Les autres types de relation

L’anarchisme relationnel a ceci de propre, dans la grande famille de la non-monogamie éthique, qu’il n’établit pas de hiérarchie a priori entre les différents types de relations. Ça semble en apparence anodin comme distinction, mais plusieurs personnes sont habituées à les séparer et les hiérarchiser, et il vaut la peine par moment de revisiter ces différents types de relation. 

La plupart des gens sont familiers avec les relations romantiques selon ce que j’appelle le « modèle standard »: la relation romantique est également amicale, sexuelle, exclusive, pérenne, etc. Les relations purement amicales ou purement sexuelles ne sont également pas difficiles à concevoir. Mais d’autres liens peuvent unir les gens, au-delà de ces formes de relation. 

Un type d’activité dont on commence de plus en plus à parler dans les médias, entre autre grâce au succès des livres et films de la série 50 Shades of Grey, est le BDSM, un acronyme qui regroupe une série de pratiques autour du sado-masochisme, de la domination et de la soumission, du shibari (l’art de ligoter) ainsi que plusieurs autres « kinks » sexuels ou non. Au-delà de cette discutable représentation médiatique qui fait abstraction du consentement, ces pratiques requièrent généralement un haut degré de communication (verbale et non-verbale) et un lien de confiance fort entre les participants.  Ces liens et la répétition de ces gestes peuvent aboutir sur une relation qui n’incluera pas nécessairement l’amitié, l’amour ni la sexualité. L’activité BDSM en soit valide la relation de ces personnes. 

D’autres exemples de liens sont basés sur une communauté d’intérêts partagés. Un hobby peut réunir les gens. Un partenaire de cartes qu’on voit toute sa vie le vendredi soir peut devenir une personne importante dans notre vie.  Une cause sociale, culturelle ou politique peuvent unir deux personnes (voire plusieurs). Ceci peut les emmener à faire équipe, à développer aussi une relation forte, nourrie par leur implication commune et leur idéologie, qu’elle soit socialement acceptable ou pas. Celle-ci débouche parfois sur un autre type de relation (Bonnie et Clyde, par exemple), parfois pas. Cette relation peut également être professionnelle, et durer ou non dans le temps.  

Les liens familiaux tissent également chez certaines personnes toute une série d’obligations et il n’est pas rare de voir des individus consacrer plus d’énergie à leur famille immédiate ou élargie qu’à d’autres types de relations. La proximité tissée par ces liens débouche parfois sur des collaborations professionnelles: les frères Wright, Marie Curie et sa fille Irène Joliot-Curie, et ainsi de suite. Historiquement d’ailleurs, les liens du sang passaient avant la romance dans les mariages, et ces cérémonies étaient d’abord et avant tout des transactions visant à garantir et consolider les alliances entre deux familles – l’opinion des époux étant parfois accessoire. 

Je ne recommanderais pas de revenir à un tel modèle de nos jours. Par contre, chacun de ces types de relations est en soit valide s’il est consensuel, bénéfiques pour les participants, et reconnu comme important et légitime par ces derniers également. Si dans ces conditions ces liens sont tellement forts qu’ils priment sur d’autres types d’attachement, ce n’est pas quelque chose que nous devons juger mais simplement accepter comme composante du bonheur et de l’équilibre de ces individus. 

Pour certain-e-s, il va de soi que toutes ces formes de relations sont importantes dans une vie. L’anarchisme relationnel en tant que philosophie emmène simplement la nécessité de les considérer comme des relations valides en elles-mêmes, si jamais on avait perdu ce simple fait de vue. 

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Offre et demande polyamoureuse

On me pose souvent la question de savoir comment on fait pour rencontrer d’autres personnes lorsqu’on vit en solution de non-monogamie (couple ouvert, polyamour, anarchie relationnelle, etc.). En réalité ce n’est pas si complexe que ça dans la mesure où certains des prérequis de base de la rencontre amoureuse changent lorsqu’on a plusieurs relations.

Commençons par modéliser l’offre et la demande de relation monogame, et explorons ensuite les variantes.

En supposant que l’amour est un marché (et ici, le marché dans son expression idéale, soit un lieu d’échanges) où un seul critère est recherché (ce critère pourrait être la grandeur, l’éducation, la richesse, la qualité de la langue française, l’engagement social, mais pour faire ça superficiel, je vais prendre la beauté), ET en supposant que la beauté est un caractère objectif et universellement reconnu (ce qui n’est pas le cas, mais c’est pour la démonstration, là)…

Toutes choses étant égales par ailleurs, les personnes « objectivement belles » recevront beaucoup plus d’offres que le les personnes « objectivement non-belles ». Ceci dit, comme chaque personne ne cherche qu’une seule et unique relation, elles doivent répondre aux offres reçues de façon à sélectionner le meilleur candidat possible. Donc, pour équilibrer l’offre et la demande, les personnes « obectivement belles » répondront à beaucoup moins d’offres et les personnes « objectivement non-belles » devront répondre à beaucoup, beaucoup plus d’offres, voire faire plus de demandes de leur côté.

En d’autre mots, comme la personne « objectivement belle » est pas mal plus populaire, les chances qu’elle sollicite une autre personne sont beaucoup moindres.. Et comme la personne « objectivement non-belle » doit solliciter plus de gens, les chances qu’elle sollicite une autre personne qui ne la trouve pas de son goût sont très élevées. L’essentiel du comportement sur les sites de rencontre n’est donc au final qu’une question d’équilibre des courbes d’offres et de demande.

Dans la réalité, il y a plein de critères qui font qu’une personne se perçoit comme populaire ou désirable, ou non, et les réactions vont changer selon cette perception – pas nécessairement dans le sens que j’ai décrit. Il y a d’ailleurs une étude fascinante des comportements des usagers face à la beauté perçue sur le blog du site Ok Cupid (et l’épiphanie de Nash menant à sa théorie de l’équilibre, dans le film A Beautiful Mind, vaut absolument le détour).

Ajoutons une autre dimension à cette analyse. Le libre-marché, pour fonctionner efficacement, dépend d’une circulation libre et entière de l’information entre les participants. C’est ce qui permet à tout le monde de faire des choix éclairés. Dans un contexte monogame, vous voudrez par contre vous assurer que l’information diffusée vous assurer une rencontre optimale. Si vous avez assez confiance en vous pour être totalement transparent, vous maximisez les chances d’avoir un match qui corresponde à vos affinités. Si par contre vous croyez être sous la moyenne quant à vos diverses qualités, une stratégie plus appropriée serait d’adopter des allures mystérieuses, des demi-vérités, voire ne pas diffuser d’information du tout.

Dans l’optique du polyamour le changement devient encore plus intéressant, car le choix n’a pas besoin d’être unique. Comme le choix ne se fait plus selon un dosage parfait de tous les critères souhaités par une personne, mais selon une attirance qui peut reposer sur un seul, ou une partie, de ces critères, les possibilités de connexions intéressantes sont multipliées par un facteur beaucoup plus élevé que le nombre de partenaires optimal recherché par chaque personne.

La transparence devient ainsi un outil de multiplication des rencontres car, plutôt que d’espérer le match parfait, vous préférerez multiplier les différentes qualités exprimées de façon à rejoindre le plus vaste éventail de partenaires possible.

Cette justification explique pourquoi on passe d’un modèle de rareté des relations à un modèle d’abondance, pourquoi la transparence absolue est une option payante, et pourquoi il est paradoxalement facile de rencontrer, même à l’intérieur de ce qui semble en apparence une communauté réduite.

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