Le privilège, ce sont des médecins-spécialistes qui ont empoché des hausses de 67% en 6 ans et des députés qui s’augmentent leur salaire de 31% tout en offrant 3% sur 5 ans à la fonction publique. Le privilège, c’est que les premiers ne voient pas en quoi ceci est injuste. C’est l’ordre naturel des choses. Le bénéfice de la classe (médicale ou politique) et de la richesse (notre 1%). Penser que ces sommes sont bien méritées. Juste et équitable. Le privilège, c’est refuser de reconnaître les relations de pouvoir implicites dans ces décisions. C’est une institution dominante qui s’affirme au détriment des autres.
Le privilège, c’est de mettre tout en branle pour retrouver un homme, une femme, un enfant blanc disparu, jusqu’à l’alerte Amber qui fait traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Et de ne pas comprendre pourquoi les gens s’énervent avec des centaines de femmes autochtones disparues ou assassinées. Encore pire: de ne pas le savoir. Parce qu’incompréhensible, incompatible avec votre réalité raciale dominante.
Le privilège, c’est de ne pas avoir à se justifier quand un homme et une femme se présentent aux autres. De savoir que le statut de couple sera pris pour acquis, même si vous n’êtes pas en couple, auquel cas vous devrez vous justifier, alors que des questions gênées seront posées si vous êtes deux personnes de même sexe. Ou ne seront pas posées, les gens ne pensant pas nécessairement à une union romantique à moins que vous ne correspondiez à un stéréotype précis.
Le privilège c’est arriver au pied d’un escalier sans me demander comment faire pour parvenir au sommet.
Le privilège, c’est de ne pas comprendre le malaise que certaines personnes éprouvent face aux toilettes genrées. De ridiculiser ces personnes. De critiquer publiquement, de rabrouer, d’humilier les personnes confrontées à une séparation binaire des genres alors que leur identité leur crie intérieurement qu’elles ne correspondent à ni l’une ni l’autre des options. C’est de ridiculiser les gens qui font des choix qui contreviennent explicitement aux stéréotypes de genre, mais c’est aussi se retrouver mal à l’aise face au choix androgyne, au choix qui rejette les catégorisations et les stéréotypes et vous remet en pleine face l’artificialité des constructions binaires.
Le privilège, c’est de refuser à trois adultes élevant leur famille la pleine reconnaissance sociale, légale et affective à laquelle peuvent aspirer toutes les autres familles. Parce que l’institution dominante, par défaut, c’est la famille biologique. Toutes les autres sont présentées soit comme incomplètes, imparfaites, défaillantes (monoparentalité) ou de maigres substituts (adoption). Et au détriment des droits et des besoins des parents comme des enfants, on protège l’institution dominante avant tout. Parce que c’est ce qu’on connait, c’est le modèle qu’on se donne et il ne faudrait surtout pas se mettre à questionner sa légitimité.
Le pire, c’est qu’en tant qu’homme-cis, blanc, issu d’une famille traditionnelle, scolarisé, je baigne dans le privilège à longueur de journée. Même sensibilisé à la situation je n’en identifie sans doute pas le quart. Et même quand je sors du moule des institutions dominantes, même si je m’affirme dans l’anarchie relationnelle par exemple, je bénéficie encore des privilèges associés aux autres institutions auxquelles j’appartiens.
Ce n’est pas une raison pour ne pas commencer à s’y attaquer.