Micro-tromperie, ou le délire monogame

On fait grand cas dernièrement de la « micro-tromperie » (micro-cheating dans l’expression originale anglophone). Il s’agit apparemment d’une série de petites actions qui indiquent qu’un des partenaires dans une relation monogame focalise une partie de son attention sur quelqu’un d’autre que son partenaire exclusif. Depuis que l’expression a été lancée par la psychologue australienne Melanie Schilling, elle a été reprise à toute les sauces par différents média.

Le simple fait que l’on puisse débattre de ce qui constitue une « micro-tromperie » ou pas relève en soi d’une culture de monogamie toxique. C’est un des paradoxe de l’exclusivité: on réclame l’attention entière de son partenaire, mais dans les faits, c’est pratiquement impossible. À moins de vivre en parfaite autarcie, en retrait de la civilisation avec votre partenaire, vous aurez nécessairement besoin de diviser votre attention, ne serait-ce que pour gagner votre vie, aller à l’école, à l’hôpital parfois, faire les courses, ainsi de suite. Exclusivité ou pas, notre attention n’est jamais tournée à 100% vers quelqu’un d’autre, et avoir une telle exigence relève du délire narcissique pur et simple. C’est cette valorisation du contrôle des pensées et geste d’autrui qui rend une relation (monogame ou pas) toxique.

À partir de ce point, le mandat de l’exclusivité revient à trouver la ligne entre les comportements qui doivent être exclusifs au couple, et ceux qui relève de l’autonomie individuelle de chaque partenaire. Un des enjeux est que la société promeut une vision idéalisée de l’amour romantique qui empêche cette autonomie. On ne permet aucune brèche, pourtant qu’un partenaire entretienne une relation de flirt virtuel avec une tierce partie dans ses temps libres n’enlève rien nécessairement à l’autre partenaire. On dira que maintenir cette activité secrète n’est pas éthique, mais le secret est une des composantes essentielles du modèle monogame standard, tel que discuté dans cet ancien billet. J’affirmais dans ce même billet que l’imposition du standard d’exclusivité menait à éradiquer la communication et la transparence, et ce sont justement ces deux éléments qui sont nécessaire au maintien d’une relation éthique, qu’elle soit monogame ou pas.

Dans n’importe quelle relation, il est important de définir les attentes comportementales envers les personnes impliquées (peu importe leur nombre). Que ce soit le temps passé ensemble, les activités réservées à la relation, celles permises au-delà de celle-ci, celles exclues de la relation, ces éléments doivent faire l’objet de discussions explicites et être revisités périodiquement. Tout comme on fait des rénovations de façon préventive dans la maison et que l’on emmène la voiture chez le concessionnaire pour un entretien de façon régulière, il faut prendre soin de ses relations couramment. Le problème de la micro-tromperie n’est pas qu’un partenaire fasse des actions en secret, mais bien que la relation n’ait pas un cadre de communication assez souple et transparent pour laisser un peu d’autonomie aux individus. Autrement dit, la micro-tromperie n’est pas le mal, ni un remède, mais un symptôme d’une carence dans la relation.

Passer d’une mentalité de contrôle (je veux que tu me consacres toute ton attention et ton temps) à une mentalité de partage (j’aime le temps que nous consacrons à prendre soin de nous) redonne à chacun son autonomie et permet à la relation de s’ouvrir sur le monde (qu’elle soit ou non exclusive). Elle permet aussi à chaque partenaire d’enrichir sa vie à l’extérieur de la relation sans compromettre celle-ci.

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Exclusivité vs Transparence

Pour les gens qui effectuent le passage d’un mode de vie monogame à la non-monogamie éthique, certains comportements, émotions et habitudes sont difficiles à surmonter. On mentionne fréquemment dans les difficultés vécues la présence de jalousie et l’insécurité, et différents remèdes sont proposés pour y remédier. Je crois qu’il est utile par contre de réfléchir aux raisons pour lesquelles cette transition est si pénible parfois. J’avancerais qu’un univers où la monogamie est la norme a comme valeur centrale l’exclusivité (et ce, pas seulement dans les relations amoureuses) tandis que la non-monogamie a comme valeur centrale la transparence ou l’honnêteté radicale. Ces deux concepts peuvent parfois entrer en confrontation.

(AJOUT: lors de l’écriture du billet j’ignorais tout du mouvement Américain autour du « Radical Honesty » et je ne peux pas prétendre ici que j’adhère à ce mouvement ni à ses principes.  Fiez-vous plutôt à mes descriptions ci-bas pour comprendre ce que j’entends par honneteté radicale.)

L’exclusivité soutient l’univers monogame si intensément qu’elle en élimine à l’occasion la nécessité de communiquer. L’exclusivité devient ainsi réclusion, voir exclusion. Ce qui se passe entre deux personnes, de cette façon, ne peut appartenir qu’à ces deux personnes. Le couple s’appartient, autant émotionnellement que physiquement que financièrement (voire légalement). Chaque groupe, même les groupes non-amoureux, deviennent ainsi exclusifs. Ce qui se passe entre amis reste entre amis. On s’attend au secret et à la discrétion partout: c’est la caractéristique centrale des sociétés qui adoptent la monogamie. Cette discrétion est en soit rassurante: le silence vient confirmer qu’il ne se passe rien d’autre à l’extérieur du couple. Parler d’envies, d’attirances, de désirs qui minent l’exclusivité devient conséquemment dangereux, car la moindre brèche peut faire effondrer le mur isolant le couple des périls extérieurs. La communication devient secondaire, subordonnée à la protection du couple. Certains désirs et besoins ne peuvent être explorés, les partenaires peuvent être pris pour acquis, mais comme l’union va au-delà de l’amour et des besoins affectifs (le couple monogame étant une construction d’abord et avant tout économique) ces difficultés demeurent.

En contrepartie, la non-monogamie repose pour réussir sur la transparence. L’honnêteté radicale est nécessaire avec chaque partenaire pour bien présenter les attentes, les possibilités, et bien représenter les besoins et les désirs des personnes impliquées. Les contraintes, l’évolution des besoins, des désirs, et les transformations de chaque individu augmentent considérablement lorsque augmente aussi le nombre de partenaires. Impossible alors de s’en remettre aux sous-entendus, à l’opacité volontaire des propos et aux cachotteries puisque les autres réalisent rapidement l’incohérence entre ce qui est dit et ce qui est ressenti en ces circonstances. La transparence a l’avantage de s’étendre à l’ensemble de vos relations, peu importe la nature de celles-ci, et vous rend la vie beaucoup plus facile puisqu’il est inutile de se rappeler ce que vous avez dit et à qui.

Les difficultés des relations non-monogames débutent souvent lorsqu’un élément essentiel n’a pas été communiqué. Par exemple, si vous débutez une relation et que vous n’exposez pas clairement à votre nouvelle flamme le nombre de partenaires dans votre vie actuellement et l’intensité de la relation que vous partagez, cette nouvelle personne ne pourra pas comprendre la place que vous êtes prêt à lui faire, l’énergie et le temps que vous pouvez lui consacrer, etc. De même, si vous n’avisez pas vos partenaires lorsque vous vivez un épisode de NRE (new relationship energy, soit la passion des relations qui naissent) votre polycule aura de la misère à suivre et comprendre votre état émotionnel, ce qui peut générer du ressentiment, l’impression que les besoins d’autrui sont négligés, etc. Si vous vivez un moment difficile et que vous avez besoin de soutien supplémentaire, il faut aussi prendre l’habitude de le dire et de préciser quel est ce besoin. Tous ces éléments exigent évidemment un certain travail afin de parfaire sa connaissance de soi, mais ce travail vous aide à ajuster vos relations afin de répondre pleinement aux besoins et aux désirs de chacun des partenaires impliqués.

Tenter de passer d’une culture exclusive à une culture ouverte sans adopter cette transparence risque de créer des difficultés. C’est sans doute l’origine de la méfiance des gens qui pratiquent la non-monogamie envers les arrangements de type « don’t ask, don’t tell ». Le secret et la discrétion sont des caractéristiques des relations exclusives et ce genre d’arrangement cache souvent des infidélités ou des accords qui ne sont pas pleinement consentis ou compris. Même lorsqu’elle est consentie par les partenaires, cette ouverture secrète risque de créer des difficultés – comment planifier son horaire et ses sorties sans partager un minimum d’information sur ses autres engagements?

Élevés dans une culture du secret, l’honnêteté radicale peut sembler menaçante a priori, déstabilisante. Soyez certains cependant que la transparence paie et contribuera à fortifier l’ensemble de vos relations.

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