Sommes-nous liés par les contrats des autres?

Un des mécanismes de l’oppression systémique est l’imposition par la société de l’obligation de respecter certaines ententes desquelles nous, en tant qu’individu, ne sommes pas partie et auxquelles nous n’avons pas nécessairement consenti. On parle d’oppression systémique parce qu’elle n’est pas nécessairement dirigée, mais bien la résultante d’une accumulation de comportement ou d’intersection de situation qui empêche d’y échapper. Voici quelques exemples:

  • On prend pour acquis qu’un enfant, né par hasard dans un pays, éduqué, soigné et protégé en conséquence, a conséquemment une obligation envers ce même pays une fois atteint l’âge adulte. Ceci est fallacieux pour 2 raisons: d’une part, l’enfant ne peut consentir à ce contrat légalement et d’autre part, la société à l’obligation de protéger les plus vulnérables (et les enfants sont pas mal parmi les plus vulnérables).
  • On prend pour acquis qu’il est normal, en vieillissant, de se spécialiser dans une profession et de travailler à tout prix, idéalement selon un horaire de 9 à 5 du lundi au vendredi, et que tous nos choix de vie soient par la suite soumis aux possibilités de consommation déterminées par ce choix initial. Ceci est problématique car certaines personnes plus vulnérables n’ont pas la capacité de se spécialiser ou de soutenir cet horaire, certaines spécialisations ne peuvent se vivre dans cet horaire, et que plusieurs relations de pouvoirs socio-économiques viennent discriminer des groupes déjà vulnérables et marginalisés sur le marché du travail.
  • On prend pour acquis que le choix fait par deux personnes d’être en couple exclusif impose des restrictions sur toutes les autres personnes à l’extérieu de leur relation.

Comme c’est un blogue sur l’anarchie relationelle, je vais m’attarder au troisième point (on pourrait faire des volumes entiers sur les deux premiers, ceci dit). Notamment, l’opprobe social qui s’abat sur l’adultère, et ce, non seulement sur les participants en couple, mais sur ceux et celles qui sont à l’extérieur du couple. Ainsi, lorsqu’on apprend que quelqu’un a été « infidèle » ou « a trompé » son partenaire, on juge rapidement non seulement le partenaire fautif, mais aussi la tierce partie avec laquelle (ou lesquelles) cette « faute » a été commise. Il est acceptable, voire encouragé, d’émettre ces jugements. C’est un peu le procédé normatif par laquelle la société impose la monogamie à ses membres.

On peut voir la monogamie comme un contrat, alors il est ridicule de tenter d’y lier des parties non-consentantes. On peut aussi voir la monogamie comme une croyance, ou une culture. Mais dans ces circonstances également, on ne peut brimer la liberté de pensée des autres en leur imposant nos valeurs. Rien ne justifie ni n’excuse de blâmer une tierce partie selon ces arguments.

De plus, ces jugements tendent à renforcer des relations de pouvoir traditionnelles. On blâme ainsi plus sévérement les femmes que les hommes par exemple. Ces jugements préfabriqués nous empêchent de jeter un oeil sur le seul mécanisme d’évaluation éthique qui pourrait être approprié dans les circonstances (et encore, si et seulement si ça vous concerne, ce qui généralement ne sera pas le cas): la protection des plus vulnérables.

On ne connaît jamais les circonstances qui ont, d’abord, incité une personne à accepter un contrat d’exclusivité et par la suite à rompre ce contrat. Il est possible que cette entente lui ait permis d’échapper à une autre forme d’oppression (économique ou sociale), oppression qui serait vécue à nouveau si la personne rompt le contrat. On pourrait arguer que certains contrats ne sont pas réellement librement consentis dans ces circonstances. Il est possible que la relation comprenne des éléments d’abus et que la rupture périodique et secrète du contrat soit une façon de compenser, un mécanisme de survie par exemple. Une personne peut vivre dans un état de détresse émotionnelle et l’infidélité devient alors un symptôme (et parfois, un premier pas vers une piste de guérison), auquel cas il est bien difficile de blâmer qui que ce soit dans cette histoire.

À moins que le geste ne soit un geste explicite de cruauté visant à blesser l’autre partie impliquée au contrat, ou qu’une relation de pouvoir malsaine vienne contraindre une des personnes impliquées, je ne vois rien de répréhensif dans le fait d’être en relation avec une personne qui a déjà une entente d’exclusivité dans la mesure où ces personnes donnent un consentement libre et éclairé. Dans un monde idéal, la non-monogamie éthique et consensuelle serait partagée par un plus grand nombre de personnes et ces enjeux d’opression ou de détresse pourraient être discutés et négociés librement entre les parties du contrat d’exclusivité. On ne vit pas dans un monde idéal, par contre, et il revient donc à chacun de voir avec quelles situations relationelles ils, elles  ou eux sont confortables, et à appliquer ces préférences à leur propre personne tout en laissant les autres libres de leurs propres décisions.

À noter que cette réflexion vaut aussi pour les ententes faites à l’intérieur de relations non-monogames éthiques et consensuelles. Le respect des termes de l’entente est une responsabilité qui repose sur les partenaires impliquées dans celle-ci, et ne peut être reporté sur la communauté en général. L’existence d’un contrat ou d’une entente n’est pas en soi un motif acceptable ni suffisant de dénigrer ou juger les gens à l’extérieur de cette entente.

 

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Exclusivité vs Transparence

Pour les gens qui effectuent le passage d’un mode de vie monogame à la non-monogamie éthique, certains comportements, émotions et habitudes sont difficiles à surmonter. On mentionne fréquemment dans les difficultés vécues la présence de jalousie et l’insécurité, et différents remèdes sont proposés pour y remédier. Je crois qu’il est utile par contre de réfléchir aux raisons pour lesquelles cette transition est si pénible parfois. J’avancerais qu’un univers où la monogamie est la norme a comme valeur centrale l’exclusivité (et ce, pas seulement dans les relations amoureuses) tandis que la non-monogamie a comme valeur centrale la transparence ou l’honnêteté radicale. Ces deux concepts peuvent parfois entrer en confrontation.

(AJOUT: lors de l’écriture du billet j’ignorais tout du mouvement Américain autour du « Radical Honesty » et je ne peux pas prétendre ici que j’adhère à ce mouvement ni à ses principes.  Fiez-vous plutôt à mes descriptions ci-bas pour comprendre ce que j’entends par honneteté radicale.)

L’exclusivité soutient l’univers monogame si intensément qu’elle en élimine à l’occasion la nécessité de communiquer. L’exclusivité devient ainsi réclusion, voir exclusion. Ce qui se passe entre deux personnes, de cette façon, ne peut appartenir qu’à ces deux personnes. Le couple s’appartient, autant émotionnellement que physiquement que financièrement (voire légalement). Chaque groupe, même les groupes non-amoureux, deviennent ainsi exclusifs. Ce qui se passe entre amis reste entre amis. On s’attend au secret et à la discrétion partout: c’est la caractéristique centrale des sociétés qui adoptent la monogamie. Cette discrétion est en soit rassurante: le silence vient confirmer qu’il ne se passe rien d’autre à l’extérieur du couple. Parler d’envies, d’attirances, de désirs qui minent l’exclusivité devient conséquemment dangereux, car la moindre brèche peut faire effondrer le mur isolant le couple des périls extérieurs. La communication devient secondaire, subordonnée à la protection du couple. Certains désirs et besoins ne peuvent être explorés, les partenaires peuvent être pris pour acquis, mais comme l’union va au-delà de l’amour et des besoins affectifs (le couple monogame étant une construction d’abord et avant tout économique) ces difficultés demeurent.

En contrepartie, la non-monogamie repose pour réussir sur la transparence. L’honnêteté radicale est nécessaire avec chaque partenaire pour bien présenter les attentes, les possibilités, et bien représenter les besoins et les désirs des personnes impliquées. Les contraintes, l’évolution des besoins, des désirs, et les transformations de chaque individu augmentent considérablement lorsque augmente aussi le nombre de partenaires. Impossible alors de s’en remettre aux sous-entendus, à l’opacité volontaire des propos et aux cachotteries puisque les autres réalisent rapidement l’incohérence entre ce qui est dit et ce qui est ressenti en ces circonstances. La transparence a l’avantage de s’étendre à l’ensemble de vos relations, peu importe la nature de celles-ci, et vous rend la vie beaucoup plus facile puisqu’il est inutile de se rappeler ce que vous avez dit et à qui.

Les difficultés des relations non-monogames débutent souvent lorsqu’un élément essentiel n’a pas été communiqué. Par exemple, si vous débutez une relation et que vous n’exposez pas clairement à votre nouvelle flamme le nombre de partenaires dans votre vie actuellement et l’intensité de la relation que vous partagez, cette nouvelle personne ne pourra pas comprendre la place que vous êtes prêt à lui faire, l’énergie et le temps que vous pouvez lui consacrer, etc. De même, si vous n’avisez pas vos partenaires lorsque vous vivez un épisode de NRE (new relationship energy, soit la passion des relations qui naissent) votre polycule aura de la misère à suivre et comprendre votre état émotionnel, ce qui peut générer du ressentiment, l’impression que les besoins d’autrui sont négligés, etc. Si vous vivez un moment difficile et que vous avez besoin de soutien supplémentaire, il faut aussi prendre l’habitude de le dire et de préciser quel est ce besoin. Tous ces éléments exigent évidemment un certain travail afin de parfaire sa connaissance de soi, mais ce travail vous aide à ajuster vos relations afin de répondre pleinement aux besoins et aux désirs de chacun des partenaires impliqués.

Tenter de passer d’une culture exclusive à une culture ouverte sans adopter cette transparence risque de créer des difficultés. C’est sans doute l’origine de la méfiance des gens qui pratiquent la non-monogamie envers les arrangements de type « don’t ask, don’t tell ». Le secret et la discrétion sont des caractéristiques des relations exclusives et ce genre d’arrangement cache souvent des infidélités ou des accords qui ne sont pas pleinement consentis ou compris. Même lorsqu’elle est consentie par les partenaires, cette ouverture secrète risque de créer des difficultés – comment planifier son horaire et ses sorties sans partager un minimum d’information sur ses autres engagements?

Élevés dans une culture du secret, l’honnêteté radicale peut sembler menaçante a priori, déstabilisante. Soyez certains cependant que la transparence paie et contribuera à fortifier l’ensemble de vos relations.

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