« Si j’ose me servir de cette comparaison, un amant est possesseur, un mari est propriétaire. » Puisqu’il s’agit d’un blogue sur l’anarchie relationnelle, ouvrons sur une boutade de Proudhon, un des fondateurs de l’anarchie moderne: Pour ce que cette comparaison a de fâcheux à nos sensibilités modernes, elle met néanmoins le doigt sur un élément que Proudhon tâchait alors d’expliquer: la propriété relève du droit, de la loi tandis que la possession relève de l’usage, de l’utilisation.
On ne parle heureusement plus de « propriété » lorsque vient le temps d’unir deux personnes (et vous vous doutez sans doute de mon opinion sur la mariage – hé, c’est un blogue anarchiste, là!) mais l’habitude demeure. Combien de conjoint considère leur partenaire comme étant « à eux » et toute intrusion dans le couple comme une tentative de vol? C’est que la propriété, comme la possession, font de l’autre partenaire un objet, soumis à la volonté des autres, et non plus un sujet indépendant et animé de volonté.
Cependant ce terme, « possession » sans impliquer une légitimité de droit dans l’utilisation de l’autre, vient encore l’objectifier. Dixit le Petit Larousse: possession –
- Littéraire. Accomplissement de l’acte sexuel sur une femme.
Historiquement, donc, c’est la femme que l’on possède, et ce dans une perspective qui est implicitement hétéronormative. L’homme est un sujet, la femme un objet. De nos jours cette norme hétéronormative s’estompe, mais on peut affirmer sans trop se tromper que les vieilles normes ont la vie dure et que les femmes en souffrent encore de façon disproportionnée. La possessivité, cette envie de dominer, de posséder l’autre, peut être vue comme une envie déshumanisante et conséquemment à proscrire et à combattre.
Tout comme la jalousie, à laquelle il est d’ailleurs intimement relié par ailleurs, le sentiment peut continuer à se manifester. Ce n’est pas en soit surprenant, et c’est un relent du développement humain (notamment les phases narcissiques et oedipales lors de la petite enfance). À l’âge adulte, par contre, il est nécessaire de gérer ces sentiments de façon un peu plus mature. D’abord en reconnaissant le sentiment, en le nommant, mais aussi en le partageant avec nos partenaires, de façon à ce que leur feedback puisse faire partie des outils que nous avons afin d’identifier la montée du sentiment, au besoin. (Voir aussi l’excellent coffre à outils du blogue d’Hypatia à ce sujet).
Par contre dans certains contextes bien précis la possessivité peut continuer à se déployer, voire même être encouragée! On reconnait à la possessivité un côté immature, animal. Ce côté bestial n’est pas pour déplaire dans certaines circonstances, et peut même se révéler particulièrement ludique et excitant. Alors, un peu comme les pratiques BDSM, on peut importer des pratiques basée sur la possession sous certaines conditions. Notamment avec le consentement des personnes impliquées, un haut degré de confiance entre les partenaires, et une reconnaissance explicite du caractère temporaire de l’activité. Toute personne peut aimer pour un temps la soumission ou l’objectification, mais ne pas au point de ne jamais sortir de cette relation de domination par la suite.
Il faut donc distinguer entre la possessivité comme jeu de la possessivité comme émotion destructrice, tout comme on distingue la domination comme jeu de la domination comme exploitation indésirable d’autrui. Donc, dans la mesure où cette possessivité est ludique, contrôlée, et désirée explicitement par toutes les parties prenantes impliquées, il n’y a pas lieu de trop s’en faire. Mais si cette possessivité est cause de souffrance, hors-de-contrôle, irrépressible et nuisible, il est important de le reconnaître et d’agir en conséquence, autant pour votre bien être que pour celui de vos relations.