Compte-rendu: la sortie du placard

Voici un un petit compte-rendu de « It’s Called ‘Polyamory’ – Coming Out Abot Your Nonmonogamous Relationships »

De façon concise: le livre est très bien même si certains éléments m’ont laissé un peu sur ma faim.

De façon plus détaillée: j’aime beaucoup l’approche du livre, qui est basée sur la compassion (surtout la compassion envers soi) et le pragmatisme. Les auteures ne prennent pas une ligne hardcore idéaliste pour aborder un sujet dont les répercussion dans le monde réel peuvent être très lourdes, et c’est une excellente chose.

Elles tentent également de présenter, à travers une série de témoignage, les impacts, autant positifs et négatifs du coming out pour des gens issus de communités diverses, ou vivant diverses oppressions. Mon seul regret à ce sujet est qu’elles limitent la diversité à la diversité ethnique, de genre, ou d’orientation, ce qui occulte possible d’autres enjeux (personnes neuro-atypiques, classisme, capacitisme) qui peuvent aussi être très importants.

Les chapitres couvrent divers lieux où un coming-out peut se faire (famille, amis, travail, école) et donnent d’abord des conseils et des points à considérer, ensuite une série de témoignages propre à ce lieu. Les conseils sont très pertinents et visent à emmener à réfléchir à sa propre réalité, plutôt qu’à donner des réponses toutes faites. Plusieurs suggestions quant aux façons d’emmener ou d’esquiver le sujet sont présentées. Ultimement, le choix revient toujours à la personne qui veut faire son coming-out, selon le risque présenté, mais les auteures font un très bon éventail de l’ensemble des facteurs de risque et de la façon dont on peut les mitiger.

Les témoignages sont vraiment ancrés dans la réalité américaine, et de façon disproportionnée il me semble dans la culture rurale ou conservative américaine (c’est aussi possiblement là que les risque de coming-out sont les plus grands). Dans certains cas, il sera difficile de s’identifier à certains témoignages puisque la réalité conservatrice-religieuse de ces états n’est pas la nôtre. Mais certains témoignages ont une portée plus universelle.

Les sections d’introduction (qu’est-ce que le polyamour, petite histoire de la non-monogamie) et de conclusion (comment vivre son polyamour, étiquette de la communauté poly) sont vraiment excellentes par contre, et je recommanderais le livre seulement pour ça.

En tout et pour tout un bon achat si vous êtes à l’aise avec l’anglais, et encore plus si vous préparez votre propre sortie du placard.

 

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La porte du placard

Toutes les situations de vie qui ne sont pas immédiatement privilégiées ni visible nous placent de facto dans « un placard. » Ceci est vrai également pour les polyamoureux. Tout placard s’ouvre par une porte, et à nous de décider si on la garde fermée hermétiquement, si on l’entrouvre avec précaution en espérant que les pentures ne grincent pas trop, ou si au contraire on pulvérise la porte et autant que possible tout ce qui peut nous retenir dans se placard du même coup.

On peut souvent se demander « comment » sortir du placard, mais la première question essentielle à se poser est « pourquoi » le faire. Cette question est primordiale car les réactions des autres seront variées et imprévisibles.

Alors, l’évidence qu’il faut souligner d’emblée: si vous faites votre coming-out, faites le pour vous, et pour vous uniquement, non pas parce que vous désirez provoquer un changement dans le comportement de votre entourage. Par exemple, vous pouvez sortir du placard parce que vous n’aimez pas avoir à faire des cachotteries, ou des détours linguistiques à chaque fois que vous parlez de votre situation relationnelle. Ou encore, parce que vous désirez contrôler un peu le discours et présenter la situation d’abord selon votre point de vue, plutôt que de laisser les autres commenter dans l’ignorance de ce que vous vivez réellement. Parce que vous avez envie de revendiquer votre orientation relationnelle, de l’affirmer, car ultimement c’est un des éléments déterminants de votre personne et il vous semble incohérent de le cacher. Et peut-être enfin parce que vous voulez envoyer un signal qui vous permettra de rejoindre et d’être rejoint par ceux et celles qui partagent ou sont intéressé(e)s par ce type d’orientation.

Ce n’est pas un survol exhaustif, et dépendant du public à qui vous faites votre coming-out, vos motivations pourront changer. À titre d’exemple, je suis très « out » sur une base régulière car je ne considère pas avoir à cacher quoi que ce soit. Mais lorsque j’en ai parlé à mes enfants, c’était d’abord dans un but éducatif, afin de les aider à avoir une réflexion appropriée sur le sujet, plutôt que de les laisser poser des questions (si interrogations ils avaient) dans la cour d’école – et pour ceux qui s’inquiètent cette discussion s’est très bien déroulée!

Mais revenons au coming-out: celui-ci peut être plus ou moins discret, limité, par étapes, selon votre besoin toujours. À vous de voir qui, de parents, famille, amis, collègues, etc. a besoin d’être informé. Moins vous en parlez, plus vous laissez de limites ou de contraintes à votre expression, mais plus vous en parlez, plus vous perdez le contrôle sur les réactions des autres. Allez-y (ou non) selon votre jugement et votre équilibre là-dedans.

Après un sondage (pas scientifique du tout) auprès de la communauté polyamoureuse montréalaise, j’ai eu la chance d’obtenir le partage de plusieurs histoires de coming-out (merci d’ailleurs à ceux et celles qui se sont livré(e)s à l’exercice). Grosso modo, on peut classer les réactions sur ce spectre, des plus négatives aux plus positives:

  1. Le rejet: l’autre voudra vous exclure activement de sa vie suite à un jugement critique de votre style de vie. Il peut être accompagné de honte (slut-shaming envers vous ou envers vos partenaires), voir de malversations, médisances et ragots. Bien que ce soit plus rare, ça arrive. Les raisons peuvent être variées: peur pour sa réputation, d’être la cible des ragots (« savais-tu que sa fille est bla-bla-bla… »), convictions religieuses très fortes, voir sectaires, hyper-conformisme social comme mécanisme de défense. Il est très difficile d’indiquer comment réagir à ce rejet sans en connaître la cause, mais d’après mon observation toute personnelle, les gens qui sont susceptibles d’utiliser la honte (slut-shaming) comme tactique, sont aussi ceux qui peuvent être le plus facilement contraints par cette même tactique. Mais n’allez pas partir une guerre de tranchées, là! Il est parfois plus sage de simplement battre en retraite et de ne plus mentionner le sujet avec ces personnes – du moins si vous désirez leur conserver une place dans votre vie.
  2. L’incompréhension: on dira que vous « traversez une phase », que « vous ne savez pas ce que vous voulez » ou que « vous n’avez pas trouvez le bon ou la bonne. » L’intention n’est pas hostile, mais révèle l’incapacité de comprendre un cadre relationnel différent. C’est une réaction assez courante. Dans la mesure où c’est sans mauvaise intention, inutile de perdre trop de temps à expliquer ce que vous vivez.
    1. Une variante moins agréable de l’incompréhension: la compréhension distordue qui fait croire à l’autre que « polyamoureux » veut dire « prêt(e) à coucher avec n’importe qui, donc moi, donc je m’essaie sans vergogne. » N’hésitez pas à mettre les choses au clair fermement: vous n’êtes pas un objet.
  3. L’indifférence: ou la réaction de type « ah, ok. » Ne vous méprenez pas, ce sera une réaction très fréquente. Votre orientation relationnelle est très importante pour vous, mais dans les faits, elle intéresse une infime minorité de la population en générale, même parmi vos amis. Les gens comprennent mais ont d’autres chats à fouetter.
  4. L’acceptation: ou la réaction de type « ah, cool! » et souvent teintée de curiosité. La plupart des gens qui vous acceptent déjà d’emblée et qui vous tiennent en estime risquent d’avoir cette réaction. Après tout, ce qui est important pour eux, c’est qui vous êtes, et non pas ce que vous pouvez leur apporter. Ces personnes auront des questions parfois saugrenues, mais visant surtout à mieux vous comprendre ainsi que ce que vous vivez.

Lorsque je disais au départ que le coming-out devait se faire pour vous, c’est par exemple pour éviter des situations où vous tenez absolument à faire comprendre ce que vous vivez à quelqu’un qui n’en est pas capable, ou à susciter l’enthousiasme chez quelqu’un qui a d’autres priorités. Je suggère de faire ce coming-out d’abord pour créer un espace d’expression plutôt que de tout refouler en-dedans de vous,  mais sans attente face aux réactions d’autrui. À moins de faire face au rejet (plus rare, mais possible) vous pourrez créer cet espace avec les autres types de réactions.

Enfin je conclus le tout sur un appel à tou-te-s: si vous le désirez, n’hésitez pas à partager vos histoires de coming-out (que ce soit d’orientation relationnelle, sexuelle, de genre, etc.) dans les commentaires. Pour ceux qui ne l’ont pas fait, c’est un premier pas très ardu, incertain, et tous les points de repères peuvent aider. Enfin, en tant que communauté, l’affirmation collective est nécessaire afin de revendiquer notre place, et ça, ça commence par chaque coming-out individuel.

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La transparence et la vulnérabilité

Suite au billet de la semaine dernière, plusieurs questions fort légitimes m’ont été posées, notamment quant à la douleur de la séparation, au deuil de la fin d’une relation, à ses conséquences et aux façons de le gérer lorsque l’on est polyamoureuse ou polyamoureux. Et si j’en parlerai plus en détail la semaine prochaine, je réalise en réfléchissant au sujet qu’il me faut d’abord couvrir un point essentiel, soit la présence d’un réseau de soutien prêt à nous aider en cas de besoin.

Mais pour cela, il faut d’abord assumer et revendiquer, sinon ouvertement, du moins en privé avec un nombre de personnes, que notre préférence relationnelle ne correspond pas aux normes établies. Et c’est là que ça devient un peu plus délicat.

Tout d’abord, il faut reconnaître que ce « coming-out » (car s’en est bien un) n’est pas aussi facile pour chaque personne. Le poids des institutions sociales, et des privilèges (liés au couple, au genre, etc.) joue grandement dans la balance, et le jugement suivra. Les mentalités changent lentement, mais le jugement est encore plus sévères pour les femmes que les hommes, par exemple. Par exemple, à titre personnel, il m’arrive rarement d’être jugé pour la façon dont je vis mes relations (et dont je les affiche) mais il m’est arrivé d’entendre parler de mes partenaires en termes très dérogatoires, généralement par des gens qui ne les avaient même pas rencontrées.

Un exemple banal: lors d’une pause au travail, un collègue vous parle de son weekend relaxant en amoureux avec sa copine. Un sujet acceptable, encouragé, même (tant qu’il reste dans les limites de la décence). Si vous parlez de votre weekend avec votre trio, trouple, vos différent(e)s conjoint(e)s  ou partenaires,  même en restant dans les mêmes limites de décence, la réception ne sera pas la même.

Les paroles reçues peuvent être blessantes, et elles le sont généralement plus par ignorance que par méchanceté (c’est le propre du préjugé). Néanmoins, il y a plusieurs raisons d’aller de l’avant avec la transparence. La première en est une qui apparaît à première vue contre-intuitive: ce qu’on cache nous rend vulnérable. Ce qui est affiché nous protège. Comme rien ne reste secret bien longtemps, il est préférable de choisir soi-même quand et comment révéler qui nous sommes, plutôt que d’attendre que les ragots et potins fassent leur oeuvre néfaste. De surcroît, il est plus facile de s’afficher face aux gens en étant conscient de ce qu’ils savent, en se préparant aux soubresauts occasionnels causés par des préjugés surannés, qu’en vivant dans l’incertain, l’inconnu, l’incertitude, le doute, voire la peur que ce qu’on l’on garde caché soit soudainement exposé au grand jour. Enfin, en étant capable de repérer les jugements de valeurs et de privilège, il est facile de confronter les gens en leur rappelant poliment que certains termes sont inacceptables et en leur montrant en quoi ils causent du tort.

Ceci dit, il ne faut pas être si dramatique: les préjugés contre les polyamoureux ne sont pas de la même virulence que ceux qui frappaient la communauté gaie.

Ce mot, d’ailleurs, « communauté » est l’autre grande raison d’aller de l’avant. Il se développe, un peu partout, des communautés de gens pour qui les vieilles normes relationnelles ne font plus de sens. Leurs participants ont tous des histoires à partager, des conseils, des leçons apprises, parfois par expérience, parfois de l’exemple d’autrui. En acceptant de vivre différemment (ou en acceptant l’idée que l’on puisse le faire librement), il devient possible de puiser dans ce bassin d’entraide et de soutien.

S’ouvrir à des gens de confiance dans son entourage ou rejoindre une communauté aux intérêts similaires sont de bons premiers pas. Mais pour effectuer un changement durable de mentalité, l’ouverture à tous est ultimement nécessaire. Le privilège de couple est communiqué inconsciemment partout autour de nous. En le contrant, en démontrant par l’exemple et les paroles comment ce mode de vie n’est pas et ne devrait pas être la seule référence sociale, il se créé petit à petit un espace inclusif pour tous.

Surtout, en en parlant ouvertement, vous risquez de rejoindre des gens qui n’auraient jamais autrement entendu parler d’autres possibilités, d’autres choix. Parfois, ils voudront en apprendre davantage, soit en vous parlant, soit en faisant leurs recherches de leur côté. Mais vous aurez fait à votre façon une différence importante dans leur vie.

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