L’accompagnement et la solidarité

Les relations non-monogames éthiques n’auront jamais été autant sous les feux des projecteurs. Les références dans la culture populaire y sont de plus en plus fréquentes et le sujet n’est plus aussi tabou. Paradoxalement, cette nouvelle acceptation de modes de vie amoureux différents se fait en parallèle avec une montée inquiétante du conservatisme, couronnée par l’élection d’un fou furieux doublé d’un narcissique au sud de la frontière, mais tout aussi perceptible dans le discours (et les intentions de vote) en France, au Canada, en Grande-Bretagne et ailleurs.

Dans les circonstances, la solidarité est de mise et devrait se manifester avant tout par l’ouverture aux questionnements des curieux. S’il est vrai qu’on peut arriver au polyamour, à l’anarchie relationnelle ou au couple ouvert par différents chemins (inné chez certain, long cheminement philosophique pour d’autres, et parfois simple curiosité), il n’en demeure pas moins qu’une majorité de personnes font le saut d’une vision plus traditionnelle et désuète des relations (monogamie hétéronormative exclusive aux fins de reproduction) vers un cadre qui correspond aujourd’hui plus à leurs aspirations. Ce faisant, il est nécessaire d’abandonner certains repères et d’en construire d’autres.

J’appelle alors les gens qui ont déjà plus d’expérience avec les concepts de base de la non-monogamie éthique à s’impliquer de plus en plus activement dans leur communauté afin d’appuyer celle-ci. Si ce n’est déjà fait, familiarisez-vous avec les textes classiques (La salope éthique/The Ethical Slut, More than Two, Opening Up, Le guide des amours plurielles, etc.). Il y a plusieurs façons différentes de vivre la non-monogamie éthique et ces textes vous donneront des perspectives intéressantes sur les façons qui diffèrent de la vôtre, mais qui pourraient répondre aux questions qu vous recevrez. Plutôt que simplement orienter les curieux vers ces livres (ce qui n’est pas mauvais en soi, ceci dit), vous pourrez les conseiller avec des passages qui correspondent plus exactement à leurs interrogations.

N’hésitez pas à rejoindre et à participer aux échanges au sein des nombreux groupes Facebook regroupant les communautés polyamoureuses (il y en a certainement une dans votre région, une simple recherche sur les termes Polyamour, Anarchie Relationnelle, Amours Plurielles, Non-Monogamie Éthique vous suffira à les retrouver). Soyez patients, n’oubliez pas qu’il s’agit d’une première expérience pour plusieurs participants et du premier « safe space » pour poser des questions et faire part de ses inquiétudes pour plusieurs d’entre eux, ce qui peut donner l’impression que tout le monde cherche une bouée de sauvetage. Partagez vos expériences positives aussi car on apprend autant par l’exemple que par la lecture.

Enfin et surtout, soyez conscient des inégalités potentielles lorsque vous êtes en relation avec une personne qui commence à explorer les relations non-monogames éthiques. Il est toujours bon de se rappeler le « Campsite Rule » de Dan Savage dans ces circonstances: la personne la plus âgée/expérimentée dans une relation doit toujours faire de son mieux afin de s’assurer qu’à la fin de la relation, l’autre ou les autres partenaires se retrouvent en aussi bon, sinon en meilleur état physique et émotionnel qu’auparavant.

Une dernière note: avec la popularité des termes vient également le détournement de sa signification. Attendez-vous donc à voir plus de gens qui se prétendent « polyamoureux » sans que leur conjoint-e ne soit au courant (alors que le polyamour se veut nécessairement transparent), des « anarchistes relationnels » qui masquent l’égoïsme et l’absence d’implication derrière cette philosophie (alors que l’anarchisme est avant tout orienté vers la communauté et la gestion participative), ainsi de suite. Éduquez-les  d’abord en privé sur la vraie signification de ces termes, car la communauté n’est pas si grande qu’elle peut se permettre d’entretenir des conflits et des médisances qui pourraient être facilement évitées. Mais si le message ne passe pas, n’hésitez pas à les identifier afin de protéger le reste de la communauté.

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Découvrir les autres par la sensualité et la sexualité

L’anarchie relationnelle est une façon de vivre ses relations avec les autres qui, pour méconnue qu’elle soit, offre néanmoins plusieurs avantages autrement inaccessibles. L’un de ces avantages est la capacité de réaliser à leur plein potentiel une multiplicité de relations, peu importe la nature de celles-ci.

La pression sociale qui limite la sexualité à un partenaire, l’exigence d’exclusivité dans les relations et une transposition malsaine des concepts de propriété aux relations amoureuses mènent autrement à un appauvrissement malheureux de la réalisation sexuelle et relationnelle de chaque personne. On en oublie que la sexualité est aussi une façon de communiquer et, sans avoir la richesse sémantique du langage, elle permet de partager une large gamme d’émotions, d’expériences, de sensations de même que d’informations entre les partenaires impliqués.

J’irai au-delà de la simple notion de sexualité pour aborder celle, plus vaste, d’intimité physique. Après tout, le même inconfort, les mêmes contraintes s’appliquent socialement pour l’intimité. Dans ce qu’on peut appeler le Modèle Standard des relations de couple, l’intimité physique platonique (que ce soit une caresse sur la joue, un baiser sur la nuque, etc.), hors du cadre familial – personne ne remet en question le droit d’un parent d’embrasser ses enfants – est restreinte au conjoint et exceptionnellement à de très proches amis. Autrement elle doit s’inscrire dans des actes culturellement circonscrits, comme faire la bise par exemple, ou offrir un câlin dans une situation de réconfort. L’intimité physique romantique (longues embrassades et autres) et sexuelle est réservée au conjoint, sans exception.

Pourtant, toutes les personnes n’aiment pas se faire toucher de la même façon, on l’imagine bien, et réagissent différemment à diverses caresses. Que vos gestes soient plus déchaînés, animaux, possessifs, allant d’une bonne empoignade des cheveux, des hanches, des épaules, voire du cou, ou qu’au contraire ils soient délicats, légers et presque désincarnés,  d’une absolue délicatesse, une friction à peine perceptible entre le bout d’un doigt et la peau, vivant dans la beauté éphémère du moment, les réactions de votre partenaire vous informent sur bien plus que son plaisir immédiat.

Les réactions de l’autre vous en disent long sur sa façon d’accueillir ces gestes, ces attitudes,  et peuvent fournir des indices sur ses expériences passées et ses désirs futurs, indices que vous utiliserez pour moduler vos prochains gestes. L’échange devient alors communication.

Rien n’empêche de regrouper différents types d’expression physique d’ailleurs. Essayez par exemple de caresser doucement votre partenaire avec votre tête, un peu comme le ferait un félin, et vous découvrirez soudainement tout un nouveau monde d’intimité et de vulnérabilité.

Au-delà de la sensualité, les comportements en faisant l’amour sont révélateurs. Votre capacité de percevoir le plaisir et les désirs de l’autre, de les accueuillir et d’y répondre, de communiquer les vôtres, vos réactions ludiques, gênées, fermées ou ouvertes, etc. face à des comportements ou des gestes nouveaux ouvrent une fenêtre nouvelle sur votre personnalité. Les gestes eux-mêmes, la façon de les poser, en dit long sur la façon dont une personne s’est appropriée sa sexualité, la revendique pour elle-même ou la vit plutôt dans le désir de faire plaisir à autrui ou de se conformer.

Votre capacité d’être attentif à ces réactions et à ces indices se développe comme le reste avec l’expérience. Cet apprentissage ne doit pas seulement se faire à l’instinct – n’hésitez pas à demander ce qui plait, ce qui rebute, à confirmer vos intuitions à l’autre, à préciser comment vous aimez être touchés et pourquoi, à explorer  et laisser explorer. Bien entendu, avec un ou une seule partenaire exclusivement, vous apprenez à comprendre le langage de cette personne avec un degré de précision considérablement élevé. En contrepartie, en multipliant les rencontres vous élargissez considérablement la palette de sensations auxquels vous êtes réceptifs et grâce auxquelles vous êtes en mesure d’échanger. La courbe d’apprentissage étant toujours plus forte en commençant, vous apprenez plus rapidement avec plusieurs partenaires qu’en vous restreignant à un(e) seul(e).

Vous augmentez en fait non seulement la richesse de votre langage tactile, mais également le nombre des contextes où déployer votre vocabulaire. Tel que mentionné plus haut, l’intimité n’est pas que sexuelle. Elle peut être platonique, romantique, et au final l’anarchie relationnelle fait de toute façon peu de distinction entre ces caractérisations arbitraires. Selon le moment et la personne, agripper doucement la nuque et mordiller un trapèze pourrait être un geste d’invitation à plus d’intimité, ou de réconfort dans un moment de doute. Faire glisser lentement votre index sur sa peau peut revêtir un caractère sensuel, côte à côte dans le lit, ou apaisant si l’autre s’ouvre avec angoisse et vulnérabilité pour vous confier une situation difficile.

Dans tous les cas, vous communiquez avec une intimité que les mots ne permettent pas et vous permettez à votre relation d’habiter un espace émotionnel plus vaste.

 

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