Un des préjugés entendus contre le polyamour est que les gens qui le pratiquent doivent avoir une santé mentale déficiente, malsaine, bref, qu’ils sont un peu défectueux. Sinon, bien entendu, pourquoi ne pas simplement se contenter du bon vieux Modèle Standard ™? Selon ces préjugés, il faut qu’une personne soit bien dépendante affectivement pour accepter de vivre dans une telle relation, ou encore manipulatrice et narcissique pour convaincre autrui d’adhérer au modèle. Parfois, le préjugé vient de l’intérieur de la communauté, par l’observation de la prévalence de différents troubles de personnalité. On en vient à penser que, par exemple, il y a plus de gens avec un trouble de personnalité limite qui sont intéressés par le polyamour.
Heureusement, les chercheurs commencent à se pencher sur cette question et leurs découvertes permettent de mettre aux rancart ces préjugés, dépeignant un portrait beaucoup plus nuancé de la psychologie des polyamoureux. Je vais mentionner ici trois études qui pourront aussi servir de point de départ aux gens intéressés par ces questions. Les références bibliographiques sont au bas du billet.
Les faits
Rubel et Bogaert (2015) effectuent une revue de littérature exhaustive qui démontre que les monogames ne diffèrent pas significativement des non-monogames consensuels sur un vaste éventail de traits de personnalité. Certains indicateurs pointent vers un bien-être général ou un niveau de bonheur plus élevé en raison de sentiments d’excitation et d’appartenance à une communauté. D’autres indicateurs en revanche laissent penser qu’un bien-être général plus faible pourrait mener certaines personnes vers les relations non-monogames, sans qu’il soit possible d’établir un consensus clair sur cette question. Aucune différence significative n’a été établie dans la consommation d’alcools ou d’autres drogues. La qualité de la relation et la satisfaction des partenaires face à celle-ci ne diffère pas entre monogames et non-monogames.
King (2015) de son côté, en ancrant son étude dans la théorie de l’attachement, a étudié un échantillon de femmes hétérosexuelles vivant des relations monogames ou polyamoureuses et n’a pas été en mesure de déceler d’écart significatif au niveau de l’anxiété ou de l’évitement.
Mitchell, Bartholomew et Cobb (2014) démontrent que les polyamoureux ne « compensent » pas une relation insatisfaisante en cherchant d’autres partenaires pour combler leurs besoins. Les relations polyamoureuses d’une même personne opèrent de façon indépendante les unes des autres. Chaque relation forme un tout au niveau de la satisfaction des besoin, de la satisfaction dans la relation et de l’implication dans celle-ci.
Origine du préjugé
D’où alors viennent ces préjugés sur la santé mentale? Je n’ai pas fait de sondage scientifique sur la question, mais j’avancerais deux hypothèses qui mériteraient d’être testées en temps et lieu, soit une hypothèse externe à la communauté polyamoureuse, et une hypothèse interne.
L’hypothèse externe est que les accusations relatives à la santé mentale sont en fait une forme de manipulation particulièrement insidieuse nommée « Gaslighting » qui vise à forcer la victime à remettre en question sa propre santé. Ces attaques et préjugés visent donc à faire rentrer les polyamoureux dans le rang des bons petits monogames en essayant de leur faire croire qu’ils sont tout simplement malades.
L’hypothèse interne repose sur l’intuition mathématique (non-confirmée empiriquement) que si une personne mène plus d’une relation simultanément, il est statistiquement plus probable qu’un ou une de ses partenaires souffre d’un problème de santé mentale à n’importe quel moment dans le temps qu’une personne en relation monogame. Les gens polyamoureux seraient donc plus susceptibles d’être exposés à ces enjeux que les monogames, d’où une fausse impression d’incidence plus élevés de troubles mentaux dans la communauté polyamoureuse.
Pourquoi il faut en parler
Ces préjugés sont particulièrement dangereux car non seulement ils visent à mettre à l’écart, à isoler, ou à rabaisser les polyamoureux, mais aussi parce que de par leur nature même ils renforcent davantage les préjugés dont souffrent déjà les personnes aux prises avec des enjeux de santé mentale.
Or, que ces dernières soient polyamoureuses ou monogames ne change au final rien du tout. Il est important, en tant que société, de faire preuve de compassion et d’inclusion envers tous ses membres. Plutôt que de discriminer sur la base de la santé mentale, il faut viser à comprendre ces enjeux, intégrer les personnes qui en souffrent, leur laisser aussi une voix et une place au sein de nos communautés.
Donc, la prochaine fois qu’on vous servira de cette salade, vous pourrez répliquer sur deux fronts: premièrement, que ces préjugés sont erronés, et deuxièmement, que ces préjugés démontrent l’absence d’empathie de celui ou celle qui les profère.
Alicia N. Rubel & Anthony F. Bogaert (2015) Consensual Nonmonogamy:
Psychological Well-Being and Relationship Quality Correlates, The Journal of Sex Research,
52:9, 961-982