Le « sérieux » et la peur de l’attachement (suite de la semaine dernière)

« Moi je recherche une relation sérieuse mais ce n’est pas réciproque! »

« J’ai peur qu’il/elle commence à s’attacher… »

Je vais partir de ces éléments pour approfondir un peu – exemples à l’appui –  mon exposition de la nature des liens (relationnels ou transactionnels) rédigée la semaine passée. Résumons: je synthétisais les types de liens comme étant de deux catégories:

  1. Les liens « transactionnels »: une rencontre est un lieu d’échange, et l’échange est équivalent pour toutes les parties concernées. La rencontre peut se reproduire dans le futur, mais ce n’est pas obligatoire ni anticipé.
    1. Exemples: un « one-night stand », ou une relation temporaire entre amants, le temps que l’un d’entre eux se trouve un(e) partenaire régulier et exclusif, un(e) ami(e) avec qui on va voir des films au cinéma en échangeant régulièrement la facture.
  2. Les liens « relationnels »: la rencontre fait partie d’un continuum. Il y a des attentes réciproques que cette rencontre, et les échanges entre les parties, seront renouvelés dans le futur et donc, que les échanges n’ont pas à être strictement équivalents puisque toutes les personnes concernées reconnaissent qu’à long terme le lien leur est tou(te)s mutuellement bénéfique.
    1. Exemples: une amitié qui est ancrée dans le temps, la co-parentalité, une relation (à deux ou plusieurs) à long terme, une communauté isolée où tous les membres s’entraident.

Le point essentiel de mon billet passé se trouvait qu’il était important de clarifier les attentes, car souvent les gens vont à la rencontre d’autrui en prenant pour acquis que le type de lien recherché était le même. Évidemment, cela peut mener à une déception si ce n’est pas le cas, voire un sentiment de rejet, ou d’avoir été trahi/exploité.

Par contre, la nuance qui n’était pas si clairement exprimée est que ces deux types de liens doivent surtout être vus comme les extrêmes d’un spectre, et que le lien (tout comme l’orientation, le genre, etc.) est aussi fluide et peut changer dans le temps.

Ainsi, deux amants peuvent se voir sur une base régulière, satisfaire leurs besoins mutuels, sachant qu’éventuellement l’un et/ou l’autre se consacrera en exclusivité à un(e) partenaire. Mais il est aussi probable qu’une intimité et une complicité se développent au fil de leurs rencontres et que la nature de leur lien, de purement transactionnelle, passe au relationnel, évoluant même par exemple vers une amitié chaste si les deux forment de leur côté un couple exclusif par la suite. Ou, alternativement, ils pourraient chacun(e) trouver un(e) partenaire principal(e) et transformer leur lien en relation secondaire (si leurs relations sont hiérarchisées). Les possibilités sont infinies.

Alternativement, à l’intérieur d’une relation entre deux personnes, un déséquilibre pourrait s’inscrire si un(e) des partenaires prend l’autre pour acquis(e). L’autre pourrait alors insister sur la nature réciproque de leurs échanges pendant un certain temps, afin de rétablir l’équilibre et corriger certains comportements vus comme inadéquats. De relationnel, le lien passerait alors au transactionnel.

Revenons donc aux deux phrases qui débutent ce billet. « J’ai peur qu’il/elle commence à s’attacher » prend tout son sens ici: j’ai peur que les attentes face à la nature de notre lien soient en train de changer. Évidemment, l’attachement peut quand même se gérer dans un contexte de lien transactionnel, dans la mesure où les personnes concernées communiquent clairement (et explicitement) leurs attentes et la portée de leur investissement dans la rencontre. L’attachement en soi n’est jamais un problème, ni le désir de réciprocité de cet attachement, mais bien l’attente que, suite à cet attachement, le lien évolue vers le relationnel, qu’il devienne permanent et pérenne (il est possible de s’attacher en sachant que la rencontre peut être sans lendemain, mais il faut au moins le communiquer).

Ensuite, la relation « sérieuse ». Encore une fois, c’est une question de confusion dans les termes employés. Un lien peut être sérieux qu’il soit transactionnel ou relationnel, qu’il soit exclusif ou ouvert, amical, amoureux, sexuel ou asexuel, etc, etc. Une rencontre épisodique avec un(e) inconnu(e) peut emmener à votre conscience des opportunités, des connaissances, des découvertes autrement inimaginables et bouleverser complètement votre univers personnel (ce qui me semble assez « sérieux »). Et au fait, stricto sensu, une relation « sérieuse » ça ne veut rien dire du tout.  Ce qui est exprimé, c’est qu’il y avait une attente de lien relationnel (sans doute un type très précis de lien, du genre couple fermé) qui n’a pas été comblée. Encore une fois, communiquer explicitement les attentes fait partie de la solution.

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Relations, transactions, émotions

Qu’est-ce qu’une relation? C’est une question en apparence anodine, mais qui a une portée très importante pour les polyamoureux, libertins, anarchistes relationnels et même pour les plus traditionnels monogames.

Prenons par exemple la « relation sexuelle ». Celle-ci est définie de différentes façons (d’un point de vue légal, amoureux, voir commercial) et une certaine littérature tend à présenter un « idéal » qui culmine généralement vers l’orgasme simultané des deux partenaires.

Le problème avec ce modèle, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une relation que d’une transaction sexuelle. Les deux partenaires se voient dans l’obligation mutuelle de se livrer un service équivalent (l’orgasme). C’est un échange à valeur strictement égale. Par la suite, les comptes étant équilibrés en quelque sorte, il n’est plus nécessaire de maintenir d’interaction entre les parties.Et si un des partenaires n’obtient pas satisfaction, la relation (lire, la transaction) est insatisfaisante. La valeur du service obtenu n’équivaut pas celle du service rendu.

Ainsi, une transaction est une opération limitée dans le temps, ou deux (ou plusieurs) parties échangent des biens ou service d’une valeur équivalente. Une relation est en réalité un ensemble  d’obligations ou d’attentions mutuelles qui se déploie dans le temps et dont la valeur ne peut jamais être parfaitement retournée. Une réelle relation sexuelle sera ainsi fait d’une série de dons réciproques de gestes, de plaisirs, d’attentions qui, même s’ils pouvaient être parfaitement évaluées, ne sont jamais strictement égaux à ceux reçus. L’atteinte de l’égalité met de facto fin à la relation. Celle-ci se poursuit tant que les deux partenaires (ou plusieurs) ont au contraire envie de continuer à donner et à recevoir, ce qui permet l’émergence de pratiques qui visent justement à  éviter l’orgasme, la fin de la relation.

Il en va de même pour les relations amicales, amoureuses, bref, tout type de relation. Si je vais au cinéma avec un ami, et que nous payons chacun nos billets, nous n’avons plus aucune obligation/attente de nous voir par la suite. Si l’un des deux paie pour l’autre, il y a une obligation circonscrite à un montant bien précis, et facilement acquittable. Mais si cette obligation est remboursée avec un service de valeur, disons, légèrement supérieure (je te paie le souper ensuite), l’obligation est renversée. Avec le temps, cette série d’inégalités dans les valeurs données et reçues perd complètement son importance puisqu’elle a permis d’établir un cadre relationnel, une série d’échanges mutuels et réciproques qui s’inscrit non pas dans l’instantané, mais dans la durée.

C’est encore plus vrai si les services échangés n’ont pas de valeur quantifiable. Une amie qui vit une peine d’amour peut venir se confier à moi. Je peux avoir besoin de discuter pour clarifier mes pensées sur un enjeu donné. Un baiser, une caresse tendrement consentie peut réconforter.

Il est important de séparer ces deux concepts, non pas pour en valoriser un au détriment de l’autre. Au contraire, les deux ont leur utilité, leur pratique, et peuvent répondre à des besoins ou des désirs bien différents. Il est important de les séparer pour s’assurer,  lors de nos interactions avec autrui, qu’il y a entente sur le mode utilisé: sommes-nous en mode relationnel ou transactionnel? L’exemple classique est celui ou un des partenaires à des attentes à long-terme via une activité alors que l’autre n’en a pas: un one-night vs une relation plus élaborée.

La reconnaissance du besoin et des attentes de l’autre est donc un nécessaire signe de respect et la première étape pour s’assurer que les émotions des partenaires ne seront pas négligées.

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