La honte, la culpabilité, et comment s’en débarrasser

C’est un titre ambitieux et, histoire de gérer les attentes de mon lectorat, je ne promets pas ici une recette à toute épreuve contre ces deux émotions négatives. J’espère par contre sincèrement pouvoir proposer des pistes d’exploration et de solution qui aideront à surmonter ces sentiments.

Plusieurs personnes ont été élevées et socialisées de façon plus ou moins marquée par la honte et la culpabilité. C’est une façon facile pour les adultes de prévenir des comportements « indésirables » chez les enfants. Pour clarifier, la honte réfère au sentiment négatif face à la perception de soi (« tu es dégoûtant de faire ça! ») alors que la culpabilité fait appel aux remords suite aux effets d’une action sur quelqu’un d’autre (« Ça me cause du chagrin quand tu agis ainsi »).  La distinction est importante car ces deux émotions ne seront pas surmontées de la même façon par la suite.

Le comportement sexuel des femmes notamment est visé très tôt par le slut-shaming, qui fait appel autant à la honte qu’à la culpabilité. Les codes vestimentaires, qui visent de façon plus disproportionnée les élèves s’identifiant comme femmes, emmènent à la fois la honte (« cache ton corps et surtout, camoufle tout élément sensuel ou intime ») et la culpabilité (« ton corps nuit à la performance des élèves de sexe masculin »). Avant, on recommendait aux jeunes femmes de « se réserver pour le mariage », maintenant, on dit plutôt « d’attendre le bon », mais dans les deux cas, on vise à culpabiliser le fait de donner « gratuitement » quelque chose qui devrait être réservé à une personne spéciale.

Ceci dit, la honte et la culpabilité sont également des outils d’oppression contre tout ce qui sort du cadre cis-mono-hétéronormatif standard. Un jeune gai reste dans le placard pour ne pas faire rire de soi, ou parfois pour ne pas attirer l’opprobe sur sa famille. Une personne bisexuelle se fait dire qu’elle doit se brancher, que ce n’est pas normal de n’avoir qu’une orientation. Un enfant manifeste des comportements qui ne sont pas adaptés au genre assigné à la naissance? C’est « juste une phase » – on ne mentionne surtout pas la possibilité de trans-identité. Vous êtes en couple et polyamoureux? Ne le dites pas – « pensez aux enfants! ».

Si vous lisez ceci, il y a de bonnes chances que vous ayez déjà vécu une de ces formes d’oppression, ou que vous en ayez été témoin. La question est: comment surmonte-t-on le sentiment de honte ou de culpabilité qui a été internalisé par une répétition soutenue sur plusieurs années de cette oppression? La bonne nouvelle est que ça se peut. La mauvaise, que sa prend du temps.

La première chose à faire est d’identifier la réaction et ses déclencheurs. Dans le cas de la honte, ceci implique de questionner la vision que l’on a de soi-même. Souvent, nos attentes et nos comportements sont reproduits de ce qui a été vu dans l’entourage. Ils ne proviennent pas nécessairement de nous. L’idée d’être étranglé durant une relation sexuelle vous excite, mais vous n’osez pas la mettre en oeuvre car vous vous sentez coupable? Il faut identifier le conditionnement qui a installé cette culpabilité, nommer et reconnaître le désir (j’aime ça, j’ai envie de ça, et ça provient de moi, ça ne m’est pas imposé).

Dans le cas de la culpabilité, il faut plutôt remettre en question l’impact sur autrui. Ce qui est ontologique (propre à l’être, à votre être dans ce cas) ne concerne pas les autres. Votre orientation sexuelle ou vos préférences relationelles (du moment qu’elles impliquent des adultes consentant) n’ont pas à être questionnées par qui que ce soit et personne n’a à y consentir à moins d’être impliqué dans cette relation précise avec vous (par exemple, la relation exclusive que vous avez avec un conjoint ne concerne que vous et ce conjoint). Les modèles sociaux (surtout en ce qui concerne les relations amoureuses) sont des constructions et non pas des universels, chaque culture pouvant avoir des modèles uniques et tout aussi valide. Si on vous culpabilise, il faut souligner l’absurdité de la chose.

Ce sont deux approches purement cognitives qui forment une première étape dans l’affranchissement.

Ça ne sera pas suffisant, ceci dit. L’émotion que vous combattez est enfouie profondément, au-delà de la raison. Le temps et l’énergie que l’on met à les combattre rationnellement a paradoxalement un effet pervers, soit d’augmenter l’attention que vous apportez à cette émotion négative, de la nourrir en quelque sorte. De surcroît, vous risquer de vous culpabiliser de ne pas réussir à vous extraire de cette émotion.

À cette étape, au lieu de tenter d’éradiquer les émotions négatives, il faut plutôt leur substituer des modèles positifs. J’utiliserai le même schéma dans les exemples ci-dessous. On identifie un comportement et la source de la honte ou de la culpabilité (tout en apportant une objection rationelle) puis on contrecarre avec un appel à la réalisation, à l’accomplissement de soi.

  • Vous n’agissez pas en salope (un terme inventé pour contrôler l’appareil reproducteur féminin, et au demeurant ça ne concerne que vous), vous réclamez et affirmez plutôt votre autonomie.
  • Vous ne briserez pas le nid familial de vos enfants (de multiples modèles familiaux ont fait leur preuve et le couple monogame n’est qu’un parmi tant d’autres), vous leur permettrez plutôt de grandir dans un milieu  exempt de honte et entouré de l’amour de vos partenaires.
  • Vos fétiches BDSM ne sont pas dénigrant (la société n’a pas son mot à dire sur ce qui se passe dans votre chambre à coucher), ils vous permettent d’explorer en toute sécurité des sensations inédites.
  • Une aventure d’un soir n’est pas un gaspillage d’énergie (cette énergie aurait tout aussi bien été gaspillée à ne rien faire et vous seul-e pouvez en juger), mais une opportunité unique de découvrir une nouvelle personne par la sensualité et d’ajouter ce souvenir aux moments que vous chérirez.

Je suis passé à travers cet exact cheminement lorsque j’ai délaissé l’exclusivité en faveur de la non-monogamie éthique. « Ce n’est seulement qu’une phase le temps de comprendre ce qui ne marche pas avec moi » (je suis transparent et sincère avec toutes mes partenaires et nos sentiments sont réels) a été remplacé par « j’atteins l’équilibre entre mes différents besoins et désirs dans le respect de toutes ». La notion d’équilibre individuel est le modèle positif qui a supplanté la norme sociale, imposée de l’extérieur, de la monogamie.

Le sentiment de faire quelque chose de bien, de vertueux, en accord avec nos valeurs, est ce qui vient lentement contrecarrer la honte. Le tout prend un certain temps, mais permet ultimement à vos désirs et votre conscience de s’arrimer.

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Amour à plusieurs, sexe à plusieurs

La délicate question des relations amoureuses et sexuelles à plusieur-e-s participant-e-s peut créer des remous ou des inconforts dans les communautés non-monogames. Cette pratique existe à l’intersection de deux communautés qui ont parfois des préjugés ou des réactions très virulentes contre celle-ci, pour des raisons tout à fait distinctes. Pourtant, il s’agit d’un univers riche en émotion, en sens et en expérience qui devrait être abordé plus souvent dans le discours public.

D’un côté, la communauté « swinger », échangiste ou libertine explore depuis longtemps les configurations sexuelles à plusieurs (i.e. plus que deux) partenaires. Il y a souvent (pas tout le temps, par contre) un gros biais contre la dimension affective dans ces échanges. Le couple domine, et le privilège de couple ne tolère pas vraiment bien que des sentiments amoureux durables naissent entre les participants qui ne sont pas un couple. De plus, si la bisexualité féminine y est encouragée, on ne peut pas en dire autant de la bisexualité masculine, peu présente voire carrément proscrite.

De l’autre côté, la communauté polyamoureuse tente vigoureusement de se défaire de l’étiquette comme de quoi le polyamour, ce n’est « qu’une question de sexe, au fond » et veut remettre de l’avant le lien privilégié, affectif, amoureux entre les partenaires multiples. De part et d’autres on se retrouve donc à hiérarchiser l’importance des liens dans le discours: le sexuel prédominant dans les relations hors-couple pour les swinger, et l’affectif prédominant sur le sexuel chez les polyamoureux.

Ces positions sont évidemment des extrêmes. Pourtant, ces univers se croisent régulièrement et on retrouve un bon nombre de personnes qui aiment et apprécient les rencontres qui sont à la fois sexuelles et affectives entre plusieurs partenaires simultanément. L’absence de discours à ce sujet est triste, car elle laisse sans identification plusieurs expériences et émotions qui ne se vivent que dans ce genre de relation, et qui gagneraient à être connues davantage.

D’abord, nous sommes habitué-e-s à la charge émotionnelle qui accompagne la sexualité à deux. Ce qu’on n’explique pas, c’est que cette même charge émotionnelle est présente, mais de façon différente et unique, avec chaque configuration de partenaire. C’est-à-dire qu’il y a une intensité d’émotion différentes à trois partenaires qu’à deux, et différente encore à 4 partenaires, et ainsi de suite, suivant le nombre de participants et la capacité qu’on ses derniers de créer des liens entre eux. Plusieurs personnes, par défaut, ont appris à associer cette charge émotionnelle à l’amour porté à leur partenaire. Pour ces personnes, il peut être très déstabilisant de soudainement vivre une intensité de sentiment similaire, mais envers des amis ou même de purs inconnus. À la limite ceci peut interrompre l’expérience, et j’ai déjà vu des participants bouleversés fondre en larmes sous le choc. Tout ça, parce qu’on n’a pas la capacité, les termes, ni l’espace discursif pour informer les gens sur la réalité du sexe en groupe.

D’autre part, on sous-estime justement la nécessité de créer un espace émotionnel partagé afin de faciliter la création de ces liens. Lors d’une rencontre à deux, cet espace existe déjà, souvent dans les rites de séduction qui précèdent la sexualité. Parfois, à trois ou à quatre, si l’expérience est spontanée, l’espace est également présent. S’il y a plus de partenaires, on doit s’assurer que tout le monde rejoint une certaine zone de confort avant de progresser dans des pratiques ouvertement sexuelles. Certains événements privés ont des petits ateliers au préalables qui permettent justement aux participants de se familiariser les uns avec les autres, d’apprivoiser le toucher ou la simple présence de corps inconnus, et de pratiquer le consentement. À l’opposé, certains clubs échangistes n’offrent pas cette possibilité, et une critique qu’on leur porte souvent est que ce n’est pas tant de l’échangisme qu’une multitude de petites unités de 2, 3 ou 4 personnes qui font leurs activités séparément, mais tous dans un même endroit.

Ces émotions vécues sur le coup sont toutes uniques, ne se vivent que dans ce contexte précis, mais n’ont pas de nom, donc peuvent difficilement être partagées aux autres, être revendiquées, être expliquées. Les émotions vécues après-coup sont également tout aussi fortes et uniques. Lors d’une première expérience à neuf participant-e-s, tous et toutes sans exception le lendemain partageaient le même état de stupéfaction heureuse, les sens un peu engourdi et le cerveau dans la brûme, tout le monde communiquant frénétiquement sa joie avec les autres, chacun chez soi pour retrouver aussi ses repères. J’ai revécu cet état à quelques reprises sans pouvoir le nommer. Tout aussi fréquent est le spleen qui suit l’activité, souvent 24h ou 48h, comme si cette charge émotionnelle, cette gestion de tant de lien se faisait soudain sentir et qu’un immense besoin de repos nous envahissait alors.

Évacuer ces réalités des discours dominants, que ce soit chez les swingers ou chez les polyamoureux, a comme effet pervers de laisser les participants sans préparation face à la réalité des expériences qui les attendent. Ce faisant, on nie une partie de l’expérience, parfois même une partie de l’identité, et on ne se donne pas les outils nécessaires pour savourer toute la richesse de la palette émotionnelle offerte par la non-monogamie éthique et consensuelle.

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Les difficultés du contact émotionnel

Inévitablement qui dit polyamour ou anarchie relationnelle implique le contact émotionnel entre deux personnes. Mais alors que dans la relation de type traditionnel on s’habitue lentement à la façon de s’exprimer d’une seule personne, dans ces autres contextes nous devons parfois nous adapter rapidement (voire simultanément!) à différentes façons de ressentir et de communiquer ses émotions.

Le contact émotionnel passe par différentes étapes, chacune d’entre elle formant un continuum où les gens peuvent se situer. Comprendre donc comment s’y retrouvent vos partenaires vous aidera à créer avec eux des liens plus intimes.

Tout d’abord vient la capacité de ressentir l’émotion et d’en être conscient. La majorité des gens ressentent une gamme assez variée d’émotions primaires (joie, tristesse, peur, colère) et secondaire (honte, nostalgie, affection, etc.). Chez certaines personnes par contre, l’émotion peut être réprimée ou refoulée inconsciemment, ou encore absente (parfois, seules les émotions primaires sont présentes, parfois aucune), qu’il s’agisse de mécanismes de défense psychologiques ou encore de particularités neurologiques (par exemple, chez certaines personnes neuroatypiques).

L’émotion se distingue aussi de l’humeur, qui est un état d’âme moins spécifique, mais dont les mouvements varient aussi de personne en personne, allant de l’athymie (soit l’absence d’état affectif) jusqu’à des mouvements d’humeur hors de contrôle, et une bonne majorité des gens se situent entre les deux.

Il faut de surcroît être capable d’exprimer cette émotion. On estime qu’environ 10% des gens sont touchés à différents niveaux par l’alexithymie, qui est la capacité de reconnaître et de communiquer ses émotions.

La capacité de percevoir l’émotion chez les autres est un élément important de la communication. Certaines personnes neuroatypiques n’ont pas cette capacité ou la développent à un niveau moindre. Cette perception peut être cognitive, du registre de l’empathie – vous reconnaissez, analysez, et décodez intellectuellement l’humeur de l’autre – ainsi qu’affective, du registre de la sympathie – vous ressentez vous même l’émotion que votre partenaire ressent. (Notez bien que les termes empathie et sympathie sont utilisés différemment selon les auteurs, alors si ces expressions vous déplaisent, sentez-vous libre de substituer celles de votre choix). Chaque personne diffère quant à sa façon de réagir aux émotions d’autrui, ce qui n’est pas en soit une mauvaise chose. Ainsi, un psychopathe primaire pourrait analyser vos émotions pour vous manipuler, mais vous appréciez qu’un chirurgien garde aussi la tête froide en vous opérant. L’empathie et la sympathie sont donc différents de la moralité.

La communication émotionnelle, autrement dit, repose sur une boucle fragile impliquant la reconnaissance de son émotion, l’expression de celle-ci, la reconnaissance de cette expression par l’autre, puis une réaction ou une validation appropriée, et ainsi de suite. Pour des raisons personnelles, psychologiques, neurologiques ou autres, la capacité de vos partenaires peut varier selon chacune de ses étapes. Il devient donc important, surtout si votre polycule est assez diversifié, de reconnaître vos propres patterns, d’en informer vos partenaires et, idéalement, que ceux-ci fassent de même avec vous.

Par exemple,  je n’ai pas de difficulté à comprendre les émotions que je ressens, à les mettre en mots et à les communiquer au besoin. De façon générale je réussis assez bien à décoder les émotions chez les autres – je sais s’ils expriment de la tristesse, de la colère, de la joie, un mélange de diverses émotions, etc. – et j’ajuste mes réactions en conséquence, sur une base presque analytique. Par contre, je ne ressens jamais l’émotion d’autrui. Ceci ne veut pas dire que je ne ressens pas d’émotion envers eux ou pour eux. S’ils connaissent du succès, je me réjouis pour eux. S’ils sont tristes, je tente de voir de quelle façon je peux être présent pour eux. Mais je ne ressens pas moi-même cette tristesse.

Enfin, résistez à la tentation de diagnostiquer vos partenaires (et les gens en général) si leurs schémas émotionnels ne correspondent pas à ce que vous considérer être la norme. D’une part, les diagnostics peuvent être très complexes et requiert une maîtrise avancée de même qu’un détachement clinique que vous n’aurez pas. D’autre part, une erreur de votre part pourrait causer plus de mal que de bien à vos partenaires. Faites preuve de compassion et, au mieux, encouragez l’autre à consulter un professionnel si la situation lui cause une réelle détresse.

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De la non-importance de l’Amour (avec un grand A)

Si jamais vous recherchez un exercice susceptible de créer le plus de malaise possible lors d’une soirée entre amis, demandez tout simplement à la compagnie assemblée de définir l’amour puis, devant les inévitables vagues descriptions qui en sortiront, relancez-les, posez des questions précises, tentez de clarifier le concept. Vous n’en sortirez au final qu’avec une seule certitude: l’amour, tout le monde sait ce que c’est, mais personne ne peut s’entendre sur ce que c’est non plus. Selon l’expression consacrée de Potter Stewart: « I know it when I see it! » Il y a des objets qu’on ne peut décrire de façon intelligible mais que l’on reconnait par l’expérience.

L’amour pourtant semble pourtant porteur de nuances bien différentes selon qu’il soit décrit par Ovide, par Chrétien de Troyes, par Murasaki Shikibu ou par Omar Khayyam. L’amour semble changer selon les époques et les cultures. C’est que le sentiment touche surtout aux relations interpersonnelles (si on fait exception de la dimension de l’amour-propre) et est par conséquent nécessairement politique. La description de l’amour est aussi un geste politique, un geste de pouvoir visant à renforcer des normes ou des pratiques qui bénéficient aux élites en place. Pensez simplement à l’amour de la « Patrie », à l’amour divin ou à l’amour de dieu par exemple.

L’amour, et particulièrement l’Amour avec un grand A, est une construction sociale. Au-delà de la première sensation physiologique, tout l’aspect émotionnel et comportemental nous est inculqué culturellement. Reproduire ce comportement sans se questionner sur ses origines revient donc à reproduire des comportements favorisant l’élite en place. On voit à quel point l’ouverture de l’amour aux relations entre personnes de même sexe a déplu aux défenseurs de la « famille traditionnelle » – demandez-vous qui bénéficie du statu quo et vous verrez comment ces relations de pouvoir ont dû s’adapter à cette nouvelle réalité.

Mais pourtant, l’amour existe. Du moins, beaucoup d’entre nous le ressentent. Seulement, l’amour demeure un sentiment très personnel, presque indéfinissable. S’approprier l’amour, c’est déterminer dans quelle circonstance nous sommes prêts à l’affirmer face aux autres. Par exemple, l’amour pour moi est un état ressenti de plénitude dans ma relation avec une ou plusieurs personnes. Mon « je t’aime » exprime verbalement cet état. Mais mon « je t’aime » n’attends pas nécessairement la réciproque. Il sous-entend aussi que l’autre est libre de définir l’amour à sa façon et de l’exprimer si et comme il ou elle l’entend. Vouloir autrement serait tenter de reproduire, dans une relation intime, les mêmes relations de pouvoir que la société utilise via l’aspect codifié du langage et des normes culturelles.

De là découle l’importance de défier ces normes, de présenter publiquement d’autres visions et manifestations amoureuses. Il n’y a pas d’Amour avec un grand A. Il n’y a pas de liberté sans choix. Il y a l’amour, avec plusieurs a, pleins de petits a qui sont néanmoins authentiques et vrais.

 

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Compassion et polyamour

La vertu de la compassion n’est plus vraiment au goût du jour en Occident. Notre société individualiste et matérialiste fait plutôt de la domination sa vertu principale (domination de soi, des autres, de la nature). À cet effet d’ailleurs l’auteur anarchiste Murray Bookchin écrivait que « la domination de la nature par l’homme n’est rien d’autre que le reflet de la très réelle domination de l’homme par l’homme. »

Or, si la domination permet d’imposer un flux d’idées et de croyances, de soi vers les autres, dans un geste très volontaire, la compassion est ce qui permet, tout aussi volontairement, de percevoir plutôt l’émotion, le contexte vécu par autrui et agir en conséquence. La compassion se distingue donc de la pitié (aujourd’hui vue comme condescendante) et de l’empathie par la notion d’action.

Si la plupart des traditions religieuses en ont fait un pilier de leurs dogmes,  il y a par contre plus que lieu de récupérer le concept de façon tout à fait laïque et contemporaine. Pour un humaniste, la compassion est la vertu qui permet de s’opposer à la domination, par exemple dans les expériences de Milgram (que je ne résumerai pas, mais dont je vous invite à prendre connaissance en suivant ce lien, c’est fascinant!).

Pour un polyamoureux, la compassion est la vertu qui doit être au coeur de la gestion éthique des sentiments, émotions et attentes de son polycule, de ses partenaires ou de son entourage. Il faut d’abord reconnaître pour cela qu’il arrive que les autres souffrent (pas dans le sens de se tordre littéralement de douleur – appelez alors un médecin) et accepter que cette souffrance est légitime, concrète, et qu’elle cause un tort réel.

Je prends donc le mot souffrance dans un sens très large ici, mais en voici quelques exemples:

  1. Rupture d’une relation entre deux partenaires (ou plusieurs) ou tout simplement absence temporaire d’un partenaire.
  2. Ajout d’un nouveau partenaire au sein d’un polycule qui peut faire sentir aux autres qu’ils ont moins de place/temps/importance.
  3. Relation déséquilibrée entre deux partenaires, au point où l’un des deux partenaires souffre de l’absence de reconnaissance de l’autre.

Vous pourriez faire preuve d’empathie dans les trois cas, sans ne porter aucune action (i.e. « Je comprends qu’il ou elle souffre, je le ressens, mais c’est son problème, qu’il ou elle s’arrange avec ses émotions parce que je ne peux rien faire »). La compassion va un peu plus loin: elle se dirige activement vers l’autre à la recherche de solutions, de moyens de guérison.

Vous pouvez aider l’autre à cheminer à travers son deuil, en l’accompagnant, lui changeant les idées, en parlant parfois tout simplement. Le simple fait de se confier fait  énormément de bien. Vous pouvez aussi accepter son témoignage (surtout si vous êtes impliqué dans la situation, par exemple dans l’exemple #2) et chercher ensemble des pistes permettant de rassurer, réconforter, plutôt que d’attendre bêtement que l’autre s’ajuste. Prendre conscience et aider à la prise de conscience permettent de corriger bien des torts, ou à tout le moins d’indiquer clairement les actions à poser afin de retrouver une certaine quiétude.

Ce n’est pas un processus qui a besoin d’être lourd. Ainsi, une polyamoureuse avec qui je tisse depuis peu des liens d’amitié et de confiance est venue me parler dernièrement pour discuter d’une situation avec ses partenaires où elle se sentait mal-à-l’aise, tiraillée entre deux valeurs contradictoires. Il n’a pourtant fallu qu’un bref échange, ou la situation a été exposée sous différents angles, pour trouver celui qui lui apporterait la plus grande paix d’esprit. J’aurais pu n’être qu’empathique et reconnaître que sa situation était triste, sans m’impliquer. Mais en m’engageant activement dans la discussion, en tâchant de reconnaître où se situait sa souffrance et en mettant celle-ci en lumière, il a été possible de faire beaucoup plus de bien qu’en restant détaché.

Il est déjà crucial d’être attentif aux émotions de son partenaire dans une relation monogame. Dans un contexte polyamoureux ou d’anarchie relationnelle l’importance est magnifiée de façon exponentielle. J’avancerais même qu’à la limite, ne pas ou ne plus être capable de le faire indique sans doute que vous avez atteint un niveau de « saturation » qui met vos relations en péril. Si, face à l’expression d’une souffrance émotionnelle, votre première réaction est « je n’ai pas le temps de m’occuper de ça », il faut vous questionner sur votre degré d’investissement dans cette relation.

Par contre, il faut aussi reconnaître que la compassion a des limites claires, qui sont de deux types:

  1. Le consentement: il est correct d’aller vers l’autre, d’offrir son aide, et encore plus si l’autre nous le demande, mais il inacceptable d’imposer son aide à une personne qui nous demande de la laisser seule. Le faire serait de retomber dans une relation de domination.
  2. Le respect de soi: la première personne envers qui vous devez faire preuve de compassion, c’est vous-même. Si vous êtes victimes de chantage, de manipulation affective, retirez-vous. Si aider les autres vous cause en retour une souffrance trop élevée, vous devez peut-être solliciter l’aide de quelqu’un qui a la formation appropriée (thérapeute, psychologue, sexologue, etc.) pour se pencher sur la situation.

Autrement dit, la compassion doit aller de pair avec l’humilité, avec une certaine maturité effective qui vous fait reconnaître que oui, d’une part, il est dans le plus grand intérêt commun d’essayer d’alléger la souffrance d’autrui, mais que d’autre part vous ne devez pas jouer au sauveur, au messie (ramenons les métaphores religieuses) et reconnaître que certaines situations nécessitent une relation d’aide professionnelle.

En-dehors de ces situations par contre, la compassion solidifiera grandement vos liens, augmentera la confiance ainsi que le niveau d’intimité dans votre ou vos relations, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour tous les gens concernés.

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Le « sérieux » et la peur de l’attachement (suite de la semaine dernière)

« Moi je recherche une relation sérieuse mais ce n’est pas réciproque! »

« J’ai peur qu’il/elle commence à s’attacher… »

Je vais partir de ces éléments pour approfondir un peu – exemples à l’appui –  mon exposition de la nature des liens (relationnels ou transactionnels) rédigée la semaine passée. Résumons: je synthétisais les types de liens comme étant de deux catégories:

  1. Les liens « transactionnels »: une rencontre est un lieu d’échange, et l’échange est équivalent pour toutes les parties concernées. La rencontre peut se reproduire dans le futur, mais ce n’est pas obligatoire ni anticipé.
    1. Exemples: un « one-night stand », ou une relation temporaire entre amants, le temps que l’un d’entre eux se trouve un(e) partenaire régulier et exclusif, un(e) ami(e) avec qui on va voir des films au cinéma en échangeant régulièrement la facture.
  2. Les liens « relationnels »: la rencontre fait partie d’un continuum. Il y a des attentes réciproques que cette rencontre, et les échanges entre les parties, seront renouvelés dans le futur et donc, que les échanges n’ont pas à être strictement équivalents puisque toutes les personnes concernées reconnaissent qu’à long terme le lien leur est tou(te)s mutuellement bénéfique.
    1. Exemples: une amitié qui est ancrée dans le temps, la co-parentalité, une relation (à deux ou plusieurs) à long terme, une communauté isolée où tous les membres s’entraident.

Le point essentiel de mon billet passé se trouvait qu’il était important de clarifier les attentes, car souvent les gens vont à la rencontre d’autrui en prenant pour acquis que le type de lien recherché était le même. Évidemment, cela peut mener à une déception si ce n’est pas le cas, voire un sentiment de rejet, ou d’avoir été trahi/exploité.

Par contre, la nuance qui n’était pas si clairement exprimée est que ces deux types de liens doivent surtout être vus comme les extrêmes d’un spectre, et que le lien (tout comme l’orientation, le genre, etc.) est aussi fluide et peut changer dans le temps.

Ainsi, deux amants peuvent se voir sur une base régulière, satisfaire leurs besoins mutuels, sachant qu’éventuellement l’un et/ou l’autre se consacrera en exclusivité à un(e) partenaire. Mais il est aussi probable qu’une intimité et une complicité se développent au fil de leurs rencontres et que la nature de leur lien, de purement transactionnelle, passe au relationnel, évoluant même par exemple vers une amitié chaste si les deux forment de leur côté un couple exclusif par la suite. Ou, alternativement, ils pourraient chacun(e) trouver un(e) partenaire principal(e) et transformer leur lien en relation secondaire (si leurs relations sont hiérarchisées). Les possibilités sont infinies.

Alternativement, à l’intérieur d’une relation entre deux personnes, un déséquilibre pourrait s’inscrire si un(e) des partenaires prend l’autre pour acquis(e). L’autre pourrait alors insister sur la nature réciproque de leurs échanges pendant un certain temps, afin de rétablir l’équilibre et corriger certains comportements vus comme inadéquats. De relationnel, le lien passerait alors au transactionnel.

Revenons donc aux deux phrases qui débutent ce billet. « J’ai peur qu’il/elle commence à s’attacher » prend tout son sens ici: j’ai peur que les attentes face à la nature de notre lien soient en train de changer. Évidemment, l’attachement peut quand même se gérer dans un contexte de lien transactionnel, dans la mesure où les personnes concernées communiquent clairement (et explicitement) leurs attentes et la portée de leur investissement dans la rencontre. L’attachement en soi n’est jamais un problème, ni le désir de réciprocité de cet attachement, mais bien l’attente que, suite à cet attachement, le lien évolue vers le relationnel, qu’il devienne permanent et pérenne (il est possible de s’attacher en sachant que la rencontre peut être sans lendemain, mais il faut au moins le communiquer).

Ensuite, la relation « sérieuse ». Encore une fois, c’est une question de confusion dans les termes employés. Un lien peut être sérieux qu’il soit transactionnel ou relationnel, qu’il soit exclusif ou ouvert, amical, amoureux, sexuel ou asexuel, etc, etc. Une rencontre épisodique avec un(e) inconnu(e) peut emmener à votre conscience des opportunités, des connaissances, des découvertes autrement inimaginables et bouleverser complètement votre univers personnel (ce qui me semble assez « sérieux »). Et au fait, stricto sensu, une relation « sérieuse » ça ne veut rien dire du tout.  Ce qui est exprimé, c’est qu’il y avait une attente de lien relationnel (sans doute un type très précis de lien, du genre couple fermé) qui n’a pas été comblée. Encore une fois, communiquer explicitement les attentes fait partie de la solution.

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Relations, transactions, émotions

Qu’est-ce qu’une relation? C’est une question en apparence anodine, mais qui a une portée très importante pour les polyamoureux, libertins, anarchistes relationnels et même pour les plus traditionnels monogames.

Prenons par exemple la « relation sexuelle ». Celle-ci est définie de différentes façons (d’un point de vue légal, amoureux, voir commercial) et une certaine littérature tend à présenter un « idéal » qui culmine généralement vers l’orgasme simultané des deux partenaires.

Le problème avec ce modèle, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une relation que d’une transaction sexuelle. Les deux partenaires se voient dans l’obligation mutuelle de se livrer un service équivalent (l’orgasme). C’est un échange à valeur strictement égale. Par la suite, les comptes étant équilibrés en quelque sorte, il n’est plus nécessaire de maintenir d’interaction entre les parties.Et si un des partenaires n’obtient pas satisfaction, la relation (lire, la transaction) est insatisfaisante. La valeur du service obtenu n’équivaut pas celle du service rendu.

Ainsi, une transaction est une opération limitée dans le temps, ou deux (ou plusieurs) parties échangent des biens ou service d’une valeur équivalente. Une relation est en réalité un ensemble  d’obligations ou d’attentions mutuelles qui se déploie dans le temps et dont la valeur ne peut jamais être parfaitement retournée. Une réelle relation sexuelle sera ainsi fait d’une série de dons réciproques de gestes, de plaisirs, d’attentions qui, même s’ils pouvaient être parfaitement évaluées, ne sont jamais strictement égaux à ceux reçus. L’atteinte de l’égalité met de facto fin à la relation. Celle-ci se poursuit tant que les deux partenaires (ou plusieurs) ont au contraire envie de continuer à donner et à recevoir, ce qui permet l’émergence de pratiques qui visent justement à  éviter l’orgasme, la fin de la relation.

Il en va de même pour les relations amicales, amoureuses, bref, tout type de relation. Si je vais au cinéma avec un ami, et que nous payons chacun nos billets, nous n’avons plus aucune obligation/attente de nous voir par la suite. Si l’un des deux paie pour l’autre, il y a une obligation circonscrite à un montant bien précis, et facilement acquittable. Mais si cette obligation est remboursée avec un service de valeur, disons, légèrement supérieure (je te paie le souper ensuite), l’obligation est renversée. Avec le temps, cette série d’inégalités dans les valeurs données et reçues perd complètement son importance puisqu’elle a permis d’établir un cadre relationnel, une série d’échanges mutuels et réciproques qui s’inscrit non pas dans l’instantané, mais dans la durée.

C’est encore plus vrai si les services échangés n’ont pas de valeur quantifiable. Une amie qui vit une peine d’amour peut venir se confier à moi. Je peux avoir besoin de discuter pour clarifier mes pensées sur un enjeu donné. Un baiser, une caresse tendrement consentie peut réconforter.

Il est important de séparer ces deux concepts, non pas pour en valoriser un au détriment de l’autre. Au contraire, les deux ont leur utilité, leur pratique, et peuvent répondre à des besoins ou des désirs bien différents. Il est important de les séparer pour s’assurer,  lors de nos interactions avec autrui, qu’il y a entente sur le mode utilisé: sommes-nous en mode relationnel ou transactionnel? L’exemple classique est celui ou un des partenaires à des attentes à long-terme via une activité alors que l’autre n’en a pas: un one-night vs une relation plus élaborée.

La reconnaissance du besoin et des attentes de l’autre est donc un nécessaire signe de respect et la première étape pour s’assurer que les émotions des partenaires ne seront pas négligées.

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Ce que l’on ressent

Prenez le sentiment de tendresse que vous éprouvez parfois envers l’autre. Prenez la passion féroce, le désir imprévu qui s’empare de votre être entier, prenez l’amour distillé à son essence, la sauvagerie chaotique des sens, l’apaisement, l’épuisement.

Prenez la joie que vous avez lorsque l’autre réussit, le bonheur que vous vivez par empathie, la compersion, la compassion, la discussion à bâtons rompus, prenez les moments de tristesse que vous partagez, le soutien qui s’échange, qui s’offre et se reçoit, l’amitié, l’accompagnement.

Prenez la colère et la douleur, la jalousie parfois, le sentiment de perte, le deuil, le vide, l’incertitude aussi. Ne les laissez pas de côtés, ils sont tout aussi essentiels.

Prenez le renouveau, la découverte, l’exploration, la renaissance, l’actualisation et la ré-actualisation de votre potentiel dans l’autre, avec l’autre et la réalisation subite que cet(te) autre vit exactement, à ce moment, exactement la même sensation.

Prenez toutes ces états. Et multipliez-les par deux, trois, quatre, cinq, dix, cent… À chaque seconde. Chaque précieuse seconde. Maintenant, imaginez que vous ne les ressentez pas seulement en succession, mais parfois simultanément, en combinaison dans la variété augment exponentiellement.

Au travers, voyez-vous par moment comme en profonde introspection. Savourant la solitude, cette solitude parfois accompagnée du souvenir des autres ou de l’anticipation des retrouvailles, parfois vécue dans l’abstraction, dans le ressourcement.  Imaginez tous ces uniques moments vécus hors-de-la-routine, hors du quotidien.

Chaque moment est un choix et, de plus, un choix partagé: une décision mutuelle d’être, à cet instant précis, ensemble. Une décision qui rehausse l’intensité de l’expérience vécue.

Imaginez un peu toutes ces sensations à la fois comme un tumulte, un  maelström et comme une vaste toile, l’expressionnisme abstrait du ressenti, comme un réseau, un canevas sur lequel s’illustre votre existence, sans cesse, sans repos, sans répit.

Un univers d’une richesse inouïe.

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Gérer le deuil

Suite à mon billet d’il y a deux semaines, plusieurs personnes m’ont demandé de parler un peu plus concrètement de la façon dont on pouvait gérer le deuil lorsqu’il se présente. Je livre donc ici une version toute personnelle de ce processus, sans prétendre que ça soit adapté à chaque personne, mais en espérant que ça puisse faire un peu de bien et susciter quelques réflexions. Ce billet ne touchera pas que les polyamoureux/ses et anarchistes relationnels, mais s’applique à tous les types de relations.

À QUOI ÇA SERT?

Il faut d’abord se demander à quoi sert le deuil. Je le vois comme un processus qui remplit deux fonctions importantes. En premier lieu, il sert de mécanisme de défense (ou d’un ensemble de mécanismes) contre une source de douleur. En second lieu, le processus doit nous permettre de créer du sens à partir de cet événement afin que nous puissions l’incorporer, l’accepter et par la suite cheminer en toute liberté. Il y a différentes théories et modèles de représentation du deuil, ceci dit.

À prime abord, il est important de rappeler que le deuil est un processus naturel et normal. Vous n’avez pas à être honteux de le ressentir, au contraire. Afin de le gérer, il faut d’abord le reconnaître, le nommer. Aussi, le deuil prend du temps. C’est normal. Je donne souvent, comme « règle de pouce », l’équation suivante: deux mois par année de relation. Ça semble long, mais c’est réaliste.

Le modèle le plus connu est sans doute celui de Kübler-Ross, qui, après le choc, fait passer la personne endeuillée par cinq étapes: le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation. Si ces étapes sont souvent présentes dans le deuil, elles n’apparaissent pas dans cette forme aussi linéaire. Il s’agit en fait, pour en revenir à ma première définition, de différents mécanismes de défense psychiques qui vont et viennent selon les besoins et votre état du moment.

SE DÉFENDRE DE LA DOULEUR, PAS DE L’AUTRE

Le deuil des relations amoureuses est complexifié par la présence probable de l’autre partenaire. Or il est facile de confondre la défense contre la douleur (la perte de votre relation), fortement nécessaire, et la défense contre l’autre (le partenaire). Ceci peut avoir des effets pernicieux car, ultimement, si vous devez trouver un sens à cet événement, vous aurez besoin de votre ancien partenaire pour y parvenir, et vos mécanismes de défenses, surtout s’ils sont immatures, peuvent au contraire éloigner l’autre et vous empêcher de parvenir à l’acceptation.

La finalité du deuil (la création de sens) doit donc s’atteindre en comprenant (et non pas en projetant) les motivations qui ont poussé l’autre à mettre fin à la relation. Cette compréhension requiert surtout beaucoup d’empathie: vous devez vous mettre à la place de l’autre, imaginer ce qu’il ou elle ressentait, envisager ses circonstances de vie, et voir comment la relation que cette personne avait avec vous en est éventuellement venue à représenter, pour elle, une source de stress, d’inconfort, voire de malheur.

GÉRER SES ÉMOTIONS

Comme en toute chose, l’excès, le déséquilibre, sont à proscrire. Il faut faire preuve d’empathie, mais sans s’effacer complètement. Il faut parfois reconnaître que nos émotions sont trop vives, et attendre un meilleure moment,  un meilleur contexte pour les exprimer, sans toutefois les refouler à jamais. La sublimation (transposer son énergie destructrice dans un médium créatif) peut être une bonne façon de réaliser ceci, tant qu’éventuellement on soit en mesure d’entrer à nouveau en contact avec ses émotions. D’ailleurs la naissance de ce blogue est dû à un épisode de sublimation de ma part!

L’accès à une communauté (le sujet de mon billet de la semaine dernière) est aussi important. Se confier à une tierce partie, des ami(e)s proches au courant de vos relations, est une bonne façon de retenir nos émotions, de les canaliser autrement que sur l’ex-partenaire. Encore une fois, il faut éviter les défenses immatures: ne pas demander aux gens de prendre partie pour vous ou votre ex (une défense de contrôle névrotique) et éviter de tomber dans le déni de la réalité ou la distorsion des faits (des mécanismes de défenses narcissiques). La communauté vous permet aussi de vous engager, histoire de sublimer encore un peu vos émotions, et vous aide à mettre ces émotions de côté parfois. Enfin, rire entre amis est sans doute le meilleur antidote à la tristesse!

La communauté peut aussi vous aider à créer un sens sans l’autre, si, pour une quelconque raison, les paragraphes ci-dessous ne peuvent pas s’appliquer à votre situation.

REVOIR L’AUTRE

On ne s’en sort pas: tôt ou tard vous devrez revoir votre ex. C’est encore plus vrai si vous avez des enfants ensemble, beaucoup de connaissances partagées, des événements ou un travail qui vous rapprochent, ou si vous faites parties de communautés de petite taille.

La principale chose à retenir: donnez-vous le temps. Laissez la poussière retomber avant de retourner explorer vos sentiments, votre historique et vos circonstances de vie. Respectez le besoin de solitude de l’autre, et reconnaissez que l’autre aussi doit faire un deuil. Ne minimisez pas sa douleur ni la vôtre.

Revoir l’ex devrait être l’occasion de comprendre son point de vue, par le dialogue et non pas par la contestation. Si vos réactions en la revoyant sont encore de contester ses paroles, de tenter de négocier un retour, ou des conditions de vie, voire même d’essayer d’imposer vos besoins par le chantage, vous n’êtes pas prêt encore (et dans le dernier cas, vous avez peut-être besoin d’un accompagnement professionnel). Si vous allez à la rencontre de l’autre en ayant déjà projeté ou identifié quelles étaient ses émotions, la causes de ses réactions, vous n’êtes peut-être pas prêt encore.

Donnez-vous plutôt un espace pour écouter, échanger ensuite, rire même – vous ne voulez pas que ça soit trop lourd. Ne tentez pas de tout régler d’un seul coup – votre ex a aussi besoin de créer du sens, et ce sens évoluera avec le temps. Donnez-vous plusieurs opportunités de refaire le point, de vous ajuster. Donnez-vous le temps de comprendre.

Au final, vous aurez peut-être perdu un(e) amoureux(se), mais vous aurez gagné un(e) ami(e).

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