Au-delà de l’amour et de l’amitié: que faire de toutes ces autres catégories de relation?

Pour ceux qui lisent ce blogue depuis le début (ou depuis un bon bout de temps), ça devrait maintenant être assez clair qu’en théorie, l’anarchiste relationnel ne fait pas de différence ou de hiérarchisation selon la nature des relations, mais bien plutôt selon l’intensité de celles-ci et le désir tout comme la capacité que les personnes impliquées ont de développer la relation.

L’ennui, évidemment, est que ces hiérarchies sont omniprésentes dans notre environnement culturel. Il faut inévitablement soit s’y confronter, s’y conformer ou tenter de les concilier. Deux exemples courants sont la famille et les groupes professionnels.

Le second est assez facile à constater. Notez par exemple le pouvoir disproportionné des médecins dans le système de la santé. S’il faut reconnaître que ceux-ci ont un rôle essentiel à jouer, demandant des capacités et des études particulières, il n’en demeure pas moins que sans toute une communauté incluant d’autres professions (pharmaciens, infirmiers, techniciens) ainsi que les patients, tout un écosystème de recherche et de nombreux intervenants en santé publique, notre système de santé ne peut remplir efficacement sa mission.

Il y a pareillement un très fort privilège social rattaché aux liens familiaux. La famille est présentée comme plus forte que tout, parfois plus importante que la loi (on pardonne sans problème à un Guy Lafleur qui ment devant le tribunal pour protéger son fils) et conditionne les rencontres sociales. Prenez à témoins les contorsions d’agenda nécessaires pour accommoder les familles reconstituées dans le temps des fêtes.

Ce privilège est même incorporé dans notre cadre juridique. Ainsi, au Québec la Loi sur les normes du travail octroi des congés en cas de décès d’un proche parent (enfants, père, mère, frère, soeur, grand-parent, petits-enfants) et ce, peu importe les circonstances de vie et la nature de la relation entre les personnes. Vous aurez un congé si votre mère qui vous a abandonné dans la prime enfance et que vous n’avez presque jamais revue par la suite décède, mais aucun si la voisine (sans lien de sang) qui vous a recueilli et élevé par la suite et accompagné tout au long de votre vie décède à son tour. Et bien entendu, vous aurez un congé si votre conjoint légalement reconnu décède, mais pas à la mort d’un membre de votre polycule.

Ces hiérarchies ont donc un potentiel de nuisance car elles favorisent un sous-groupe au détriment de l’ensemble de la communauté, et au détriment de l’importance réelle des liens tissés par les individus. En hiérarchisant, on renonce à atteindre un équilibre personnel entre différentes relations. La famille est effectivement importante, mais son importance doit être contrebalancée par l’importance qu’ont vos amis, vos amoureux (si vous faites ces distinctions), vos collègues, et ainsi de suite. La hiérarchie vous force à consacrer du temps et de l’énergie à un groupe en ignorant des relations qui peuvent porter en elles plus de potentiel.

Enfin, la hiérarchie vous prive de la capacité de décider. Si vous devez vous rendre à un évènement « parce que vous n’avez pas le choix », vous êtes en train de faire une décision hiérarchisée et non pas fondée sur vos propres besoins et désirs. Remettre en question ces hiérarchies, souvent appuyées par un ordre établi, peut être taxé d’égocentrisme mais est en réalité une preuve d’autonomie.

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Mais c’est quoi cette histoire d’anarchie? (ou: démystifier l’anarchie relationnelle)

Pour plusieurs personnes, le concept de polyamour est encore inconnu, le concept d’anarchie surtout connu sous sa forme caricaturale, et l’anarchie relationnelle évidemment ne veut rien dire du tout. Même pour les gens un peu plus familiers avec les nouvelles formes de relations amoureuses, il plane toujours une certaine incertitude sur cette réalité – pour de bonnes raisons comme je l’expliquerai plus bas. J’utiliserai alors mon billet de cette semaine pour décrire ma compréhension du concept, de son usage et de son implication pour les relations en général.

Il y a plusieurs façons de définir le polyamour. Dans le doute, partons avec cette définition de Wikipedia: l’orientation relationnelle présumant qu’il est possible et acceptable d’aimer plusieurs personnes et de maintenir plusieurs relations amoureuses et sexuelles à la fois, avec le consentement des partenaires impliqués, et qu’il est souhaitable d’être ouvert et honnête à leur propos. On pourrait questionner la notion que la relation doive être sexuelle (certaines personnes peuvent vivre des relations amoureuses mais non sexuelles, après tout) mais autrement cette définition tient la route.

L’anarchie, de façon courante, est interprétée comme un état de désordre, de confusion dans un domaine d’activité, du fait de l’absence de règles, ou de leur inobservation (c’est ici la définition du Larousse). À noter que l’absence de règles est vue nécessairement comme causant la confusion. La définition d’anarchisme, par contre, va comme suit: conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l’initiative individuelles. Soyons honnête, peu de gens et peu d’anarchistes (et encore moins d’anarchistes relationnels) font la nuance entre les deux termes.

Alors, que fait l’anarchiste relationnel? Il rejette en gros toute notion de hiérarchie (ou de tutelle) imposée aux relations. Ces hiérarchies sont implicites et omniprésentes dans notre culture (sans que tout le monde adhère à chacune d’entre elles). En voici quelques exemples:

  • Les relations de couple sont mieux acceptées que les autres (du genre amants, amis avec extra, etc.)
  • Les relations avec enfants sont mieux acceptées que celles sans enfants
  • Les relations hétérosexuelles sont mieux acceptées que les relations homosexuelles, et les relations entre personnes cis-genre mieux acceptées que celles impliquant un ou des partenaires transgenres.
  • Les relations amoureuses doivent être aussi sexuelles, et les relations qui incluent le romantisme et la sexualité sont supérieures à celles qui ne comprennent que le volet sexuel ou que le volet romantique, qui sont elles-mêmes distinctes et supérieures des relations platoniques.
  • Si une relation est principale, les autres doivent nécessairement être secondaires.
  • Les familles nucléaires sont mieux acceptées que les familles monoparentales ou reconstituées, etc.

Et même dans les communautés plus ouvertes, on en retrouve encore. Par exemple, j’ai déjà entendu certaines personnes exprimer l’opinion que les relations polyamoureuses étaient en quelque sortes supérieures aux relations échangistes.

Là où ça se complique, c’est que l’anarchie relationnelle, selon la personne et le discours, peut être présentée de deux façons: soit comme un mode d’organisation des relations, ou soit comme une philosophie relationnelle. Résumons:

  • Dans un mode d’organisation des relations, l’anarchie relationnelle est présenté comme une des extrémités du spectre des orientations relationnelles (prenez 2-3 minutes pour aller voir la BD sur mon article à-propos de la fluidité sexuelle, ça en vaut la peine). Donc, l’anarchiste relationnel est présenté comme étant nécessairement solo, avec un ensemble de relations qu’il refuse de définir comme platonique/romantique/sexuelle mais qui se caractérisent plutôt par divers niveaux d’intensité évoluant dans le temps selon les besoins et désirs des partenaires impliqués. La fluidité prime. Il ne faut donc surtout pas confondre avec l’égalitarisme, bien trop rigide.
  • Comme philosophie relationnelle, l’anarchie peut soutenir n’importe quelle forme d’organisation des relations, dans la mesure où cette relation est librement consentie, sans contrainte hiérarchique explicite ni implicite. Peu importe alors où ils se retrouvent dans le spectre des relations mentionné plus haut. Par exemple, à la limite, deux anarchistes relationnels pourraient se retrouver au sein d’une relation intime, sexuelle (ou pas) et romantique (ou pas) si prenante qu’ils n’auraient de facto plus de temps ni d’énergie, voire de désir à consacrer à d’autres types de relations. À toutes fins pratiques, ils seraient monogames, mais cette monogamie ne serait pas vue comme acquise ni même éternelle, juste comme un état de fait à ce moment de leur relation.

À partir de là, donc, difficile de catégoriser quel type de relation peut être ou ne pas être inclus dans l’anarchie relationnelle puisque c’est précisément une des choses qui est rejetée (voir par exemple mon billet précédent sur l’amitié, le sexe et mon polycule). D’ailleurs un des grands obstacles de l’anarchiste relationnel est le langage, qui a évolué pour limiter précisément le type d’interaction représenté: ami, amant, amoureux, partenaire, relation, conjoint, etc. Comme apposer une étiquette à quelqu’un lorsque notre conception des relations est justement fluide? Non seulement c’est inapproprié, mais de surcroît cette étiquette risque d’influencer le comportement d’autrui avec l’autre dans la relation, ce qui n’est pas du tout désirable.

Simplement définir le sujet soulève plusieurs enjeux et questions et c’est un peu le but de faire ce blogue. D’ailleurs, s’il y a des points spécifiques que vous désirez éclaircir, je vous invite à m’en faire part dans les commentaires. Enfin, je présente ici un point de vue et une opinion sur l’anarchie relationnelle. Vous n’aurez pas de difficulté à en trouver d’autres si le sujet vous intéresse. Voici d’ailleurs quelques pistes pour débuter:

1) Un des textes « fondateurs » (traduit du suédois en anglais, mais si vous trouvez une traduction française ça serait bien aussi)

2) Un texte très intéressant sur le blog Troll de Jardin

Bonne lecture!

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Ce sentiment de possessivité

« Si j’ose me servir de cette comparaison, un amant est possesseur, un mari est propriétaire. » Puisqu’il s’agit d’un blogue sur l’anarchie relationnelle, ouvrons sur une boutade de Proudhon, un des fondateurs de l’anarchie moderne: Pour ce que cette comparaison a de fâcheux à nos sensibilités modernes, elle met néanmoins le doigt sur un élément que Proudhon tâchait alors d’expliquer: la propriété relève du droit, de la loi tandis que la possession relève de l’usage, de l’utilisation.

On ne parle heureusement plus de « propriété » lorsque vient le temps d’unir deux personnes (et vous vous doutez sans doute de mon opinion sur la mariage – hé, c’est un blogue anarchiste, là!) mais l’habitude demeure. Combien de conjoint considère leur partenaire comme étant « à eux » et toute intrusion dans le couple comme une tentative de vol? C’est que la propriété, comme la possession, font de l’autre partenaire un objet, soumis à la volonté des autres, et non plus un sujet indépendant et animé de volonté.

Cependant ce terme, « possession » sans impliquer une légitimité de droit dans l’utilisation de l’autre, vient encore l’objectifier. Dixit le Petit Larousse: possession –

  • Littéraire. Accomplissement de l’acte sexuel sur une femme.

Historiquement, donc, c’est la femme que l’on possède, et ce dans une perspective qui est implicitement hétéronormative. L’homme est un sujet, la femme un objet. De nos jours cette norme hétéronormative s’estompe, mais on peut affirmer sans trop se tromper que les vieilles normes ont la vie dure et que les femmes en souffrent encore de façon disproportionnée.  La possessivité, cette envie de dominer, de posséder l’autre, peut être vue comme une envie déshumanisante et conséquemment à proscrire et à combattre.

Tout comme la jalousie, à laquelle il est d’ailleurs intimement relié par ailleurs, le sentiment peut continuer à se manifester. Ce n’est pas en soit surprenant, et c’est un relent du développement humain (notamment les phases narcissiques et oedipales lors de la petite enfance). À l’âge adulte, par contre, il est nécessaire de gérer ces sentiments de façon un peu plus mature. D’abord en reconnaissant le sentiment, en le nommant, mais aussi en le partageant avec nos partenaires, de façon à ce que leur feedback puisse faire partie des outils que nous avons afin d’identifier la montée du sentiment, au besoin. (Voir aussi l’excellent coffre à outils du blogue d’Hypatia à ce sujet).

Par contre dans certains contextes bien précis la possessivité peut continuer à se déployer, voire même être encouragée! On reconnait à la possessivité un côté immature, animal. Ce côté bestial n’est pas pour déplaire dans certaines circonstances, et peut même se révéler particulièrement ludique et excitant. Alors, un peu comme les pratiques BDSM, on peut importer des pratiques basée sur la possession sous certaines conditions. Notamment avec le consentement des personnes impliquées, un haut degré de confiance entre les partenaires, et une reconnaissance explicite du caractère temporaire de l’activité. Toute personne peut aimer pour un temps la soumission ou l’objectification, mais ne pas au point de ne jamais sortir de cette relation de domination par la suite.

Il faut donc distinguer entre la possessivité comme jeu de la possessivité comme émotion destructrice, tout comme on distingue la domination comme jeu de la domination comme exploitation indésirable d’autrui. Donc, dans la mesure où cette possessivité est ludique, contrôlée, et désirée explicitement par toutes les parties prenantes impliquées, il n’y a pas lieu de trop s’en faire. Mais si cette possessivité est cause de souffrance, hors-de-contrôle, irrépressible et nuisible, il est important de le reconnaître et d’agir en conséquence, autant pour votre bien être que pour celui de vos relations.

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Compassion et polyamour

La vertu de la compassion n’est plus vraiment au goût du jour en Occident. Notre société individualiste et matérialiste fait plutôt de la domination sa vertu principale (domination de soi, des autres, de la nature). À cet effet d’ailleurs l’auteur anarchiste Murray Bookchin écrivait que « la domination de la nature par l’homme n’est rien d’autre que le reflet de la très réelle domination de l’homme par l’homme. »

Or, si la domination permet d’imposer un flux d’idées et de croyances, de soi vers les autres, dans un geste très volontaire, la compassion est ce qui permet, tout aussi volontairement, de percevoir plutôt l’émotion, le contexte vécu par autrui et agir en conséquence. La compassion se distingue donc de la pitié (aujourd’hui vue comme condescendante) et de l’empathie par la notion d’action.

Si la plupart des traditions religieuses en ont fait un pilier de leurs dogmes,  il y a par contre plus que lieu de récupérer le concept de façon tout à fait laïque et contemporaine. Pour un humaniste, la compassion est la vertu qui permet de s’opposer à la domination, par exemple dans les expériences de Milgram (que je ne résumerai pas, mais dont je vous invite à prendre connaissance en suivant ce lien, c’est fascinant!).

Pour un polyamoureux, la compassion est la vertu qui doit être au coeur de la gestion éthique des sentiments, émotions et attentes de son polycule, de ses partenaires ou de son entourage. Il faut d’abord reconnaître pour cela qu’il arrive que les autres souffrent (pas dans le sens de se tordre littéralement de douleur – appelez alors un médecin) et accepter que cette souffrance est légitime, concrète, et qu’elle cause un tort réel.

Je prends donc le mot souffrance dans un sens très large ici, mais en voici quelques exemples:

  1. Rupture d’une relation entre deux partenaires (ou plusieurs) ou tout simplement absence temporaire d’un partenaire.
  2. Ajout d’un nouveau partenaire au sein d’un polycule qui peut faire sentir aux autres qu’ils ont moins de place/temps/importance.
  3. Relation déséquilibrée entre deux partenaires, au point où l’un des deux partenaires souffre de l’absence de reconnaissance de l’autre.

Vous pourriez faire preuve d’empathie dans les trois cas, sans ne porter aucune action (i.e. « Je comprends qu’il ou elle souffre, je le ressens, mais c’est son problème, qu’il ou elle s’arrange avec ses émotions parce que je ne peux rien faire »). La compassion va un peu plus loin: elle se dirige activement vers l’autre à la recherche de solutions, de moyens de guérison.

Vous pouvez aider l’autre à cheminer à travers son deuil, en l’accompagnant, lui changeant les idées, en parlant parfois tout simplement. Le simple fait de se confier fait  énormément de bien. Vous pouvez aussi accepter son témoignage (surtout si vous êtes impliqué dans la situation, par exemple dans l’exemple #2) et chercher ensemble des pistes permettant de rassurer, réconforter, plutôt que d’attendre bêtement que l’autre s’ajuste. Prendre conscience et aider à la prise de conscience permettent de corriger bien des torts, ou à tout le moins d’indiquer clairement les actions à poser afin de retrouver une certaine quiétude.

Ce n’est pas un processus qui a besoin d’être lourd. Ainsi, une polyamoureuse avec qui je tisse depuis peu des liens d’amitié et de confiance est venue me parler dernièrement pour discuter d’une situation avec ses partenaires où elle se sentait mal-à-l’aise, tiraillée entre deux valeurs contradictoires. Il n’a pourtant fallu qu’un bref échange, ou la situation a été exposée sous différents angles, pour trouver celui qui lui apporterait la plus grande paix d’esprit. J’aurais pu n’être qu’empathique et reconnaître que sa situation était triste, sans m’impliquer. Mais en m’engageant activement dans la discussion, en tâchant de reconnaître où se situait sa souffrance et en mettant celle-ci en lumière, il a été possible de faire beaucoup plus de bien qu’en restant détaché.

Il est déjà crucial d’être attentif aux émotions de son partenaire dans une relation monogame. Dans un contexte polyamoureux ou d’anarchie relationnelle l’importance est magnifiée de façon exponentielle. J’avancerais même qu’à la limite, ne pas ou ne plus être capable de le faire indique sans doute que vous avez atteint un niveau de « saturation » qui met vos relations en péril. Si, face à l’expression d’une souffrance émotionnelle, votre première réaction est « je n’ai pas le temps de m’occuper de ça », il faut vous questionner sur votre degré d’investissement dans cette relation.

Par contre, il faut aussi reconnaître que la compassion a des limites claires, qui sont de deux types:

  1. Le consentement: il est correct d’aller vers l’autre, d’offrir son aide, et encore plus si l’autre nous le demande, mais il inacceptable d’imposer son aide à une personne qui nous demande de la laisser seule. Le faire serait de retomber dans une relation de domination.
  2. Le respect de soi: la première personne envers qui vous devez faire preuve de compassion, c’est vous-même. Si vous êtes victimes de chantage, de manipulation affective, retirez-vous. Si aider les autres vous cause en retour une souffrance trop élevée, vous devez peut-être solliciter l’aide de quelqu’un qui a la formation appropriée (thérapeute, psychologue, sexologue, etc.) pour se pencher sur la situation.

Autrement dit, la compassion doit aller de pair avec l’humilité, avec une certaine maturité effective qui vous fait reconnaître que oui, d’une part, il est dans le plus grand intérêt commun d’essayer d’alléger la souffrance d’autrui, mais que d’autre part vous ne devez pas jouer au sauveur, au messie (ramenons les métaphores religieuses) et reconnaître que certaines situations nécessitent une relation d’aide professionnelle.

En-dehors de ces situations par contre, la compassion solidifiera grandement vos liens, augmentera la confiance ainsi que le niveau d’intimité dans votre ou vos relations, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour tous les gens concernés.

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Je suis féministe parce que je suis anarchiste

On ne peut pas d’une part prétendre à l’anarchie relationnelle et de l’autre encourager la domination systémique des femmes par les hommes. Je suis anarchiste, donc je suis féministe. (Notez bien que dans certaines mouvances féministes, il est inacceptable pour un homme-cis de se prétendre féministe puisqu’il n’a pas connu les oppressions que subissent les femmes. Ces mouvances préfèrent le thème « allié ». Il n’y a pas consensus et, du moins dans le cadre plutôt inclusif du féminisme au Canada, au Québec et à Montréal, il ne semble pas y avoir d’objection à ce qu’un homme-cis réfère à lui-même comme féministe, au contraire cet usage est encouragé. Si mon usage vous choque, acceptez mes plus sincères excuses et substituez librement le terme « allié »). Je ne veux rien savoir de vos hiérarchies basées sur des inégalités, tout aussi historiques soient-elles. Je ne comprends pas comment on peut désirer hiérarchiser les genres, encore moins dans un monde où le genre est fluide. Et j’en ai ras-le-bol de la domination (à part peut-être la domination consensuelle dans le cadre d’une activité BDSM, mais ça c’est une autre histoire).

Mais peut-être bien aussi que je suis devenu anarchiste parce que j’étais féministe. Parce que toutes ces histoires de discrimination, de harcèlement et d’agressions, je les ai entendues en confession des lèvres de mes amoureuses, amantes, amies, partenaires. Au point où, lorsque les statistiques ont éclaté au grand jour, lorsque les médias ont dû sortir leur tête du sable (pour ne pas nommer un endroit moins confortable), à la fausse stupéfaction générale des bien-pensants qui auraient préféré continuer à se vautrer dans l’ignorance, j’ai surtout constaté l’écart pas si élevé entre mon échantillon et la réalité cruelle et terrifiante.

La plupart de mes partenaires qui m’ont confié leur historique d’agression sont celles qui ont survécu, qui ont surmonté, qui ont réclamé leur existence et leur sexualité, et qui ont décidé de la vivre triomphalement malgré un cheminement long, ardu, tortueux, et parsemé d’incompréhension, d’indifférence, et de culpabilisation. D’autres s’en sont moins bien sorties comme en a témoigné cette incapacité d’atteindre l’orgasme parce que la culpabilité remonte toujours en torrent au moment crucial et déferle en un déluge de larmes. Comme d’autres où les manifestations de souffrances, l’image de soi constamment remise en question, les troubles alimentaires, les dépressions, les troubles de personnalité, les troubles sexuels ont pris le dessus.

Comment pouvez-vous bordel vouloir encourager cette douleur et cette souffrance? C’est pourtant le bâtard illégitime de la domination et de la hiérarchie. Refuser le féminisme, c’est supporter cette torture. Il n’y a pas vraiment d’autres options possibles.

Je suis devenu anarchiste parce que j’étais féministe, et qu’ultimement j’ai compris que la domination et la hiérarchie créent toujours les mêmes effets pervers, peu importe le groupe discriminé et rabaissé. Surtout, parce que j’ai réalisé qu’en créant un environnement ouvert où toutes pouvaient s’exprimer et revendiquer leur identité, leurs désirs et leurs émotions sans crainte ne pouvait ultimement que maximiser le bonheur commun.

En tant qu’homme, je peux individuellement l’affirmer, mais surtout encourager les hommes comme les femmes comme les non-binaires à collectivement revendiquer leur féminisme, leur désir de faire changer un état des choses inacceptable. Nous sommes tou-te-s féministes. Point.

Ça devrait être à la portée de nos ministres, non?

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Anarchie relationnelle, anarchie économique, anarchie politique

Comme je l’ai soulevé lors de ma dernière montée de lait, il y a une confusion sémantique qui entoure le terme « anarchie ». À proprement dit l’absence de hiérarchie, il est interprété plus vulgairement comme l’absence d’ordre social, de loi, voir le chaos généralisé. Dans quelques dictionnaires et dans l’usage commun, c’est même cette définition qui est privilégiée, au détriment de la racine grecque originale (« absence de chef »).

Mais pourquoi rejeter la hiérarchie? La réponse est relativement simple: pour remettre l’humain au coeur des préoccupations. Je vous présente par exemple deux exemples (économique et relationnel) et les impacts sur la sphère politique.

J’ai fait allusion au livre de David Graeber: Debt, the first 5000 years, dans ma dernière montée de lait. Outre que c’est un magistral exposé réconciliant les approches historiques, anthropologiques et économiques afin d’étudier l’évolution de la monnaie, de la dette, de l’esclavage et des relations de pouvoir entretenues ainsi dans les derniers millénaires, le livre révèle également comment, par une aberration historique, la motivation du profit est devenue un idéal, une fin en soi, un domaine objectif, lors des derniers siècles uniquement. La poursuite de cet idéal (l’idéal du profit) au détriment de tout autre – sa hiérarchisation  – a permis de déshumaniser les rapports humains, menant à des horreurs à une échelle auparavant inimaginable, illustrées notamment par la traite des esclaves.

Le mot clé ici est « déshumaniser » en faisant d’un domaine abstrait (le profit) un idéal tangible.

Or c’est un constat qui s’observe dans les relations amoureuses également. Un idéal a été mis de l’avant dans notre société au dépens des autres: celui du couple hétéronormatif. La poursuite de cet idéal abstrait mène  à l’ostracisation des personnes qui ne s’y conforment pas, et surtout à la hiérarchisation des rapports interpersonnels. Un(e) conjoint(e) devient ainsi une personne plus importante qu’un(e) ami(e), qu’un membre de votre famille, que vos collègues, vos voisins, votre communauté, etc. Cet idéal est tellement fort qu’il vous prive de toute marge de manoeuvre décisionnelle: vous êtes unis « pour le meilleur et pour le pire » et « jusqu’à ce que la mort vous sépare. » Vous êtes maintenant déshumanisé. Tout comme seule la mort arrête de faire de vous un esclave, seul la mort arrête de faire de vous un conjoint.

Heureusement, dans plusieurs parties du monde (mais pas partout) les positions face à l’esclavage et à la tyrannie du mariage se sont un peu adoucies, et les lecteurs ne se reconnaîtront pas tous dans les descriptions ci-haut. Mais tous savent qu’il ne faut pas regarder bien loin pour trouver des cultures qui n’ont pas cette ouverture.

Ceci dit, l’impact de cette déshumanisation des rapports se fait toujours sentir dans nos propres systèmes politiques et légaux. La poursuite du profit est encouragée au détriment de celle du travail et les gains en capital, de même que les dividendes, reçoivent un traitement fiscal préférentiel. Les protections octroyées aux couples mariés, autant du point de vue fiscal que juridique, dépassent celles octroyées aux simples conjoints de faits, qui elles-mêmes dépassent celles octroyées à toutes les autres formes d’organisations relationnelles. Ces dernières n’ont tout simplement aucune reconnaissance légale que ce soit.

Le but de l’anarchie n’est donc pas d’empêcher les gens de faire de l’argent ou d’être en couple. Le but de l’anarchie est de « ré-humaniser » les relations, les rapports qu’ont les gens entre eux en faisant disparaître les normes, les idéaux arbitraires, les fausses hiérarchies, et en mettant l’accent sur la qualité des relations interpersonnelles et communautaires. Une politique anarchiste se concentre donc par conséquent sur le bien-être des personnes, plutôt que sur leurs biens ou leur façon d’être.

 

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L’anarchie de Madame Ravary

Parfois, le titre d’un billet nous interpelle. Ce fut le cas du billet intitulé « L’anarchie sexuelle » et publié par Lise Ravary. Malheureusement, ce billet est d’une pauvreté intellectuelle navrante. Je n’ai pas hélas le privilège de distribution à des centaines de milliers de lecteurs, mais rectifions au moins certains éléments.

Madame Ravary se questionne sur  » la crise des valeurs créée par le plus important chambardement social du 20e siècle. » Parlons-en.

Dans le billet en question, les fugues hautement médiatisées de trois jeunes filles dernièrement sont dues à – roulement de tambour – la pilule anticonceptionnelle.

L’auteure ne comprend pas comment (et je cite) « une jeune fille, intelligente, belle, qui a grandi dans une famille traditionnelle, à l’aise, qui fréquentait un collège privé exclusif, fugue à répétition. » Manifestement, il doit y avoir quelque chose dans notre tissu social qui cause ça. Un lien causal entre tout ces évènements. Manifestement, ce doit être la libération des moeurs. Le fait que le point commun entre ces fugues soit plutôt le Centre Jeunesse de Laval est complètement escamoté. Parce qu’évidemment, c’est inconcevable qu’une jeune fille qui fréquente un collège privé et vient d’une famille traditionnelle puisse vivre le genre d’enjeu qui la mène au centre jeunesse. Voyons-donc.

Au contraire, on fait une charge à fond de train contre la libéralisation des moeurs et l’abandon des valeurs traditionnelles et conservatrices. Parce que, voyez-vous (et je cite encore), « avant la révolution sexuelle, l’homme demandait, la femme disposait. Les gars s’attendaient à se faire revirer comme une crêpe au terme d’une tentative de conquête sexuelle. »

Madame Ravary: dans quelle espèce de réalité alternative vivez-vous??? Les situations de privilège mènent inévitablement aux abus: abus de pouvoir, violence physique et sexuelle.  En témoignent les viols de guerre commis en Algérie dans les années 50, les centaines, voire milliers de viols commis sur des femmes en pays alliés (France et Angleterre) par les GI américains lors de la deuxième guerre mondiale, l’abus constant d’enfants dans les pensionnats religieux du Québec à la même époque. En témoigne une culture du viol encore fortement ancrée dans nos moeurs, et toujours aujourd’hui des juges banalisent l’agression sexuelle en raison de l’habillement ou du supposé « plaisir » qu’aurait eu la victime, toujours des imbéciles de première classe tel Roosh V défendent la pratique du « viol légal » [sic].

Madame Ravary adhère à la thèse selon laquelle  » la libération des mœurs sexuelles mènerait tout droit à l’anarchie sexuelle, à une augmentation des divorces, à de la négligence parentale, à une augmentation des problèmes de santé mentale. »

Ceci révèle: 1) une méconnaissance de la signification du terme anarchie, utilisé ici péjorativement comme « chaos, désordre » plutôt que proprement comme absence de hiérarchie. 2) une méconnaissance de plus de deux siècles de luttes féministes, avec notamment l’enjeu du contrôle des naissances, du contrôle du corps, qui remonte facilement jusqu’au XIXème siècle (et encore plus loin, en réalité, mais restons-en à l’histoire moderne) 3) un ramassis de préjugés sur la négligence parentale et la santé mentale, et j’en passe.

Et Madame Ravary conclut enfin sur ces deux perles: « lorsque la culture populaire glorifie une sexualité-divertissement déconnectée des sentiments, doit-on s’étonner quand cela arrive » et surtout « La nouveauté de notre époque «pas mêlée à peu près», c’est qu’ils [les pimps] arrivent à faire croire à leurs proies qu’elles sont consentantes. » Misère!

Mais c’est ainsi que toutes les cultures de domination fonctionne! Le motus operandi habituel – acheter quelques babioles, des vêtements, de la drogue, peu importe, puis réclamer un remboursement – est le propre de la domination économique et de l’esclavage depuis l’antiquité. Et dans tous les cas, ces relations sont librement consenties: la personne contractant la dette n’arrive pas à payer et se résout à se vendre en esclavage, bien que les dés soient pipés dès le départ. David Graeber en fait la démonstration éloquente dans « Debt: the first 5000 years. » Chaque fois que l’argent est vu comme tangible, réel, séparé des relations humaines, il est utilisé comme outil menant inévitablement à l’esclavage économique.

Depuis un peu plus de cinq siècles, la culture populaire – en fait, la culture occidentale, capitaliste – promeut surtout une vision de l’argent comme valeur intrinsèque, réelle, tangible et déconnectée de l’humain. Comme une fin en soi. Par conséquent, le processus de déshumanisation est encore plus fortement ancré dans les moeurs. Le petit pimp de basse cour ne reproduit pas un comportement novateur suite à l’introduction de la pilule.

Il suit exactement le même comportement que tous les capitalistes suivent depuis des lustres.

Mais ça, toutes les Madames Ravary du monde ne peuvent l’accepter. Parce que pour ça, la droite libertaire doit accepter une vision selon laquelle la liberté recherché, en réalité, est celle d’imposer leur domination aux autres sans qu’une intervention gouvernementale protège ces derniers. Elle doit accepter que la base du système capitaliste réside dans l’endettement perpétuel et inextricable des masses, maintenu en place par cette même domination.

Admettre cela tue le capitalisme. Alors on se rabat plutôt sur un passé imaginaire, sur des valeurs qui n’ont jamais existé, sur des mythes d’un âge d’or révolu. Et on prend les symboles que l’on peut pour le défendre, quitte à faire fi (et c’est là l’odieux) de la souffrance bien réelle que vivent ces victimes.

Par pitié, si vous n’êtes pas capable d’utiliser votre tribune pour faire part d’une réflexion ancrée dans la recherche historique, sociale et anthropologique, dans les faits, plutôt que dans les préjugés, cessez d’écrire.

 

 

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