Pouvoir et relations

Comme la plupart des aspects de la vie occidentale, les relations amoureuses « traditionnelles » sont construites autour de relations de pouvoir. Certaines de ces relations sont explicites, d’autres plus insidieuses, mais toutes sont potentiellement néfastes. Dans un cadre polyamoureux, cette dernière phrase est encore plus véridique – c’est une des raisons qui fait de l’anarchie relationelle une philosophie intéressante à pratiquer, peu importe la configuration amoureuse que vous préférez.

Mais revenons aux relations de pouvoir. Elles sont explicites dans bien des cas. Dans les liens légaux qui viennent avec la mariage ou les différentes formes d’union reconnues socialement, dans les avantages fiscaux qui s’appliquent au couple par exemple. C’est aussi explicite dans les règles, us et coutumes qui permettent à un(e) conjoint(e) de dicter à l’autre son comportement, et qui fond qu’un conjoint se sent légitimement « plus important » que les autres relations (du genre, je suis ta blonde/ton chum, je devrais être plus important-e que tes ami-e-s).

Les relations de pouvoir par contre peuvent être plus insidieuses, cachées, et parfois ne rien avoir à voir avec la relation elle-même. Les inégalités économiques entre partenaires de même que les disparités sociales peuvent influencer fortement la dynamique relationnelle au sein d’un couple. Combien de conjoint n’osent pas mettre fin à une relation en raison de la perte de sécurité financière, ou encore parce que leur réseau d’amis au fil du temps s’est étiolé?

Si vous multipliez les relations, vous multipliez également les relations de pouvoir potentielles. Les polyamoureux.ses ne sont donc pas à l’abri de cet enjeu. Les curieux qui ouvrent leur couple pour la première fois, par exemple, ont souvent tendance à mettre en place toute une série de règles à suivre ou à respecter. Idem pour les couples qui cherchent une licorne (une partenaire bisexuelle, souvent exclusive à leur couple et en relation avec les deux membres du couple) mais qui désirent ensuite lui imposer de sévères restrictions sur le type de relation qu’elle peut avoir avec eux, voire sans eux. Tous les polyamoureux plus expérimentés vous le confirmeront: les règles ne sont pas une stratégie viable à long terme. Elles ne font que cimenter le débalancement du pouvoir entre les parties, généralement pour répondre aux insécurités de la personne qui dicte les règles.

Sans m’attarder sur les règles (d’autres en ont parlé avec beaucoup plus d’éloquence!) les liens de pouvoirs peuvent aussi être cachés, implicites dans les relations. Par exemple, si une personne polyamoureuse croit que les relations sont « hiérarchiques », c’est à dire, que certaines ont une importance et une légitimité plus grandes que d’autres, cette personne va le démontrer non seulement dans ses relations avec ses partenaires, mais aussi avec ses métamours. Prenons par exemple Jean, Pierre et Annie. Jean et Pierre ont une relation que Jean catégorise comme « principale ». Annie et Pierre ont une relation qu’ils ne catégorisent pas, Annie étant anarchiste relationnelle. Dans cet exemple, Jean pourrait se sentir légitimé d’empiéter sur le temps qu’Annie et Pierre partagent ensemble parce que pour lui, la relation entre Jean et Pierre est plus importante que la relation entre Annie et Pierre. Ça revient à ce qu’on illustrait plus haut comme comportement: je suis ton chum, je suis plus important que ton amie.

Dans cet exemple, Jean impose sa vision hiérarchique des relations à une personne (Annie), possiblement deux si on inclut Pierre également. Il s’agit de structures de pouvoir traditionnelles, héritées de la monogamie, qui sont reproduites dans un modèle polyamoureux mais qui ne sont pas du tout acceptables (Annie ayant probablement une opinion bien différente de l’importance des relations).

On n’échappera jamais aux relations de pouvoir entre individus, mais afin d’y remédier, il est important de développer deux capacités. D’une part, il faut être capable de reconnaître et d’identifier les relations de pouvoir. Si vous ressentez une contrainte, et que cette contrainte provient d’une partie qui n’est pas directement concernée dans la relation, et que vous n’avez pas consenti à cette contrainte, vous identifiez probablement une relation de pouvoir. (Attention par contre, si vous identifiez une contrainte, mais que vous n’êtes pas directement concerné par la situation – par exemple si vous êtes hétéro et que le mariage gai vous offusque, vous identifiez une situation de privilège).  D’autre part, il faut être en mesure de mettre en place suffisamment de contrepouvoirs pour équilibrer le tout. La communication entre partenaires et métamours demeure la meilleure façon d’arriver à cet équilibre. L’affirmation respectueuse de ses droits, désirs et besoins est un premier contrepoids lorsqu’on empiète sur votre vie privée et souvent le seul qui sera nécessaire. Sinon, il est peut-être temps de mettre un terme à cette relation.

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Le mythe de l’engagement

Retour sur une conversation typique qu’ont du avoir tous les gens qui vivent dans une quelconque forme de non-monogamie éthique (polyamour, anarchie relationnelle, etc.) à un moment ou l’autre de leur vie::

« Donc décris-moi ton style de vie? »

« Bien je fréquente plusieurs personnes, qui sont également libres de fréquenter plusieurs personnes… »

« Ah ok, dans le fond tu as peur de l’engagement! »

« Non, j’aime tellement ça m’engager que je le fais avec plusieurs personnes simultanément! »

J’attire votre attention sur le préjugé qui est immédiatement mis à l’avant plan: la peur de l’engagement. Cette espèce d’hystérie collective à-propos de l’engagement repose sur la proposition fort douteuse que non seulement l’humain est par défaut un être incomplet, mais qu’il ne peut être complété que par une relation durable – et essentiellement monogame – avec un (et un seul) autre être humain – préférablement la personne qui critique.

I call bullshit.

On peut méticuleusement décortiquer et détruire chaque composante de cette proposition. D’abord, s’il faut bien reconnaître une nécessaire interdépendance chez les humains, il y a toute une différence entre ça et l’incomplétude. L’être humain n’a pas « besoin » de qui que ce soit pour le compléter et le réaliser et on ne manque pas de réalisations par de grands solitaires afin de nous le rappeler sur une base régulière. Le compositeur Haendel, à qui on connait très peu de relations romantiques, en est un bon exemple. L’actrice (et par la suite brièvement espionne) Greta Garbo en est un autre.

Une personne peut donc fort bien se réaliser dans la solitude et avoir une vie complète et bien remplie, incluant de nombreuses interactions avec autrui. Pour ces personnes, on ne parle pas tant de peur, mais bien d’un refus de l’engagement romantique. C’est une décision de surcroît qui est parfaitement acceptable si la personne y trouve plus de bien-être.

Parler de « peur » de l’engagement est en fait une forme de coercition sociale qui fait de « l’engagement » une performance sociale à accomplir. L’argument va comme suit: on peut avoir peur d’aller au combat, peur de grimper une montagne, peur de changer d’emploi – on craint en général les conséquences liées à une mauvaise performance (possiblement fatales dans les deux premier cas). La relation de couple dans le Modèle Standard est présentée encore une fois comme une activité de performance (avec des buts précis à atteindre), donc ceux qui refusent de participer à cette activité doivent avoir peur aussi, non?

Cet argument ne fait plus aucun sens dès que vous ne souscrivez plus au Modèle Standard des relations (lire par exemple cet ancien billet). Il ne fait pas de sens si vous ne cherchez pas à être en relation, mais préférez une approche plus ponctuelle. Il ne fait pas de sens si vous voulez vraiment vous investir au sein de plus d’une relation (comme le démontrent les articles que je citais il y a deux semaines). Surtout, il ne fait aucun sens si votre point de référence pour l’engagement est une autre entité que le couple. Rien ne vous empêche de vous engager pour votre travail, votre famille, votre polycule, votre communauté. Dans ce dernier cas plus précisément, il est possible d’imaginer cultiver une multitude de relations amicales, romantiques, sexuelles au sein d’une même communauté afin de contribuer à renforcer les liens au sein de celle-ci et de la rendre pérenne.

L’engagement n’a pas à être une norme extérieure à l’individu. On l’a érigé en mythe, en institution et en contrainte sociale fort pratique pour obliger les gens à respecter un modèle de relation plus conventionnel. Plus précisément, lorsqu’une personne invoque la peur de l’engagement d’autrui, elle parle plus souvent de la peur de l’engagement « avec elle ». Le mythe devient à la fois un outil de contrainte et un moyen de se rassurer quant à sa propre valeur (ce n’est pas moi qui est en cause, c’est l’autre qui refuse de s’engager).

Au contraire,  l’engagement est un choix profondément personnel et une décision à respecter dans tous les cas et par toutes les parties, et sa forme n’a pas à être régie par personne.

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