Amitié, sexe, et polycule

Une question que je me fais souvent poser en différents milieux, en tant que polyamoureux ouvert et assumé, est celle du nombre de partenaires: « Oui mais, tu en as combien dans ta vie, là? » Et étrangement, c’est une des questions les plus difficiles à répondre pour les anarchistes relationnels. Une partie de la difficulté repose dans la crainte du préjugé: il est facile de tomber dans le « slut-shaming » (il nous faut vraiment un équivalent français pour cette expression!) que ce soit envers nous ou nos partenaires.

Mais la difficulté principale repose dans la conception bien différentes des relations. Lorsque la question est posée, l’interlocuteur a souvent en tête un type de relation bien précise: la relation romantique à composante sexuelle. En réalité, comme les relations sont fluides et ne sont pas hiérarchisée de toute façon selon les axes du romantisme et de la sexualité, il est impossible de fournir une réponse exacte à cette question.

Par exemple, j’ai une amie très proche avec laquelle j’ai une relation qui oscille entre le platonisme et le romantisme. D’une part la frontière entre l’amitié et l’amour peut être très floue, d’autre part cette frontière n’a tout simplement aucune importance pour nous. Selon notre état émotionnel, nos désirs, nos besoins, la relation prendra une forme où une autre lors de nos rencontre. C’est plus ou moins imprévisible et c’est très bien ainsi. Dois-je l’inclure dans le total? Dois-je l’inclure seulement si nous avons couché ensemble la dernière fois? Ou si j’espère que nous coucherons ensemble la prochaine fois? Cette relation tombe en-dehors des cadres normatifs traditionnels. N’empêche qu’elle est profondément significative pour nous deux.

Un autre exemple: j’ai une amante qui habite à des centaines de kilomètres. Nos rencontres sont forcément très, très épisodiques, axées principalement sur la sexualité (même si on peut autant savourer notre compagnie en ne prenant qu’un verre tranquille), et se comptent annuellement sur les doigts d’une main selon nos déplacements respectifs. Est-ce une relation au sens conventionnel du terme? Si nous sommes dans la même ville nous essaierons de nous voir, mais sans obligation ni pression. Bien que nous ayions tous les deux un profond respect l’un pour l’autre et une excellente communication, il n’est pas par contre question de romantisme. Dois-je l’inclure dans le décompte?

Enfin, je termine sur un exemple très concret pour illustrer la variété des relations qui peuvent être incluses dans un polycule. La mère de mes enfants et moi avons une relation purement platonique depuis plus de sept ans. Par contre, nous avons un niveau de complicité et d’intimité remarquable (ce qui est un peu normal pour deux co-parents), nous nous entraidons régulièrement, que ce soit au niveau personnel ou professionnel, et communiquons probablement à chaque jour ou presque. Dans sa forme actuelle, cette relation nous convient parfaitement tous les deux et est très importante pour nous. Dois-je l’inclure dans le décompte?

La réponse passe par le concept de « polycule », soit la représentation des relations polyamoureuses avec un modèle inspiré des molécules. Différents types de liens m’unissent à chaque individus dans ce modèle, et ces liens peuvent se transformer, disparaître momentanément ou sporadiquement, de même que les liens entre ces individus et toutes les autres personnes qui sont également dans leur polycule. Notez qu’on peut décrire ses relations sous forme de polycule sans être polyamoureux! Dans ce type de modèle, il est possible d’inclure les partenaires selon l’intensité, l’intimité de la relation plutôt que des caractéristiques arbitraires. Ainsi, la relation entre ami(e) et amant(e) s’estompe car elle ne fait plus aucun sens.

La force principale de l’anarchie relationnelle réside donc dans la qualité des relations plutôt que dans leur définition. C’est un élément primordial, car nous ne pouvons ainsi jamais prendre pour acquis l’autre personne simplement en se basant sur le statut relationnel. Au contraire, le vécu doit être partagé et renouvelé régulièrement, ce qui met en place en cercle vertueux qui contribue à la qualité et l’intensité de la relation.

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Anarchie relationnelle, anarchie économique, anarchie politique

Comme je l’ai soulevé lors de ma dernière montée de lait, il y a une confusion sémantique qui entoure le terme « anarchie ». À proprement dit l’absence de hiérarchie, il est interprété plus vulgairement comme l’absence d’ordre social, de loi, voir le chaos généralisé. Dans quelques dictionnaires et dans l’usage commun, c’est même cette définition qui est privilégiée, au détriment de la racine grecque originale (« absence de chef »).

Mais pourquoi rejeter la hiérarchie? La réponse est relativement simple: pour remettre l’humain au coeur des préoccupations. Je vous présente par exemple deux exemples (économique et relationnel) et les impacts sur la sphère politique.

J’ai fait allusion au livre de David Graeber: Debt, the first 5000 years, dans ma dernière montée de lait. Outre que c’est un magistral exposé réconciliant les approches historiques, anthropologiques et économiques afin d’étudier l’évolution de la monnaie, de la dette, de l’esclavage et des relations de pouvoir entretenues ainsi dans les derniers millénaires, le livre révèle également comment, par une aberration historique, la motivation du profit est devenue un idéal, une fin en soi, un domaine objectif, lors des derniers siècles uniquement. La poursuite de cet idéal (l’idéal du profit) au détriment de tout autre – sa hiérarchisation  – a permis de déshumaniser les rapports humains, menant à des horreurs à une échelle auparavant inimaginable, illustrées notamment par la traite des esclaves.

Le mot clé ici est « déshumaniser » en faisant d’un domaine abstrait (le profit) un idéal tangible.

Or c’est un constat qui s’observe dans les relations amoureuses également. Un idéal a été mis de l’avant dans notre société au dépens des autres: celui du couple hétéronormatif. La poursuite de cet idéal abstrait mène  à l’ostracisation des personnes qui ne s’y conforment pas, et surtout à la hiérarchisation des rapports interpersonnels. Un(e) conjoint(e) devient ainsi une personne plus importante qu’un(e) ami(e), qu’un membre de votre famille, que vos collègues, vos voisins, votre communauté, etc. Cet idéal est tellement fort qu’il vous prive de toute marge de manoeuvre décisionnelle: vous êtes unis « pour le meilleur et pour le pire » et « jusqu’à ce que la mort vous sépare. » Vous êtes maintenant déshumanisé. Tout comme seule la mort arrête de faire de vous un esclave, seul la mort arrête de faire de vous un conjoint.

Heureusement, dans plusieurs parties du monde (mais pas partout) les positions face à l’esclavage et à la tyrannie du mariage se sont un peu adoucies, et les lecteurs ne se reconnaîtront pas tous dans les descriptions ci-haut. Mais tous savent qu’il ne faut pas regarder bien loin pour trouver des cultures qui n’ont pas cette ouverture.

Ceci dit, l’impact de cette déshumanisation des rapports se fait toujours sentir dans nos propres systèmes politiques et légaux. La poursuite du profit est encouragée au détriment de celle du travail et les gains en capital, de même que les dividendes, reçoivent un traitement fiscal préférentiel. Les protections octroyées aux couples mariés, autant du point de vue fiscal que juridique, dépassent celles octroyées aux simples conjoints de faits, qui elles-mêmes dépassent celles octroyées à toutes les autres formes d’organisations relationnelles. Ces dernières n’ont tout simplement aucune reconnaissance légale que ce soit.

Le but de l’anarchie n’est donc pas d’empêcher les gens de faire de l’argent ou d’être en couple. Le but de l’anarchie est de « ré-humaniser » les relations, les rapports qu’ont les gens entre eux en faisant disparaître les normes, les idéaux arbitraires, les fausses hiérarchies, et en mettant l’accent sur la qualité des relations interpersonnelles et communautaires. Une politique anarchiste se concentre donc par conséquent sur le bien-être des personnes, plutôt que sur leurs biens ou leur façon d’être.

 

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Ce que l’on ressent

Prenez le sentiment de tendresse que vous éprouvez parfois envers l’autre. Prenez la passion féroce, le désir imprévu qui s’empare de votre être entier, prenez l’amour distillé à son essence, la sauvagerie chaotique des sens, l’apaisement, l’épuisement.

Prenez la joie que vous avez lorsque l’autre réussit, le bonheur que vous vivez par empathie, la compersion, la compassion, la discussion à bâtons rompus, prenez les moments de tristesse que vous partagez, le soutien qui s’échange, qui s’offre et se reçoit, l’amitié, l’accompagnement.

Prenez la colère et la douleur, la jalousie parfois, le sentiment de perte, le deuil, le vide, l’incertitude aussi. Ne les laissez pas de côtés, ils sont tout aussi essentiels.

Prenez le renouveau, la découverte, l’exploration, la renaissance, l’actualisation et la ré-actualisation de votre potentiel dans l’autre, avec l’autre et la réalisation subite que cet(te) autre vit exactement, à ce moment, exactement la même sensation.

Prenez toutes ces états. Et multipliez-les par deux, trois, quatre, cinq, dix, cent… À chaque seconde. Chaque précieuse seconde. Maintenant, imaginez que vous ne les ressentez pas seulement en succession, mais parfois simultanément, en combinaison dans la variété augment exponentiellement.

Au travers, voyez-vous par moment comme en profonde introspection. Savourant la solitude, cette solitude parfois accompagnée du souvenir des autres ou de l’anticipation des retrouvailles, parfois vécue dans l’abstraction, dans le ressourcement.  Imaginez tous ces uniques moments vécus hors-de-la-routine, hors du quotidien.

Chaque moment est un choix et, de plus, un choix partagé: une décision mutuelle d’être, à cet instant précis, ensemble. Une décision qui rehausse l’intensité de l’expérience vécue.

Imaginez un peu toutes ces sensations à la fois comme un tumulte, un  maelström et comme une vaste toile, l’expressionnisme abstrait du ressenti, comme un réseau, un canevas sur lequel s’illustre votre existence, sans cesse, sans repos, sans répit.

Un univers d’une richesse inouïe.

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Mais où est cet homme (cette femme) parfait(e)?

Vous l’avez tous déjà lu/vu/entendu:

« Où est-il, cet homme fidèle, charmant, sensible, intelligent, avec un emploi stable, ne vivant plus chez ses parents, honnête, avec une bonne libido? »

« Où est-elle, cette femme douce, allumée, juste assez perverse mais pas trop pour pas m’intimider, brillante, simple, disponible et prête à s’engager? »

Je veux pas vous faire de peine, mais je crois qu’il faut remettre les pendules à l’heure:

Nous sommes partout. Partout autour de vous.

Vous ne nous trouverez pas car vous avez oublié un détail important: l’offre et la demande. Et l’homme qui remplit tous ces critères, la femme qui remplit tous ses critères, surtout si il ou elle est intelligent(e) et brillant(e), maîtrise cette primordiale vérité.

Pourquoi bordel se contenter d’une seule personne quand manifestement nos qualités plaisent à plusieurs?

Pourquoi se limiter ainsi? Une personne si extraordinaire justement peut se permettre de choisir des partenaires qui n’essaieront pas de l’enchaîner, de le/la ralentir, voir de ruiner sa carrière (particulièrement vrai dans le cas des femmes).

Cette personne est libre. Libre de concevoir ses relations comme elle l’entend, avec qui elle l’entend. Libre du carcan de l’exclusivité.

Ça vous laisse quoi? Des restants. De la scrap. Et des relations en série aussi pitoyables les unes que les autres. Vous n’avez pas compris qu’au lieu de tout chercher chez une seule personne, cette personne quasi-divine, mythique, inexistante, vous pourriez  être plus heureux à découvrir une à une ces qualités et bien d’autres à l’intérieur d’un éventail de partenaires.

Arrêtez de vous plaindre. Sortez du moule.

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