Le droit, la liberté et le plaisir de choisir

Pour les personnes qui adhèrent toujours à un mode de pensée monogame exclusif, le choix d’un-e partenaire romantique a des implications énormes. Il est nécessaire de trouver « le bon » ou « la bonne », avec qui on sera prêt à embarquer dans l’ascenseur relationnel (maison, famille, etc.) pour le reste de sa vie. Comme le mot « exclusif » le sous-entend, il s’agit non seulement de choisir une personne, mais également d’exclure toutes les autres personnes en tant que partenaires éventuel-le-s.

Autrement dit, dans la monogamie, choisir, c’est l’exclusion. Choisir, c’est renoncer.

On ne renonce pas seulement aux autres en tant que partenaires romantiques, mais parfois même à certaines amitiés. La hiérarchisation des relations inhérente au système monogame fait que les amitiés sont vues comme moins importantes, moins privilégiées, subordonnés à la relation romantique principale. Pensez aux nombres d’ami-e-s que vous voyez soudainement moins souvent depuis qu’ils ou elles sont en couple (ou depuis que vous l’êtes!) pour le constater.

Bien que certaines relations non-monogames éthiques requièrent une forme d’exclusivité (on pense aux triades fermées par exemple), ce n’est pas le cas de toutes. Dans une philosophie anarchiste relationnelle, cette exclusivité n’a plus aucune raison d’être en fait, sinon rarement comme un élan temporaire unissant deux ou plusieurs personnes.

Le choix d’un-e partenaire revêt alors une toute autre siginification. Il n’est plus un geste d’exclusion, mais un geste d’inclusion. Il s’agit d’accueillir une nouvelle personne dans le cercle de nos relations, polycules, amis, amours, métamours, etc. C’est un ajout à une vie émotionnelle parfois déjà très riche: non seulement la nôtre, mais celle de toutes les autres personnes avec qui nous sommes en relation également. Au sein d’un polycule ouvert et transparent, chaque nouvelle personne est une richesse pour l’ensemble du polycule.

Vos choix deviennent ainsi un plaisir pour autrui également, et non plus une menace. De même, les choix d’autrui deviennent des opportunités de découverte pour vous. Une fois libéré de la menace de l’exclusion, on découvre l’immense joie qu’il peut y avoir à cultiver plusieurs relations simultanément.

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Conceptions du temps en (poly)amour

Notre société a plusieurs métaphores face au temps – ces métaphores en révèlent long sur nos priorités collectives. La plus commune est de voir le temps comme une ressource, une ressource limitée et rapidement épuisable, en forte demande, et ayant par conséquent une valeur. D’ailleurs, c’est ainsi qu’on rémunère votre temps, mais c’est aussi la base de plusieurs clichés « pop-philosophiques » du genre « Imaginez que vous débutiez chaque journée avec 86 400$ en banque mais qu’ils disparaissent à la fin de la journée ».

Comme le temps est une ressource que nous mesurons, que nous quantifions, ça nous permet de mettre des jalons à des quantités prédéterminées (que nous appelons des dates) et conséquemment de fixer des objectifs pour ces jalons. On veut être millionnaire à 40 ans, on veut prendre sa retraite à 55-60-65 ans, on veut finir d’acheter nos cadeaux de Noël pour le 23 décembre. Les relations n’y échappent pas: on veut être en couple à 25 ans, acheter une maison à 30 ans et avoir des enfants dans l’année qui suit, par exemple.

Ce n’est pas faux. Le temps peut effectivement être vu comme une ressource que l’on peut mettre à profit. On utilise le temps donné pour travailler sur une relation, atteindre des buts, progresser dans sa carrière. Cette métaphore sous-tend l’ascenseur relationnel. Mais ce n’est pas la seule métaphore qui tienne, au contraire. Il y en a au moins deux autres qui sont particulièrement appropriées pour les polyamoureux.

Tout d’abord, je suggère de voir le temps comme un espace que l’on occupe (ou pas). Les polyamoureux qui ont de la misère à jongler les rencontres dans leur agenda hyper-chargé comprendront instantanément ce que je veux dire. Au lieu de voir les jalons temporels comme des cibles ou des marqueurs, on peut les voir comme des frontières qui définissent un espace, espace qui sera consacré à une activité précise: passer une soirée avec son amoureux-se. Rencontrer des amis. Étudier. Ne rien faire (parfois, il faut délimiter un espace juste pour ça).

Si, dans la première métaphore, l’humain est en mouvement dans le temps (qui lui aussi est en mouvement) et cherche à atteindre un objectif donné, dans la seconde, il peut être immobile. Il occupe un espace de temps qui est d’ailleurs aussi immobile. L’important n’est plus nécessairement d’atteindre un objectif, l’objectif étant d’avoir immobilisé le temps pour vivre une activité précise.

Mais il rester une autre possibilité à explorer, soit que l’être humain demeure immobile, mais que le temps se déplace autour de lui. Autrement dit, au lieu de nous voir nous-mêmes motivés par un but, par un objectif, et agir en conséquence (une vision téléologique de l’existence et des relations) on peut aussi s’imaginer comme existant tout simplement dans le moment présent, nous adaptant aux circonstances, rencontres et partenaires qui nous sont présentés par les flots incessant du temps. Dans cette métaphore, le temps est un peu comme une rivière (« la vie est un long fleuve tranquille ») et le polyamoureux, un pêcheur au bord de la rivière qui savoure la journée et, occasionnellement, la prise que la vie laisse dans ses filets mais qu’inévitablement elle reprendra avec elle dans son cours. Autrement dit, un certain détachement face au futur permet l’appréciation plus complète du moment.

Toutes ces conceptions du temps sont valides et enrichissantes dans la mesure où nous sommes conscients de leur existence, bien sûr, mais aussi de leurs limites et de leur portée. Certains des stress vécus en relation (pas tous, loin de là) peuvent être ré-examinés à la lumière de la conception du temps. Sommes-nous trop en train de nous projeter dans le futur et pas assez en train d’essayer d’occuper le moment présent? Essayons-nous de contrôler le temps qui passe plutôt que d’en profiter? Nous voyons nous seuls dans le temps, ou en communauté? Et surtout, d’un point de vue éthique, l’ensemble de vos partenaires et vous êtes vous en phase sur vos conceptions du temps, et la façon dont vos relations évoluent à travers celui-ci?

La prochaine fois que vous sentirez que vous ne profitez pas pleinement d’un moment, posez-vous la question, et faites l’exercice de changer de métaphore. La nouvelle perspective pourrait s’avérer plus intéressante!

 

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Ses besoins VS les besoins des autres

L’affirmation de soi est devenue la mesure employée pour l’évaluation de la réussite personnelle. La réalisation personnelle – pas uniquement financière ou professionnelle – est donc aujourd’hui un gage de succès. Les enfants sont encouragés à développer leurs rêves, à les réaliser, et autant l’éducation que la publicité renforcent ce modèle en vous inspirant ou vous rappelant insidieusement qu’en tant qu’individu, vous devriez aspirer à un modèle et tenter de le réaliser ou de le surpasser.

La réalisation individuelle n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais notre obsession sur cette dernière occulte une pratique tout aussi, sinon plus important, soit la réalisation communautaire. Présentement la société nord-américaine valorise beaucoup plus le premier au détriment du second. Ainsi, les professions de natures plus sociales, engagées et tournées vers la communauté sont non seulement moins bien rémunérée, mais offrent des conditions de travail beaucoup plus difficile que celles orientées vers la réussite financière; pensez aux infirmiers, enseignants, travailleurs sociaux et intervenants communautaires – des emplois nécessitant parfois des études considérables. On y dégage aussi l’influence pernicieuse du privilège de genre – ce sont des emplois que l’on associe fréquemment au genre « féminin » et qu’on rémunère moins bien tout en les prenant moins au sérieux, malgré leur rôle essentiel.

Dans le modèle traditionnel des relations, il est un peu pris pour acquis que les deux partenaires doivent s’efforcer mutuellement d’exprimer leurs besoins, leurs désirs tout en répondant à ceux des autres. Une relation épanouie, aujourd’hui, est une relation qui maximise la possibilité de réalisation de soi des deux partenaires. Dans une relation à plusieurs cependant d’autres enjeux se posent. Comment réconcilier des visions du monde et des aspirations qui peuvent varier entre amoureux, métamours, polycules différents mais nécessairement interreliés?

Tout comme dans la société en générale, la solution passe par la valorisation du rôle communautaire. Au sein de chaque groupe de personne, il est primordial d’adopter des pratiques et des comportements qui favorisent le succès du groupe en entier et le bien-être de chaque individu dans le groupe. Par exemple, s’assurer discrètement que tous les invités sont confortables lors d’une soirée, lors d’un souper. Pour les événements plus enflammés, il est important de toujours valider le confort et le consentement des invités lorsque les activités se pimentent un peu. La liste d’exemples pourrait s’allonger infiniment selon la variétés des contextes sociaux.

Ces rôles sont non seulement importants mais priment sur la réalisation individuelle. Une personne qui pense d’abord à ses propres désirs dans une soirée risque de froisser ou de heurter d’autres individus, qui passeront une moins belle soirée et dont le ressentiment pourra affecter ce que vivent tous les autres convives. Ça rejoint indirectement ce que Dan Savage appelle le « campsite rule »: dans une relation, le partenaire plus âgé ou expérimenté a une responsabilité de laisser l’autre partenaire en aussi bon ou meilleur état qu’il l’a trouvé. Dans un contexte social, cette responsabilité est partagée entre tous les participants. Donc le plaisir de l’individu doit être subordonné au plaisir collectif, et tout comportement qui favorise le second face au premier doit être souligné, encouragé et reconnu.

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