L’éclatement des anciens paradigmes de la vie amoureuse et sexuelle ont mis à jour la pauvreté du langage face aux relations interpersonnelles et aux identités personnelles. La nature a horreur du vide et apparemment la nature humaine ne fait pas exception. Chaque communauté s’est investie afin de trouver, définir, mettre en place les nouveaux termes qui reflètent mieux leur réalité propre.
Alors que presque 50 ans après Stonewall certaines personnes ont encore de la difficulté avec le terme « homosexuel », sans mentionner « bisexuel », on fait face aujourd’hui à un foisonnement d’orientations: pansexuel, demisexuel, asexuel, sapiosexuel et j’en passe. Au niveau de l’identité, les vocables trans, cis, non-binaire et fluides (pour ne nommer que ceux-là) répondent également à une série de besoins.
Les polyamoureux ne font pas exception. Vous entendrez parler de triade fermées, de couples ouverts, de swingers, de polyamoureux, de solo-poly, d’anarchistes relationnels pour ne nommer que ces termes.
Cette ébullition linguistique a du bon. Elle illustre hors de tout doute que les communautés non-privilégiées commencent à investir le champs du langage (outil de domination par excellence) afin d’affirmer leur existence et de revendiquer leurs droits. Elle a par contre certains effets indésirables, notamment une certaine confusion. En l’absence d’autorité bien définie – ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, diront les anarchistes – et dans un contexte imprégné de relativisme, les définitions ne sont pas toujours très claires et conséquemment, la compréhension ne se fait pas toujours à merveille. Cette confusion, voire cette incompréhension est parfois invoquée afin de rejeter toute étiquette.
L’étiquette, donc n’est ni bonne ni mauvaise. Comme chaque outil, il faut se pencher sur l’intention derrière son utilisation. Et il me semble que fondamentalement les étiquettes visent à catégoriser les gens à des fins soit d’exclusion, soit d’inclusion.
Le premier est très fréquent dans la culture populaire. On utilise des étiquettes pour identifier « les autres », les « différents », en général ceux qui nous menacent. Vulgairement on parlera de « tapette » ou de « fif » afin de bien marquer le caractère discriminatoire et péjoratif d’une expression (pour ces gens, « homosexuels » est trop légitime et reviendrait à accepter l’existence de cette catégorie). Autrement la discrimination peut être plus insidieuse. Par exemple, la pornographie nous gave d’une définition de « bisexuelle » comme étant « fille hétéro qui aime coucher avec d’autres filles juste si ça fait plaisir à son copain et qu’idéalement ce dernier reste au centre des ébats ». Le terme est alors exclusif, laissant de côté la grande diversité des orientations bisexuelles et des façons dont elles sont vécues. Les étiquettes peuvent aussi être usurpées. Par exemple, le mot « polyamoureux » est parfois utilisé par des conjoints théoriquement monogames et exclusifs qui veulent se donner bonne conscience – ou mieux paraître aux yeux de la personne qu’ils courtisent – tout en trompant leur douce moitié.
On comprend mieux alors la réticence de certaines personnes face aux étiquettes, sachant qu’elles peuvent être employées à fort mauvais escient.
Or ces étiquettes (ou catégories) peuvent également être employée de façon inclusive, c’est à dire, dans une optique de réappropriation de pouvoir par un groupe marginalisé. Par exemple, reconnaître l’asexualité et le proclamer permet de défaire le dictature de la relation romantique comme étant également sexuelle, et permet enfin à plusieurs personnes d’habiter pleinement leur relation sans un stigmate d’imperfection. Le terme « non-binaire » et les innovations au niveau des pronoms visent à défaire la dichotomie imposée entre le masculin et le féminin et sont à la fois une affirmation de soi et un geste politique: la reconnaissance de son identité passe par son acceptation par les autres et son inclusion dans le discours.
Au final l’emploi des étiquettes peut être tout à fait approprié dans certains contextes. Tel que présenté plus haut, elles sont les nécessaires conclusions d’une réflexion, et des transitions vers l’action sociale, vers l’affirmation de soi. Elles peuvent aussi être l’amorce d’une auto-réflexion qui se fera par le dialogue plus que par l’identification (vous pouvez être, par exemple, curieux de savoir si « hétéroflexible » définit bien l’orientation que vous ressentez, mais sans en être assez confiant pour vous réclamer de ce terme). Mais bien que parfois appropriées, les étiquettes ne sont pas toujours nécessaires, ni même souhaitables. Il est correct de se présenter comme en questionnement, temporairement fluide, si tel est votre ressenti et de rejeter alors toute étiquette.
Dans tous les cas, que l’on accepte ou rejette une catégorisation, l’important selon moi est de le faire consciemment en énonçant les raisons de notre choix. Si vous vous sentes exclus par un vocable, dites-le, contestez-le. Si vous recherchez l’inclusion soyez explicites. Enfin si vous êtes incertains ne craignez pas de l’admettre et recherchez plutôt le dialogue que votre ouverture peut entraîner.