Suite à mon billet d’il y a deux semaines, plusieurs personnes m’ont demandé de parler un peu plus concrètement de la façon dont on pouvait gérer le deuil lorsqu’il se présente. Je livre donc ici une version toute personnelle de ce processus, sans prétendre que ça soit adapté à chaque personne, mais en espérant que ça puisse faire un peu de bien et susciter quelques réflexions. Ce billet ne touchera pas que les polyamoureux/ses et anarchistes relationnels, mais s’applique à tous les types de relations.
À QUOI ÇA SERT?
Il faut d’abord se demander à quoi sert le deuil. Je le vois comme un processus qui remplit deux fonctions importantes. En premier lieu, il sert de mécanisme de défense (ou d’un ensemble de mécanismes) contre une source de douleur. En second lieu, le processus doit nous permettre de créer du sens à partir de cet événement afin que nous puissions l’incorporer, l’accepter et par la suite cheminer en toute liberté. Il y a différentes théories et modèles de représentation du deuil, ceci dit.
À prime abord, il est important de rappeler que le deuil est un processus naturel et normal. Vous n’avez pas à être honteux de le ressentir, au contraire. Afin de le gérer, il faut d’abord le reconnaître, le nommer. Aussi, le deuil prend du temps. C’est normal. Je donne souvent, comme « règle de pouce », l’équation suivante: deux mois par année de relation. Ça semble long, mais c’est réaliste.
Le modèle le plus connu est sans doute celui de Kübler-Ross, qui, après le choc, fait passer la personne endeuillée par cinq étapes: le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation. Si ces étapes sont souvent présentes dans le deuil, elles n’apparaissent pas dans cette forme aussi linéaire. Il s’agit en fait, pour en revenir à ma première définition, de différents mécanismes de défense psychiques qui vont et viennent selon les besoins et votre état du moment.
SE DÉFENDRE DE LA DOULEUR, PAS DE L’AUTRE
Le deuil des relations amoureuses est complexifié par la présence probable de l’autre partenaire. Or il est facile de confondre la défense contre la douleur (la perte de votre relation), fortement nécessaire, et la défense contre l’autre (le partenaire). Ceci peut avoir des effets pernicieux car, ultimement, si vous devez trouver un sens à cet événement, vous aurez besoin de votre ancien partenaire pour y parvenir, et vos mécanismes de défenses, surtout s’ils sont immatures, peuvent au contraire éloigner l’autre et vous empêcher de parvenir à l’acceptation.
La finalité du deuil (la création de sens) doit donc s’atteindre en comprenant (et non pas en projetant) les motivations qui ont poussé l’autre à mettre fin à la relation. Cette compréhension requiert surtout beaucoup d’empathie: vous devez vous mettre à la place de l’autre, imaginer ce qu’il ou elle ressentait, envisager ses circonstances de vie, et voir comment la relation que cette personne avait avec vous en est éventuellement venue à représenter, pour elle, une source de stress, d’inconfort, voire de malheur.
GÉRER SES ÉMOTIONS
Comme en toute chose, l’excès, le déséquilibre, sont à proscrire. Il faut faire preuve d’empathie, mais sans s’effacer complètement. Il faut parfois reconnaître que nos émotions sont trop vives, et attendre un meilleure moment, un meilleur contexte pour les exprimer, sans toutefois les refouler à jamais. La sublimation (transposer son énergie destructrice dans un médium créatif) peut être une bonne façon de réaliser ceci, tant qu’éventuellement on soit en mesure d’entrer à nouveau en contact avec ses émotions. D’ailleurs la naissance de ce blogue est dû à un épisode de sublimation de ma part!
L’accès à une communauté (le sujet de mon billet de la semaine dernière) est aussi important. Se confier à une tierce partie, des ami(e)s proches au courant de vos relations, est une bonne façon de retenir nos émotions, de les canaliser autrement que sur l’ex-partenaire. Encore une fois, il faut éviter les défenses immatures: ne pas demander aux gens de prendre partie pour vous ou votre ex (une défense de contrôle névrotique) et éviter de tomber dans le déni de la réalité ou la distorsion des faits (des mécanismes de défenses narcissiques). La communauté vous permet aussi de vous engager, histoire de sublimer encore un peu vos émotions, et vous aide à mettre ces émotions de côté parfois. Enfin, rire entre amis est sans doute le meilleur antidote à la tristesse!
La communauté peut aussi vous aider à créer un sens sans l’autre, si, pour une quelconque raison, les paragraphes ci-dessous ne peuvent pas s’appliquer à votre situation.
REVOIR L’AUTRE
On ne s’en sort pas: tôt ou tard vous devrez revoir votre ex. C’est encore plus vrai si vous avez des enfants ensemble, beaucoup de connaissances partagées, des événements ou un travail qui vous rapprochent, ou si vous faites parties de communautés de petite taille.
La principale chose à retenir: donnez-vous le temps. Laissez la poussière retomber avant de retourner explorer vos sentiments, votre historique et vos circonstances de vie. Respectez le besoin de solitude de l’autre, et reconnaissez que l’autre aussi doit faire un deuil. Ne minimisez pas sa douleur ni la vôtre.
Revoir l’ex devrait être l’occasion de comprendre son point de vue, par le dialogue et non pas par la contestation. Si vos réactions en la revoyant sont encore de contester ses paroles, de tenter de négocier un retour, ou des conditions de vie, voire même d’essayer d’imposer vos besoins par le chantage, vous n’êtes pas prêt encore (et dans le dernier cas, vous avez peut-être besoin d’un accompagnement professionnel). Si vous allez à la rencontre de l’autre en ayant déjà projeté ou identifié quelles étaient ses émotions, la causes de ses réactions, vous n’êtes peut-être pas prêt encore.
Donnez-vous plutôt un espace pour écouter, échanger ensuite, rire même – vous ne voulez pas que ça soit trop lourd. Ne tentez pas de tout régler d’un seul coup – votre ex a aussi besoin de créer du sens, et ce sens évoluera avec le temps. Donnez-vous plusieurs opportunités de refaire le point, de vous ajuster. Donnez-vous le temps de comprendre.
Au final, vous aurez peut-être perdu un(e) amoureux(se), mais vous aurez gagné un(e) ami(e).