser de reconnaître les relations de pouvoir implicites dans ces décisions. C’est une institution dominante qui s’affirme au détriment des autres.

Le privilège, c’est de mettre tout en branle pour retrouver un homme, une femme, un enfant blanc disparu, jusqu’à l’alerte Amber qui fait traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Et de ne pas comprendre pourquoi les gens s’énervent avec des centaines de femmes autochtones disparues ou assassinées. Encore pire: de ne pas le savoir. Parce qu’incompréhensible, incompatible avec votre réalité raciale dominante.

Le privilège, c’est de ne pas avoir à se justifier quand un homme et une femme se présentent aux autres. De savoir que le statut de couple sera pris pour acquis, même si vous  n’êtes pas en couple, auquel cas vous devrez vous justifier, alors que des questions gênées seront posées si vous êtes deux personnes de même sexe. Ou ne seront pas posées, les gens ne pensant pas nécessairement à une union romantique à moins que vous ne correspondiez à un stéréotype précis.

Le privilège c’est arriver au pied d’un escalier sans me demander comment faire pour parvenir au sommet.

Le privilège, c’est de ne pas comprendre le malaise que certaines personnes éprouvent face aux toilettes genrées. De ridiculiser ces personnes. De critiquer publiquement, de rabrouer, d’humilier les personnes confrontées à une séparation binaire des genres alors que leur identité leur crie intérieurement qu’elles ne correspondent à ni l’une ni l’autre des options. C’est de ridiculiser les gens qui font des choix qui contreviennent explicitement aux stéréotypes de genre, mais c’est aussi se retrouver mal à l’aise face au choix androgyne, au choix qui rejette les catégorisations et les stéréotypes et vous remet en pleine face l’artificialité des constructions binaires.

Le privilège, c’est de refuser à trois adultes élevant leur famille la pleine reconnaissance sociale, légale et affective à laquelle peuvent aspirer toutes les autres familles. Parce que l’institution dominante, par défaut, c’est la famille biologique. Toutes les autres sont présentées soit comme incomplètes, imparfaites, défaillantes (monoparentalité) ou de maigres substituts (adoption). Et au détriment des droits et des besoins des parents comme des enfants, on protège l’institution dominante avant tout. Parce que c’est ce qu’on connait, c’est le modèle qu’on se donne et il ne faudrait surtout pas se mettre à questionner sa légitimité.

Le pire, c’est qu’en tant qu’homme-cis, blanc, issu d’une famille traditionnelle, scolarisé, je baigne dans le privilège à longueur de journée. Même sensibilisé à la situation je n’en identifie sans doute pas le quart. Et même quand je sors du moule des institutions dominantes, même si je m’affirme dans l’anarchie relationnelle par exemple, je bénéficie encore des privilèges associés aux autres institutions auxquelles j’appartiens.

Ce n’est pas une raison pour ne pas commencer à s’y attaquer.

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