Je ne suis habituellement pas du genre à citer du Petit Prince ou encore à méditer sur les citations inspirantes de tout acabit. Cependant j’ai relu dernièrement un chapitre bien connu et mon attention s’est attardé sur un passage que l’on néglige généralement:
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche:
– Ah! dit le renard… Je pleurerai.
– C’est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise…
– Bien sûr, dit le renard.
– Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.
– Bien sûr, dit le renard.
– Alors tu n’y gagnes rien !
– J’y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
On retient souvent de ce chapitre le rituel d’apprivoisement du renard qui le débute et surtout, la phrase: « l’essentiel est invisible pour les yeux, » qui vient plus loin. Je crois par contre que la leçon la plus importante se cache dans l’extrait ci-dessus et ce, pour quatre raisons:
- Le chagrin que nous vivons dans le deuil n’est pas à blâmer sur l’autre dans une relation librement consentie
L’amour du renard n’émerge pas d’une volonté de contrôle ni d’un vide ou d’un manque intérieur. Quand le Petit Prince dit « je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t’apprivoise, » le renard ne se rebiffe pas. Il ne se fâche pas contre le départ de son ami. Il ne le blâme pas. Il accepte cette décision sans la remettre en question car le départ inévitable de son ami faisait partie des conditions connues lors de l’entrée en relation. Sa seule réponse est « Bien sûr. » Sa réaction au deuil est mature et l’amour qu’il porte pour son ami lui fait accepter la nécessité de cette séparation.
2. C’est le sens que l’on créé à partir des événements qui nous permet de surmonter le deuil.
Quand le renard proclame qu’il y gagne à cause du blé (en fait, du souvenir des cheveux du Petit Prince, qui sont de la même couleur) il démontre que le deuil s’est déjà fait et qu’il a donné un nouveau sens aux événements. Ce n’est pas la présence physique de son ami qui importe, mais son existence. Le rappel qu’il existe quelque part est suffisant pour le réjouir. Mais comment peut-il faire un deuil aussi rapidement?
3. Le deuil doit débuter dès le moment de la rencontre.
Le renard sait, dès les premiers instants, que son deuil sera inévitable et qu’il ne comptera pas sur la présence constante de son ami. L’attente et l’absence, en fait, font parties des éléments qui rehaussent l’expérience de son bonheur. D’où cette référence au blé, à sa couleur, au bruit du vent qui le secoue et que le renard prévoit commencer à aimer. Il a posé dès les début de leur relation les bases d’une signification pérenne, qui ne dépend pas de l’immédiat ni de la présence de l’autre mais bien de la valeur et du renouveau des expériences vécues.
4. Ce n’est pas la durée qui valide une relation mais ce qu’en retirent les participants
Tel que mentionné ci-haut, le renard s’est préparé au deuil. Il l’a fait en sachant fort bien que la relation qu’il développerait avec son ami serait de courte durée. Ceci a été présenté de façcon explicite par le Petit Prince, qui déclarait lors de leur rencontre initiale: » …je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître ». Sachant celà, il a quant même pris le risque de créer un lien, de se laisser apprivoiser. Au caractère éphémère de la relation, il a choisi d’opposer la chaleur impérissable des souvenirs et du sens. C’est une proposition audacieuse dans un monde où on tâche sans cesse de nous convaincre que les relations qui défient le temps sont des exemples à suivre à tout prix.
Il y a en fait dans ce passage entier des éléments qui sourient à l’anarchie relationnelle. Le Petit Prince et le renard nouent une relation basée sur la transparence et le consentement. Ils communiquent clairement leurs limites, les gestes acceptables en relation, les fréquences auxquelles ils désirent se voir. Ils ne tentent pas de faire entrer la relation dans un moule prédéfini mais co-créent plutôt ensemble le modèle qui leur convient. Mais surtout, on avance qu’il vaut la peine d’aimer même si cet amour sera éphémère et transitoire, que cet amour lui même porte son propre sens et n’a pas besoin d’être validé autrement pour enrichir la vie des personnes qui y participent.