Ses besoins VS les besoins des autres

L’affirmation de soi est devenue la mesure employée pour l’évaluation de la réussite personnelle. La réalisation personnelle – pas uniquement financière ou professionnelle – est donc aujourd’hui un gage de succès. Les enfants sont encouragés à développer leurs rêves, à les réaliser, et autant l’éducation que la publicité renforcent ce modèle en vous inspirant ou vous rappelant insidieusement qu’en tant qu’individu, vous devriez aspirer à un modèle et tenter de le réaliser ou de le surpasser.

La réalisation individuelle n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais notre obsession sur cette dernière occulte une pratique tout aussi, sinon plus important, soit la réalisation communautaire. Présentement la société nord-américaine valorise beaucoup plus le premier au détriment du second. Ainsi, les professions de natures plus sociales, engagées et tournées vers la communauté sont non seulement moins bien rémunérée, mais offrent des conditions de travail beaucoup plus difficile que celles orientées vers la réussite financière; pensez aux infirmiers, enseignants, travailleurs sociaux et intervenants communautaires – des emplois nécessitant parfois des études considérables. On y dégage aussi l’influence pernicieuse du privilège de genre – ce sont des emplois que l’on associe fréquemment au genre « féminin » et qu’on rémunère moins bien tout en les prenant moins au sérieux, malgré leur rôle essentiel.

Dans le modèle traditionnel des relations, il est un peu pris pour acquis que les deux partenaires doivent s’efforcer mutuellement d’exprimer leurs besoins, leurs désirs tout en répondant à ceux des autres. Une relation épanouie, aujourd’hui, est une relation qui maximise la possibilité de réalisation de soi des deux partenaires. Dans une relation à plusieurs cependant d’autres enjeux se posent. Comment réconcilier des visions du monde et des aspirations qui peuvent varier entre amoureux, métamours, polycules différents mais nécessairement interreliés?

Tout comme dans la société en générale, la solution passe par la valorisation du rôle communautaire. Au sein de chaque groupe de personne, il est primordial d’adopter des pratiques et des comportements qui favorisent le succès du groupe en entier et le bien-être de chaque individu dans le groupe. Par exemple, s’assurer discrètement que tous les invités sont confortables lors d’une soirée, lors d’un souper. Pour les événements plus enflammés, il est important de toujours valider le confort et le consentement des invités lorsque les activités se pimentent un peu. La liste d’exemples pourrait s’allonger infiniment selon la variétés des contextes sociaux.

Ces rôles sont non seulement importants mais priment sur la réalisation individuelle. Une personne qui pense d’abord à ses propres désirs dans une soirée risque de froisser ou de heurter d’autres individus, qui passeront une moins belle soirée et dont le ressentiment pourra affecter ce que vivent tous les autres convives. Ça rejoint indirectement ce que Dan Savage appelle le « campsite rule »: dans une relation, le partenaire plus âgé ou expérimenté a une responsabilité de laisser l’autre partenaire en aussi bon ou meilleur état qu’il l’a trouvé. Dans un contexte social, cette responsabilité est partagée entre tous les participants. Donc le plaisir de l’individu doit être subordonné au plaisir collectif, et tout comportement qui favorise le second face au premier doit être souligné, encouragé et reconnu.

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